Edition du Jeudi 22 Septembre 2011
Chronique
“Un pays riche, un peuple pauvre.” La formule a fait florès. Pourtant, à y regarder de plus près, elle ne reflète pas fidèlement, pas même approximativement, la réalité algérienne.
Un pays riche suppose une économie et des modalités d’accumulation identifiables. Or, il n’y a presque pas d’économie de production et de services.
Le peu d’activité productive n’est rentable que parce qu’elle repose sur l’emploi d’intrants ou la fabrication d’articles subventionnés.
La part de l’informel et des trafics dans l’activité d’approvisionnement et de commerce rend impossible le calcul des profits, pas seulement ceux des opérateurs clandestins, mais aussi les bénéfices réels des sociétés. Même les revenus des personnes sont insaisissables, du fait de la place du travail au noir, des commerces incontrôlés, de la transformation de patrimoines fonciers administrativement acquis…
Le peuple n’est pas uniformément pauvre. On peut identifier les catégories rentières classiques en reconstituant les sociométries successives du pouvoir. Souvent les bénéficiaires des transferts rentiers font servir aussi leurs parentèles et leurs clientèles. Mais d’autres modes d’enrichissement existent, qui vont du racket terroriste au trafic de sable en passant par le trabendo et l’industrie des crédits de relance (de l’agriculture, de la pêche…) et, bien sûr, l’accaparement, le détournement et la corruption. Tout cela ne se fait pas au grand jour, à coups de déclarations de revenus, de registres du commerce et de bilans fiscaux. Si les puissants du système choisissent ceux qu’ils font bénéficier de la rente, l’État, en tant que tel, en tant qu’institution, ne peut pas savoir qui est riche et qui ne l’est pas. L’usage courant du prête-nom ajoute à la confusion de la sociologie économique du pays.
La règle, dans un tel système, est que tout processus d’enrichissement oblige à un rapport direct avec le pouvoir, à un niveau ou à un autre, dans une forme ou une autre. Cela va de la monopolisation autoritaire d’un secteur (comme il en fut de l’importation des alcools, puis du médicament, du foncier, de mise en valeur des terres, des entreprises de sécurité, puis des bureaux de communication…) à la priorité politique ou régionale de certains budgets (pêche, PNDA/R…), la permissivité réconciliatrice (le commerce informel pour les “repentis”), etc.
L’État, en renonçant à imposer le chèque aux tractations commerciales, a concédé l’anonymat des flux financiers et rendu impossible la maîtrise de ces mouvements d’argent. On ne peut demander à un fisc qui ne sait pas qui gagne de l’argent et qui n’en gagne pas d’en collecter la part qui revient à la collectivité, l’impôt. Alors l’État va compenser sa défaillance fiscale en puisant dans les recettes pétrolières : il subventionne l’évasion fiscale qu’il ne peut pas, ou ne veut pas, empêcher.
Il n’y pas de “pays riche et peuple pauvre”, mais une richesse, d’un côté, et des bénéficiaires choisis, de l’autre. Ni le pays ni le peuple n’y gagnent. C’est cela le système rentier : pouvoir qui dose le transfert d’argent de la caisse des recettes pétrolières vers des cibles rentières politiquement choisies. Le drame c’est que pour que ce système fonctionne, il faut empêcher tout développement d’économie productive ou de marché fonctionnant avec des règles objectives. Cela perturberait la logique du système.
M. H.
musthammouche@yahoo.fr
22 septembre 2011
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