Au coin de la cheminée
Il y a bien longtemps, dans un royaume oublié de tous, vivait un roi juste et bon.
Ses sujets l’aimaient profondément. Il n’avait qu’une pensée : soulager les miséreux. Son cœur n’abritait qu’un désir : apporter une vie meilleure dans tous les foyers. Il songeait peu à lui…
Or, un jour qu’il rentrait d’un lointain voyage aux frontières de son royaume, s’étant arrêté dans un village pour boire et se restaurer, il aperçut une jeune et jolie bergère.
Elle allait légère, insouciante, répandant la joie partout où elle se rendait.
Il fut troublé, ému, rempli d’une émotion qu’il n’avait jamais connue. Elle était lumineuse et il se prit à espérer son amour comme on espère le soleil après le long hiver.
C’est l’âme remplie de sa bergère que le roi retourna dans sa capitale.
Les jours passèrent et la passion dont il brûlait le tourmentait chaque jour un peu plus. Plus que tout, il désirait l’amour de la bergère et pour arriver à ses fins il était tenté d’user de son pouvoir.
N’était-il pas maître de tous ses sujets, n’avait-il pas droit de vie et de mort sur chacun d’eux ?
Il pouvait envoyer chercher la jeune paysanne par ses serviteurs et ordonner le mariage.
Il pouvait aussi apprêter son carrosse, se présenter devant elle dans ses plus riches vêtements et tenter de la séduire grâce à tout ce qu’il possédait. Mais le roi espérait autre chose de beaucoup plus précieux : être aimé pour lui-même !
Un soir sa décision fut prise. Il appela son intendant et lui remit la charge de son royaume. Il laissa là ses beaux habits et se revêtit de loques.
Cheminant sur les routes, quémandant sa nourriture, dormant dans les fourrés, il se fit mendiant parmi les mendiants.
Enfin il arriva au bourg où vivait la bergère et son cœur s’emplit de joie à la revoir.
Il se tint là, tranquille, rendant service quand il le pouvait, se nourrissant de ce que les gens voulaient bien lui donner.
Le roi était fort sage. Puisqu’il avait décidé de se faire aimer pour lui-même il convint d’offrir à sa bergère les perles de son âme, les diamants de son esprit et les joyaux de son cœur loyal qui battait pour elle sous cette immonde souquenille de mendiant.
Jour après jour, il apprivoisa sa pastourelle. Chaque matin, il quittait la cahute de branchages dans laquelle il dormait pour aller quêter à un endroit où il savait qu’elle passerait infailliblement. Il fit en sorte de croiser chaque jour son chemin pour qu’elle s’habitue doucement à sa présence.
Bien qu’il eût pu la couvrir d’or et de fourrures, l’entourer des plantes les plus rares que ses jardiniers cultivaient dans les serres royales, il se contentait de l’aider à transporter ses seaux de lait, ou parfois de lui offrir une fleur cueillie au revers d’un talus. Il était heureux.
Il aurait voulu lui éviter les travaux pénibles qui gerçaient ses petites mains, la décharger des peines sous lesquelles ployaient ses épaules, la soustraire à cette vie rude qui la ferait vieillir avant l’âge.
Il choisit de se faire conteur et à travers les contes merveilleux qu’il inventait pour elle il soulageait sa misère en lui permettant de rêver. (A suivre…)
Raconté par Alain Moreau
19 septembre 2011
1.Contes