L’exil. Vocable voué aux gémonies. Synonyme de souvenirs cruels et de remords.
Au goût de malédiction. Honni par des générations entières d’immigrés, et pourtant toujours expérimenté par des candidats innombrables. Jusqu’à mettre en péril leur propre vie sur de frêles embarcations, les harraga en course vers la ghorba.
Rejoindre l’eldorado rêvé les yeux ouverts via les images charriées par les chaînes satellitaires. Et par des revues aux photos aguichantes, souvent sous les traits de minois de filles angéliques. Egalement par des produits de consommation inaccessibles au commun des mortels. Un miroir aux alouettes. L’exil, apanage de circonstances. Les unes autant pernicieuses que les autres. Quotidien implacable reconduit au jour le jour: chômage et misère ambiante, célibat indéfiniment et involontairement prorogé, scolarité bâclée et insuccès professionnels réitérés, mille et un métiers pour une louche de chorba, absence du droit à l’expression et hogra, délit d’opinion et frustrations en cascade, pieuses prières et saouleries occasionnelles, espoir vain et résignation à l’infini
L’exil. Imperturbable destin aux contours incertains, à la froideur certaine. Soleil troqué contre de la grisaille. Commerce de sa jeunesse pour de l’espérance. Semailles inutiles de ses années d’insouciance. Indomptable désir de se surpasser, au-delà des efforts habituels.
Consommation effrénée de ses énergies décuplées par l’envie de jauger ses capacités. De mesurer l’étendue de ses talents supposés ou réels. Mais aussi simple besoin de vendre sa force de travail outre-mer, le chômage endémique ayant gagné de larges pans de la société d’origine, contrainte à une paresse angoissante se muant parfois en suicide.
Egalement audace d’une jeunesse oubliée et vouée à un perpétuel sacrifice autant absurde qu’inutile, face à l’impérieux et vital souhait de se soustraire à la mort lente distillée par la morosité des campagnes jetée en pâture à l’oubli et des villes vouées à l’inculture organisée par un pouvoir central vorace, relayé par des potentats locaux. Une oligarchie. Leur enjeu principal et commun ? Préservation de leurs intérêts gargantuesques à travers l’accaparement de la rente provenant des hydrocarbures, la recherche du plus grand patrimoine foncier possible et les comptes et résidences en Suisse et ailleurs.
L’exil intérieur
Qu’il est dur d’être les victimes du sadisme du pouvoir dans son propre pays. Surtout face à notre fatalisme légendaire qui fait de nous des citoyens soumis chez qui on exploite à satiété les sentiments patriotiques. Face aux injustices innombrables générées par la politique de nos tyranneaux, les candidats à la harga meurent à petit feu. La dérision, cette thérapie de l’heure, n’est plus de mise, d’autant que souvent privés de notre droit le plus élémentaire à l’expression. De l’exil intérieur la société court un grave danger : devenir un vaste univers cellulaire. Une sorte de réserve où nous serons parqués. Nos bourreaux cherchent à empoisonner en nous toute forme d’espoir et à polluer nos mentalités par leur propagande à bon marché. Face à nos assassins, réels ou en puissance, l’indignation n’est plus l’ultime secours. Il est vrai que les prostitués du pouvoir, les nouveaux harkis et autres spécialistes ès flicage et magouille en tout genre craignent la subversion par-dessus tout.
Rien n’est plus dangereux que de devenir les béni oui-oui de ces clowns en mal d’inspiration qui ont fait de l’Etat une vaste machine à briser les volontés saines du pays. Leur tendance à la malveillance appelle notre répulsion, non notre perplexité. Ils ont semé une mauvaise graine : le népotisme tribal. Nous effacer et exécuter leurs ordres. Voilà l’attitude qu’ils nous dictent pour gagner notre pain ou l’exil. Devant notre stupeur et notre engourdissement, leurs consciences séniles jubilent de frénésie destructrice. Ils veulent créer leur vérité. Une vérité à leur image. Pour nous la réclusion, l’exil. Leurs discours sont de véritables somnifères. Chaque soir, ils anesthésient nos esprits. Leurs dîners et rencontres sont les occasions pour eux de jeter leur dévolu sur une carrière, ciblée de longue date. Un marketing durablement établi. Ils sont tous membres d’un réseau et ont un bon carnet d’adresses. Aucun d’eux n’ignore les habitudes des autres. Les mensonges ? Leur spécialité préférée. Cela leur sert à fabriquer une mentalité dans l’opinion de chacun de nous. Ils cultivent l’arrogance et l’ostentation. Ils n’ont dans leurs bouches que les menaces et les intimidations. En plus, ce sont des bigots hors catégorie.
