Edition du Jeudi 22 Septembre 2011
Culture
La langue n’est ni neutre ni innocente. Comme vous, j’aime le livre et j’adore toutes les langues de ce beau pays. Et comme vous, sans doute, je n’aime pas trois mots utilisés dans ce pays pour désigner une partie du culturel. Ces trois mots m’écœurent. D’abord, le mot “kheïma”,
exotique, abondamment utilisé par les acteurs amateurs de la culture saisonnière, notamment pendant le mois du Ramadhan. La kheïma, concept employé pour qualifier un espace culturel éphémère, et lui souffler une âme disant d’originalité ! La culture de la kheïma, c’est pour nous apprendre que nous sommes des gens authentiques ! les fils du bled ! nesse el- kheïma, les gens de la tente! Culture d’arrajla ! Je n’aime pas cette appellation qui ne fait, à mon sens, qu’accroître le sentiment d’aliénation chez les nouveaux enfants par rapport aux valeurs de leur cité. Cinquante ans d’indépendance ! La langue n’est pas neutre.
Selon l’usage, elle favorise ou défavorise la culture de la citoyenneté. Les mots sont des sonnettes d’alarme. Le mot ou le concept “kheïma”, utilisé à tort et à travers, participe à ruraliser l’imaginaire de la troisième génération qui occupe une cité faite dans et pour une autre culture qui n’est que celle de “la cité”. Le mot “okadhiya”, culturellement parlant, sonne mauvais, sonne faux en Algérie. Dans toute l’histoire littéraire et cultuelle de notre pays, qui, universellement, remonte jusqu’à Apulée de Madaure, auteur de l’Âne d’or, et continue avec Bakr Ibn Hammad, Moufdi Zakariya, Kateb Yacine, Abdelhamid Benhaddouga… et se prolonge avec Yasmina Khadra, Adel Sayad, Bachir Moufti, Hamid Grine, Sarah Heidar, Youssef Merahi, Rabia Djelti… dans toute cette histoire les “activistes” de la culture n’ont trouvé que “el-okadhiya” pour dénommer une des activités poétiques pompeuses !!! Ce mot, qui a envahi notre mémoire et nos médias, relève d’une anomalie flagrante du sens. Il n’a rien d’algérien, ni aucune algérianité. Le mot est saoudien, je n’ai rien contre ce pays frère, mais chaque chose a sa place. El- okadhiya est le nom d’un “souk jahilite” où, jadis, se rencontraient commerçants et poètes dans un lieu situé entre la Mecque et Taïf. Cette appellation extravagante, qui désigne la culture poétique algérienne, donne à notre culture une image de la dépaysée. Les mots, à l’image de “kheïma” ou de “okadhiya”, avec leurs charges sémiotiques par le matraquage médiatique qui les porte très “haut”, alimentent le sens de la ruralisation du nouvel imaginaire citadin algérien. Ces mots, au nom de l’authenticité exotique et par la folklorisation du symbole, nourrissent la culture de la détérioration de la ville. Je constate que la langue utilisée à l’encontre de son temps, contre son espace, contribue inconsciemment à la ruralisation de nos villes, à l’image de ce qui se passe à Alger, Béjaïa, Tlemcen, Oran, Constantine, Mostaganem, Annaba et dans bien d’autres. Six siècles après, nous sommes amenés à relire, avec attention, la grande leçon historique que Ibn Khaldoun nous a enseignée à propos du phénomène de “Kharab al omrane” (le saccage d’urbanisme et d’urbanité). Le troisième mot, plutôt l’expression “lire en fête” ! utilisée fréquemment ces jours-ci dans notre champ linguistique culturel pour désigner “les manifestions autour du livre”. “Lire en fête”, relève d’une tradition culturelle française qui dure depuis une vingtaine d’années, peut être un peu plus, et que “nos Algériens de la culture” n’ont pas hésité à escamoter. Ces mots, arbitrairement collés à une partie de notre vie culturelle, volés ou piqués d’un autre contexte culturel arabe ou français, peu importe, m’écœurent. Ce collage, pillage ou bricolage est le signe de la pauvreté intellectuelle alarmante qui ronge l’imaginaire culturel algérien. L’écho d’une carence identitaire profonde qui dévoile notre incapacité de créer nos mots, de réinventer nos sens, fidèles à notre mémoire et à nos rêves. Ainsi, la cité est menacée !
A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
22 septembre 2011
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