Edition du Mardi 20 Septembre 2011
Actualité
Professeur de sociologie et d’histoire à l’université de Paris VIII, puis à Paris V et VII, puis maître de conférences à l’université de Paris VIII, Mohamed Harbi a bien voulu, à travers cet entretien, livrer quelques impressions sur le sens et la portée du colloque dédié au père du nationalisme algérien.
Liberté : Par rapport au colloque organisé en 2000 à l’initiative de quelques membres de la société civile et placé sous le patronage du président de la République, quels éléments historiques nouveaux a apporté celui de 2011 ?
Mohamed Harbi : D’abord une bonne partie des participants n’est pas la même que celle du colloque antécédent. Depuis ce moment-là, il y a énormément d’éléments nouveaux qui sont intervenus qui permettent ou qui obligent à se poser des questions d’une autre manière. Et donc de réviser certains épisodes qui ont brouillé le regard des historiens et des acteurs. Parce que la brouille du regard des acteurs est beaucoup plus importante que le regard des historiens puisque ces derniers parlent de ce qui a été, alors que les acteurs, eux, parlent de ce qu’ils ont fait. Par exemple, comme élément nouveau, j’ai le compte rendu d’une conférence de Boudiaf donnée aux militants du PRS (Parti de la révolution socialiste) dans laquelle il révèle un certain nombre d’éléments nouveaux sur l’attitude de différents personnages au moment de la crise. Il explique comment alors une bonne partie des membres de l’OS avaient pris position pour Messali une fois la crise déclenchée, ont changé leur opinion à partir du moment où il est intervenu. Or, son opinion à lui était déterminée par le caractère de la crise qui a eu lieu en France et non pas simplement par l’ensemble des données de la crise.
Dans votre conférence, vous avez mis en évidence le fait que Messali Hadj a prôné à un certain moment la lutte armée alors que certains courants estiment au contraire qu’il n’a jamais envisagé cette voie ?
Effectivement, Messali Hadj était pour la lutte armée. J’ai expliqué que j’avais le témoignage de Moussa Boulkeroua qui était à l’époque le responsable de la fédération de France. Il m’a affirmé qu’au moment où il était parti en Orient et qu’il était venu précipitamment à Paris pour suivre une conférence des nations unies en rapport avec un certain nombre de délégués de pays arabes, il a été appelé par Messali pour transmettre un message urgent à Benkhedda. Quel était le contenu de ce message ? : c’était le fait de choisir un certain nombre de militants pour les envoyer au Caire contacter l’émir Abdelkrim et être affectés à des stages militaires dans des académies arabes. Et cela devait être fait dans la perspective d’organiser un encadrement pour des opérations militaires en Algérie. Le parti restant, le cœur de l’entreprise, les militaires agissant en accord avec le parti et la population. C’est donc une différence d’approche dans la conduite de la guerre que celle qui a eu lieu avec les fondateurs du FLN. Je peux d’ailleurs rappeler une opération du même type, c’est celle de Bourguiba. Au moment où les négociations du gouvernement Chenikh, qui était appuyé par le néo-destour, ont échoué, il a décidé lui de passer à la lutte armée. Il a tenu un rassemblement populaire et voilà ce qu’il a dit : “nous allons passer à la lutte armée, ne perdez pas la tête, nous allons combattre une grande puissance et donc il n’est pas question de victoire militaire, notre victoire sera politique, nous allons amener la France à nous reconnaître comme interlocuteur, à discuter avec nous et à revoir le statut de la Tunisie pour aller vers l’indépendance.” L’attitude et la manière dont Messali envisageait la lutte armée étaient exactement les mêmes que celles de Bourguiba.
Depuis l’annonce de la nouvelle loi sur les partis, des voix s’élèvent pour réclamer la remise sur les rails du PPA fondé par Messali Hadj. Selon vous, ce vieux parti pourra-t-il aujourd’hui revenir sur la scène politique et y résister ?
La réponse n’est pas de mon ressort, elle est du ressort des anciens messalistes. Mais si j’avais été, moi, un ancien messaliste, je dirais que le PPA a accompli sa mission et qu’on en reste là. C’est exactement comme le FLN dont la fin de mission aurait dû lui être notifiée en 1962.
Face aux mouvements populaires de contestation qui embrasent les pays arabes, l’Algérie, selon vous, risque-t-elle d’en être affectée ?
Je pense que l’Algérie a un système qui est dans une impasse politique, mais que la porte n’est pas définitivement fermée à des changements. La société espère que le pouvoir en place fera en sorte que l’impasse dans laquelle nous sommes ne mène pas à des aventures.
20 septembre 2011
Histoire