Edition du Jeudi 01 Septembre 2011
Culture
Les dictateurs arabes n’ont pas de mémoire. Elle leur fait défaut ! Tare ! Mais leurs têtes retiennent, avec exactitude, les chiffres de leurs comptes bancaires et le nombre croissant de leurs victimes. Les sangsues ! En ce jour de l’Aïd Assaghir, j’ai une grande pensée envers ceux qui, par leur sang noble, ont tracé le cheminement du printemps arabe. Je pense aux intellectuels qui ont défié toutes les barbaries islamistes ou libérales, civiles ou militaires, en barbe longue ou en visage bien rasé, dans un costume alpaga ou dans un qamis afghan.
En ce jour de l’Aïd El Fitr 2011, je pense à l’auteur de la trilogie Lagoual, lajouad et litham, à Abdelkader Alloula, lion d’Oran, icône du théâtre algérien et universel, tombé sous les balles islamistes aveugles le vingt-septième jour du Ramadhan, nuit sacrée. Ce fut le 10 mars 1994. Tout son art théâtral est conçu pour condamner la barbarie. Pour dire non à l’injustice sociale, non à l’humiliation. En ce jour de l’Aïd El Fitr, je pense à une autre étoile de la planche, à Azeddine Medjoubi apprécié du public algérien pour avoir joué avec génie dans la pièce Hafila tassir. Il fut assassiné le 13 février 1995, à l’entrée de l’Opéra d’Alger. Je pense à Tahar Djaout l’auteur de Les chercheurs d’os et L’invention du désert, intellectuel courageux dans et par le verbe et le mot. Il fut assassiné le 26 juin 1993.
En ce jour de l’Aïd El Fitr 2011, je pense au docteur Djillali Belkhenchir, pédiatre assassiné le 18 décembre 1993, à Djillali Liabès, assassiné le 16 mars 1993, à l’écrivain Laâdi Flici, assassiné le 17 mars 1993, à Youcef Sebti, écrivain, tué le 28 décembre 1993, au professeur Boucebci, psychiatre, assassiné le 15 juin 1993, à Rabah Istambouli assassiné le
23 août 1994, à Ahmed Asselah décimé le 5 mars 1994, à Saïd Mekbel assassiné le 3 décembre 1994, à Mohamed Boukhobza, assassiné le 22 juin 1993.
En cet Aïd 2011, je pense à Bekhti Benaouda, ami de Jacques Derrida, assassiné le 22 mai 1995, à Djamel Eddine Zaïter, assassiné le 17 février 1995, à Matoub Lounès, assassiné
le 27 juin 1998, à cheb Hasni assassiné le 29 septembre 1994, à Rachid Baba-Ahmed, le Che de la chanson moderne, assassiné le 15 février 1995… et la liste est longue. Mais pourquoi pensai-je à tous ces martyrs en ce jour de l’Aïd El Fitr ? J’ai peur que notre classe politique ainsi que la société d’intellectuels soient prises en otage d’un syndrome appelé “la mémoire d’âne”.
En ce jour de l’Aïd El Fitr 2011, célébré en liesse par une partie du peuple arabe fière de se voir libérée de trois dictateurs, je pense à l’écrivain égyptien Faradj Fouda auteur du livre La vérité absente (Al Hakika Al Ghaïba) assassiné en pleine rue du Caire sous les yeux de son fils, en juin 1992. Je pense à l’écrivain Naguib Mahfouz, lauréat du prix Nobel et auteur du Fils de la médina (Awladou Haratina) fut agressé, en octobre 1994, par des forces de l’obscurantisme islamiste. Je pense au philosophe rationaliste, le sage Hussein M’roua, auteur du “Les tendances matérialistes dans la philosophie arabo-musulmane” (Annazaât al maddiya fi al falaçafa al arabia al islamiya) assassiné à Beyrouth le 18 février 1987. Je pense à Mehdi Amel, poète et penseur, auteur du livre Système de la production coloniale, amoureux d’Alger et de ses quartiers populaires révolutionnaires : Bab El-Oued et Belcourt, assassiné dans la rue d’Alger à Beyrouth le 18 mai 1987. Et je pense à Samir Kassir et à Ghassan Tuéni et la liste est longue !
Mais pourquoi pensai-je à cette chaîne en or d’intellectuels martyrs en ce jour de l’Aïd El Fitr 2011? Je vous rappelle ces noms, parmi d’autres, qui ont donné leur vie afin que les révolutions déclenchées dans le monde arabe ne soient condamnées par le syndrome de “la mémoire d’âne”.
En ce jour de l’Aïd El Fitr 2011, je pense à l’écrivain Ghassan Kanafani, auteur du roman Des hommes dans le soleil, assassiné à Beyrouth le 8 juillet 1972, au caricaturiste palestinien inégalé Naji al-Ali, assassiné à Londres le
22 juillet 1987. Je pense à Ali Ferzat enlevé la semaine dernière, à Damas, par les forces de sécurité de Bachar Al Assad. Torturé. Ils lui ont brisé les doigts comme pour essayer de faire taire l’artiste. En vain ! Les doigts de Ali Ferzet continuent à peindre le monde cauchemardesque du dictateur. La nouvelle génération des dictateurs arabes. Dictateur top modèle !
En ce jour de l’Aïd El Fitr 2011, ensemble, nous pensons à celles et ceux qui, par leurs plumes, par leurs films, par leurs peintures ont défié les tortionnaires et les guillotineurs. C’est avec leur sang que le printemps arabe est né. Et une pensée aussi pour leurs familles.
A. Z.
aminzaoui@yahoo.fr
19 septembre 2011
Contributions