Une forme tout à fait neuve de révolution est en train de voir le jour ; elle n’est pas alimentée par un carcan idéologique quelconque ; elle est nette de tout assujettissement mais elle reconfigure une étape de la lutte anticoloniale : ses porte-flambeaux sont les jeunes.
Je voudrais justement faire une approche de la situation qui prévaut actuellement dans ce monde arabe en proie à toutes les diatribes, mais en tant que citoyen épris de cette démocratie née d’un souffle «dégage !» face à un Satan qui par un immense orgueil ne veut pas s’y incliner, et lui fils du feu ne veut disparaître que par le feu d’une révolution radicale, que n’a pas encore vu le fils d’Adam et qui dira «va-t-en !» à l’ignorance, au sous-développement, à l’obscurantisme sous toutes ses formes, à la démagogie, à la répression, à l’intolérance, à la corruption… Je ne suis pas journaliste et je ne voudrais pas m’y substituer, cela exige des attributs sacrificiels et un immense talent, qui font la différence justement entre une vision médiocre très limitée du traitement de l’information par certains, et celle prompte d’autres, dont le professionnalisme tient le haut du pavé, courageux critiques et clairvoyants dans leurs hypothèses et leurs analyses et, qu’on le veuille ou non, ils sont les fers de lance qui luttent au quotidien pour l’instauration d’une démocratie, et ils sont l’objet de toutes les pressions, de toutes les exactions… Les nationalismes ont connu l’avènement d’une génération d’hommes nouveaux, totalement épris de liberté, qui pour certains, utopistes jusqu’à en perdre quelquefois la raison, ont entraîné, une fois acquise l’indépendance, dans leurs folles pensées vers les projets les plus fous, un peuple au départ généreux mais ensuite barricadé, quadrillé, réprimé… Projets qui n’ont mûri que dans une seule tête à orientation et à vision unique : par exemple, Bourguiba était presque à même d’offrir à son pays la première démocratie arabe s’il n’était étouffé par un trop grand désir d’être l’éternel zaïm. C’était un homme politique qui s’est attaqué à des tabous tels que ceux concernant la femme par exemple et qui agissait en tant que tel aidé par sa formation d’avocat, par sa faconde quasi naturelle, par un peuple subjugué par son courage ; il pouvait s’il avait eu le bon sens du déclic historique, miraculeux, amorcer les assises d’une réelle démocratie. Mais dans tous les autres cas «la libération nationale monopolisée par un petit groupe exige et obtient une participation qui exclut la discussion et s’épuise dans l’acclamation» et nonobstant les questionnements du philosophe Raymond Aron sur le sens tout relatif des «libertés», une fois détachée du joug colonial qu’adviendrait- il de cette liberté chèrement acquise entre les mains d’un pouvoir assujetti par mimétisme à l’ancien ordre colonial ? — car les gens qui ont participé à la lutte et qui ont tenu un comportement politique conforme à leurs premiers engagements sont soit en exil intérieur ou extérieur, soit physiquement inexistants. Cela suppose que la répression continue et connaît au gré de l’évolution sociale et politique des mutations multiformes. Cette révolution est une forme de réponse la plus inattendue à un comportement qui n’a pas su assimiler les leçons des nations qui ont souffert de la dictature depuis l’avènement du monde moderne et la montée du néocolonialisme. La société est une totalité : la politique, l’économie, la religion ou les relations de travail sont les diverses facettes d’une même société. L’homme est à la base de la société, il ne fait que la rendre possible mais le fait social est extérieur à l’homme comme la vie est extérieure aux minéraux. Ce sont des évidences que l’étudiant en sociologie politique assimile rapidement. Comment alors est-il possible de se comporter comme si on était sur un trône moyenâgeux en s’appuyant sur des institutions modernes et en ignorant totalement l’évidence des faits sociaux qui se jouent devant nous ? La force ne convainc personne, la répression ne fait que jeter dans le désarroi des pouvoirs qui négocieraient avec le diable pour continuer à disposer comme ils veulent de l’Etat. Claude Lefort dit dans un entretien accordé à la revue Esprit : la démocratie, personne n’en détient la formule et qu’elle est profondément elle-même en étant démocratie sauvage… et c’est dans la contestation ou dans la revendication de ceux qui sont exclus que celle-ci trouve son ressort le plus efficace. Bien sûr ici, il s’agit de démocratie occidentale, et derrière la soi-disant démocratie des pays sous-développés, il y a tout le décor pour la camper et cacher le détournement moral de tout un peuple à travers une idéologie et le cinéma de carton des films western des partis en des duels où tous les dés sont dès le départ pipés. Et justement ceux qui sont la plupart du temps exclus, ce sont les jeunes. Le jeune Arabe qui s’élève contre le système parce qu’il est étouffé, parce qu’il ne vit pas assez sa jeunesse, parce qu’il vieillit, espère un bonheur qui tarde à venir comme ce quinquagénaire, montré en boucle par les chaînes de télévision, qui dit avoir vieilli sous la répression du régime Ben Ali ; et paradoxe du comportement, le jeune Arabe est soit face à de jeunes gouvernants soit c’est une oligarchie de grabataires qui le mènent à la baguette. La vie d’un homme, et de surcroît s’il est jeune, est si éphémère que la nation qui l’ignore court à sa perte, et cette jeune nation arabe est toujours face à ses vieux démons : une religion et une nostalgie qui déteint sur tout ce qui bouge. On n’arrive pas à décoller de nos superstitions, de nos entêtements, de notre vision à sens unique… Peut-être qu’on peut oser dire que les jeunes se fichent pas mal de qui dirige quoi, s’il le fait bien ou mal mais ce qui les intéresse en premier lieu