Histoires vraies
Herbert Bower, commissaire adjoint en cette nuit de juillet, rassemble ses petites affaires, accroche minutieusement son stylo dans la poche intérieure de sa veste, regarde sa montre pour noter avec exactitude l’heure de son départ et referme soigneusement la porte.
Dans le couloir, Herbert donne un coup de peigne à ses cheveux roux devenus rares. Le policier qui va lui servir de chauffeur, en voyant sa grande silhouette maigre tirée à quatre épingles, saisi par son froid regard gris, se met presque au garde-à-vous.
«Où allons-nous, monsieur le commissaire ?
— A l’hôpital.»
En route le chauffeur tente d’engager la conversation.
«De quoi s’agit-il, monsieur le commissaire ?
— Vous le verrez bien. Je n’en sais rien moi-même.»
Comme le malheureux chauffeur soupire et se renfrogne, le commissaire Bower fait un effort :
«Vraiment je n’en sais rien, il paraît qu’on vient d’amener un garçon gravement blessé. C’est son père qui lui aurait tiré dessus.
— Tiens…»
Le chauffeur hoche la tête. Sans doute pense-t-il qu’il s’agit cette fois d’une affaire qui sort de l’ordinaire.
Dans le couloir blanc qui mène à la salle d’opération, le commissaire Bower ne fait qu’entrevoir un jeune homme d’une vingtaine d’années, brun au visage cireux, poussé sur une civière. Un infirmier marche à ses côtés portant à bout de bras un flacon de sang relié au corps du blessé par un tuyau de plastique.
«Vous ne pouvez pas l’interroger, grogne un chirurgien, il est dans le coma. Mais vous avez des gens là-bas.»
Le chirurgien montre d’un signe de tête deux braves types endimanchés, un peu étonnés d’être là et qui commencent même à le regretter en voyant Herbert Bower s’adresser à eux d’un ton péremptoire et glacé.
«Où ça s’est passé ?
— A Lunnebourg.
— Bon, je vous écoute.»
Les deux hommes se regardent :
«Ben, nous, on n’a rien à dire, répond l’un d’eux.
— On n’a rien vu, explique l’autre.
— Alors, qu’est-ce que vous faites là ?
— Nous, on l’a amené, c’est tout.
— Où l’avez-vous trouvé ?
— Ben, on rentrait chez nous. On était avec nos femmes et les enfants et puis on a entendu un coup de feu…
— Un seul ?
— Oui. Un coup de fusil, et puis une voix criait «au secours». On s’est dit «tiens ça chauffe chez les Wilshek». Là-dessus la porte de leur maison s’est ouverte et leur fils Georges, plein de sang, est sorti plié en deux en se tenant le ventre… Et il a roulé dans nos jambes.
— C’est tout ?
— Ben, ma foi oui. Toutes les lumières se sont allumées dans la rue. Des voisins sont sortis. Ils disaient qu’il fallait prévenir la police. Que ça devait arriver. Nous, on s’est pas occupés de ça. Pendant que je roulais Georges dans une couverture, lui, mon ami, il est allé chercher la voiture. On l’a porté tous les deux sur la banquette arrière, et voilà.
— Comment savez-vous que c’est le père qui a tiré ?
— Dame, Georges s’est pas tiré dessus tout seul. Et c’est sûrement pas sa mère… Pauvre femme, elle en serait bien incapable.
— Mais le père, lui, en est capable ?»
Les deux hommes, gênés à nouveau, se regardent.
«Bah ! c’est pas ce qu’on veut dire. Mais un homme en colère peut toujours se servir d’un fusil.
— Parce que le père est coléreux ?
— Non ! Non ! On n’a pas dit ça. Mais il avait des raisons d’être en colère.
— Quelles raisons ?» (A suivre…)
19 septembre 2011
Histoire