Sans oublier qu’ils sont fiers de la logomachie de leur presse. Devant la rancœur et le désarroi que nous affichons, ils bâtissent une République qui devient, de jour en jour, leur fonds de commerce Et celle de leur progéniture
Les prostitués du pouvoir, les nouveaux harkis et autres spécialistes ès flicage et magouille en tout genre craignent la subversion par-dessus tout. Rien n’est plus dangereux que de devenir les béni oui-oui de ces clowns en mal d’inspiration. Ils ont fait de l’Etat une vaste machine à briser les volontés saines du pays. Leur tendance à la malveillance appelle notre répulsion, non notre perplexité.
Ils ont semé une mauvaise graine : le népotisme tribal. Nous effacer et exécuter leurs ordres. Voilà l’attitude qu’ils nous dictent pour gagner notre pain. Devant notre stupeur et notre engourdissement, leurs consciences séniles jubilent de frénésie destructrice. Ils veulent créer leur vérité. Une vérité à leur image. Pour nous, la réclusion. Leurs discours sont de véritables somnifères. Chaque soir, ils anesthésient nos esprits. Dans l’exil, la vie ressemble aux sables mouvants. Et j’ai le devoir de clamer l’amertume du monde, la perte d’identité, l’opacité de la douleur.
Sous le ciel maussade de Paris, les nuages pèsent lourd sur la ville où nous avons laissé nos idées fermenter au soleil pour les semer dans les consciences à venir dans les banlieues, cités maudites. Elles ont l’air d’un bloc de granit posé sur le sol qui n’a plus l’intention d’en bouger. Comme pour bouder le monde environnant. La cité efface le souvenir à la ville pourtant à quelques stations de RER. Cette ville semble être née à l’improviste. C’est une ville étrange, tel un souvenir éphémère des temps. La ville engloutie par l’obscurité ranime les souvenirs Les Hauts-Plateaux. Des nids de cigogne sur le toit d’ardoise de l’académie de la ville natale. Quand nous étions jeunes, au cours du mois de Ramadan, on parcourait les quartiers, dans l’obscurité, dans tous les sens à grand bruit et à grand fracas. Nos mères nous appelaient à travers les portes entrebâillées et les fenêtres des minuscules balcons de nos HLM
Banlieues de banlieues
La banlieue ? Des réverbères à la lumière vaporeuse. Un petit café situé à l’angle d’une rue. Une heure assez tardive de la nuit. Quelques clients éméchés dissertant. Une lumière blafarde. Un café devenu tribunal où se déroule un procès. Nous servons de décor à cette civilisation. Depuis des années, les gens de ce pays nous considèrent comme des éléments accessoires de leur paysage social. Monde inextricable. Paris, ville aussi belle que l’inconnue rencontrée sur le quai d’une gare.
Comme une main qui se pose sur l’épaule, moineau en quête d’une graine. De l’exil, tous les Pasteur du monde ne pourraient guérir ma rage. On ne cède pas facilement à l’engouement ambiant, à l’aliénation tissée d’année en année. Dans cette ville, chacun vit dans sa tête
On meurt à petit feu lorsqu’on se tait face à nos tyranneaux et autres apprenti-dicatateurs qui veulent nous priver du droit à la dignité en poussant nombre de jeunes dans la harga avec le risque majeur d’être à jamais englouti par l’océan. Qui organisent la terreur pour nous réduire au silence intégral. Nous maintenir sous leurs mains salies par le sang d’innocents sacrifiés par des décisions autant imbéciles que criminelles. Leurs structures, organismes et institutions sont livrés à des mains assassines. Mettre à nu leurs lâches besognes de bourreaux. Leur tendance naturelle à la malveillance. Dénoncer leurs flagorneurs et autre béni-oui-oui. Traiter par l’ironie ces bacs moins Eux qui brisent notre vie intime. Et font de l’Etat une machine à briser les forces saines. Erigent le secret comme un moyen de protection. Je sens sourdre en moi une juste et saine colère.