et c’est avec pragmatisme qu’ils le prônent : leur liberté, c’est-à-dire, le travail, l’application de la loi, de la considération… Le jeune veut être à même de comprendre les problèmes économiques et sociaux. Cette attitude rationnelle caractérise la jeunesse moderne, c’est peut-être dû à une instruction plus complète, à cette fameuse fenêtre magique qu’est Internet… Depuis leur tendre enfance, ils sont servis par une démagogie, qui n’arrête pas de leur servir contradiction sur contradiction. Maintenant, seul le travail pour le jeune fait partie intégrante de sa vie et il aspire à trouver celui qui convienne le mieux à son profil, mais il n’aura pas le temps ni les moyens de faire la fine bouche, il n’a pas une panoplie de choix. Et justement, là où le bât blesse, ce qui manque le plus c’est une véritable politique du travail qui aspirerait à se hisser en dehors du champ magnétique du sous-développement : le «travaillez, prenez de la peine…» n’est plus moralisateur que dans sa dimension scolaire. En Syrie, des jeunes meurent parce qu’ils ont osé braver le système d’occultation qui caractérise le totalitarisme. Au Maroc, les jeunes espèrent une vie meilleure avec plus d’écoute, moins de favoritisme et plus de transparence tout en intégrant sciemment la monarchie dans leur réévaluation du monde futur. Nous sommes peut-être le seul pays arabe à posséder tous les ingrédients pour entamer le début d’une démocratie sereine, il suffit de commencer et s’il y a concomitance crise économique et crise politique, notre embellie financière conjoncturelle nous permettra une «institutionnalisation plus poussée des procédures de dialogue et nous facilitera de meilleures conditions d’exercice des libertés politiques». Le fait de conserver les forces politiques existantes pour redémarrer un dialogue national sur les scénarios possibles d’un changement politique est tout simplement à mon avis, sans impact sur une «pacification» du changement souhaité. Dès le départ, on est face à un dilemme : le vieux parti unique n’incarne-t-il pas à lui seul cette résistance, qui caractérise son essence même, à tout changement qui pourrait le mettre en péril ? Et comment dans son sillage ne retrouve-t-on pas les autres partis de l’Alliance pour défendre la primauté de la démocratie, et donc continuer leur bonhomme de chemin vers un pouvoir qui resterait, quand même qu’on le veuille ou non, à redéfinir, dans l’exercice qui le lierait à la nation et donc au peuple, c’est le premier pas vers un nouveau contrat social qui nous libérerait des bras ankylosés du système de «légitimation anticipée» vers un système de «légitimation alternée» ? Et puis, il ne suffit pas d’instaurer les institutions et les grands principes de la démocratie pour obtenir un régime démocratique, il manquerait «la vertu civique» : transformer les citoyens en sujets actifs, susciter les qualités de participation politique pour que les institutions démocratiques ne soient pas confisquées par une oligarchie… Il faut aussi des règles opérationnelles telles que celles concernant les attitudes politiques (il ne faut pas qu’elles soient minées par l’extrémisme sous toutes ses formes), les normes de comportement, le mécanisme de prise de décisions… Si le rapport est, au préalable, établi entre développement et démocratie, sous-développement et dictature, il faut beaucoup de bonne volonté pour agir sur les esprits, changer les mentalités et améliorer cette relation gouverneur/gouvernés, en vue justement de sortir de cette vision à sens unique, seul moyen pour assurer un décollage économique pour lequel le temps presse, pour l’ensemble des pays arabes. Il y a lieu de surmonter ce que René Girard appelle «la crise d’indifférenciation », c’est la dilution ou la disparition des repères d’ordre moral ou juridique, on ne respecte plus ce qu’on respectait hier ( comme sacré), on s’habitue même au crime de masse, chacun méconnaît les répartitions de compétences, les distinctions de statuts et de rangs ne sont plus opérants ; cette crise fait naître le besoin d’une victime émissaire ; pour éviter la violence de tous contre tous, on constitue alors une violence de tous contre un. Les Arabes sont en face d’un héritage farfelu des temps immémoriaux : le culte du chef parce que lui seul sait, parce que lui seul incarne tout un projet de société ; son effet est tel qu’il draine derrière lui les émotions de tout un peuple… pour les chefs de file de l’époque de la décolonisation et de la construction d’un Etat aux institutions modernes. Cette ère évoque pour beaucoup une nostalgie, qu’il faut pourtant dépasser sereinement, en rejetant cette conception rigoureuse de la Vérité qui ne tolère ni les doutes ni les discussions en accusant d’obscures forces externes de complots ourdis contre «notre bon sens» et de pervertir les forces vives du peuple. Ce réflexe d’éliminer tout ce qui est susceptible d’entraver la dynamique d’emprise sur la société par les systèmes absolutistes ne doit plus caractériser la ligne de conduite des exécutants en chef et donc continuer l’influence du culte du chef. Ce système fonctionne sur les incriminations pénales et la terreur, personne n’est à l’abri des incriminations pour sabotage, pour complot contre le régime, et la catégorie des suspects est d’abord définie sur la base de principes idéologiques et l’hypertrophie de l’appareil policier tend à faire de chacun le délateur possible de son voisin. Une attitude séculière, enfin, est la seule capable de rafraîchir les visions et de redonner vie à toute dynamique démocratique, tout le reste n’est que politique.
B. M.-M.
*Cadre éducateur
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/10/03/article.php?sid=123820&cid=41
6 octobre 2011 à 1 01 45 104510
cet article nous explique ce qui se passe de bien, enfin chez les arabes.