Histoires vraies
Résumé de la 5e partie n Dans les bureaux de la police secrète Labalski et Holtorf sont reçus par un homme au crâne rasé qui ne semble pas commode…
«Excusez-moi, dit-il, pour la façon brutale dont j’ai dû procéder. Je vous affirme que c’est bien à contrecœur. Mais il fallait que ces imbéciles m’entendent hurler. Vous comprenez, ici, les Allemands sont comme chez eux. Il faut qu’ils croient que je vais vous torturer. J’ai ordre de vous faire avouer que vous êtes, vous un journaliste antinazi, et vous un juif. Mais, bien entendu, je ne vous torturerai pas et vous n’avouerez rien.»
Puis, saisissant la cravate du pauvre petit cocu ridicule qui tremble sous le choc, il la lui arrache.
«Mais il faut que ça fasse vrai… Vous comprenez ?»
Là-dessus il relève les manches de la veste du journaliste, des deux mains écarte son col de chemise en arrachant les boutons.
«La Roumanie est un peuple dont l’hospitalité est proverbiale, dit-il. C’est parce que les Allemands sont là que je suis censé frapper vos pieds nus à coups de talon.»
Et il entreprend de lui retirer chaussures et chaussettes.
Pendant une demi-heure, l’homme leur fait un panégyrique de l’hospitalité roumaine entrecoupé de recommandations :
«Ne m’en veuillez pas, je vais vous donner une gifle. Soyez gentil de crier, s’il vous plaît.»
Après ce débordement de férocité, au moins aussi fatigué que les deux hommes, il se rassoit derrière son bureau en s’essuyant le front avec un mouchoir.
«La preuve est faite, dit-il en s’adressant au journaliste, que vous n’êtes pas l’homme que nous recherchons. Vous n’avez pas écrit un seul article au Daily Herald depuis un an. C’est compris ?
— C’est compris.
— Quant à vous, monsieur Holtorf, vous n’êtes pas juif, tout au moins jusqu’à ce que vous ayez quitté le port de Constanza. C’est clair ?
— Très clair.
— Vous allez être reconduits là-bas. Le bateau est certainement encore à quai. Mais je vais vous faire accompagner. Les Allemands ont ici leur propre organisation et, si je ne les ai pas convaincus, un accident est toujours possible.»
Là-dessus, il appuie sur un bouton et demande aux deux malabars qui entrent :
«Ce n’est pas lui. Et l’autre n’est pas juif. Détachez-les et reconduisez-les au bateau.»
En effet, le bateau est toujours à quai. La voiture, roulant à tombeau ouvert, s’arrête à quelques mètres de la passerelle.
Le journaliste et le petit cocu ridicule descendent de la voiture et, instinctivement, regardent au-dessus d’eux. A l’entrepont : une femme au petit visage coiffé d’une toque de fourrure leur fait un grand signe.
Le journaliste et le petit cocu ridicule restent un instant immobiles. Oh ! un très court instant. Le temps de comprendre lequel des deux elle a appelé.
«Allons, dépêchez-vous, murmure l’un des gardes du corps. C’est malsain ici.»
En effet, ni l’un ni l’autre n’ont vu qu’une autre voiture s’est arrêtée à quelques pas. Encore moins voient-ils la vitre qui se baisse au moment où ils s’engagent sur la passerelle.
Par contre, tous deux entendent la voix qui crie :
«Monsieur Gregon Labalski !»
Aussitôt, avec une promptitude étonnante, le petit cocu ridicule se retourne :
«Labalski c’est moi !»
Une rafale de mitraillette lui répond. Devant les yeux horrifiés du journaliste Gregon Labalski, le petit cocu ridicule, plie sur ses jambes et roule au pied de la passerelle.
Gregon Labalski ne saura qu’en Angleterre, quelques années plus tard, que l’informateur de l’héroïque petit homme s’appelait Joannes Eilers, le père confesseur de Von Papen, le ministre des Affaires étrangères du Reich.
Pierre Bellemare
19 septembre 2011
Histoire