De la répulsion à l’endroit de nos geôliers. Je ressens l’incarcération, même à l’air libre. L’animalité ressort de leurs faces hideuses. Laquais du gouvernement, craignez la colère de vos peuples ! Marchands d’illusions aux consciences séniles et au népotisme tribal, craignez votre prochaine descente aux enfers. Vos discours ? De vains somnifères Comment oublier la répartie de Kamel ? « Je vis dans le bluff permanent. Ma vie est devenue un mensonge. Ma vie est une pute. J’ai envie de crever le néant qui me cerne et m’envahit de jour comme de nuit. Tu vois, mes entrailles sont un volcan et mon cœur une boule de feu. Je vole pour avoir de la tune, ma seconde drogue. Je vis dans un monde aux mille et un mirages. Je me tue tous les jours en faisant le tour des bars. Oui, mon ami, j’apprends à vivre sans espoir. L’identité, je me torche avec. La solitude, voilà qui est plus dangereux qu’el ghabra et qu’el ghorba. Vivre comme un petit vieux, ici ou là-bas, qu’est-ce que cela change ? Tu me l’as dit toi-même tout à l’heure, les jeunes de ta ville natale ont élu domicile dans les cafés qui fleurissent plus vite que les centres culturels. Bien plus, ils font les cent pas dans la même avenue depuis des années comme des sentinelles qui guettent un quelconque espoir ».
J’écoutais en silence. Kamel avait de la peine plein les yeux. Des yeux qui renfermaient des orages. Des yeux malicieux et intelligents. Un sourire qui se gaussait du monde et de ses abominations. Parfois, il avait l’air absent. Le regard vide. Devant une jeune parisienne qui passait devant la terrasse du café où nous étions attablés, il me dit enflammé : «Tu as vu ce paquet ? Comme je la soulèverais. Chouf, t’as vu ces petits seins arrogants ? Mais je respire le bougnoule Tu sais, je voudrais faire de chaque jour une fête. Je refuse de mourir avant d’avoir vécu. Parfois, je me sens de trop, je suis gêné. Peut être parce que j’ai pris l’habitude d’être rejeté. Tellement que je me sens devenir parano. J’en ai marre de désespérer. J’arrête de penser. Pourtant, comme il me plairait de vivre intensément. C’est de l’inconscience, n’est-ce pas ? C’est ça mon identité».
Comment taire l’aventure de Yasmina ? «Mon ami est en prison. Toute relation sexuelle étant interdite pendant les visites dans les parloirs, nous étouffions nos émois. Sa main dans la mienne pendant une demi heure. Joie indicible. Juste un sourire et un baiser. D’étreinte, point. Combien de semaines d’abstinence. Quand on s’aime, c’est difficile à supporter. Le sida ? Un risque certes, Mais aussi un épouvantail. L’administration pénitentiaire fantasme. Vivre de l’autre côté du mur, c’est difficile. Pour le comprendre, il faut faire l’opération inverse : les taulards à la place des surveillants et vice versa. On rirait bien. Devant tant d’ineptie, seules les larmes. Que voulez-vous ? Mon ami Ali en prison et moi sans travail. Que faire ? Nous avions décidé pourtant d’avoir un bébé. Histoire de nous souder davantage. Nous nous étions ravisés lorsque Ali tomba pour recel. Bêtement. Il me conjura de le garder. Après plusieurs mois, il était toujours prévenu. Sans jugement. Quelle serait sa peine ? On n’en avait aucune idée. Un avocat commis d’office. Vous pensez si cela le touchait. Quand je suis allée le voir à son cabinet, il me reçut quelques minutes. Le temps de m’écouter poliment. De me dire que tout se passerait bien Il me fallut choisir : continuer ma grossesse ou avorter. Dans les deux cas, une couverture sociale était nécessaire. Alors, autant opter pour la première solution. Surtout qu’Ali et moi nous le, désirions ce bébé depuis au moins trois ans»
Comment ignorer la réflexion de l’un de mes stagiaires incarcéré à Paris ? Communément un taulard. Une cellule qui ressemble à un poulailler avec de minuscules fenêtres. Dès le seuil, une odeur des plus nauséabondes vous serre les narines comme une tenaille. Parmi les occupants de ces cellules, il y en qui arrivent à être drôles. Certains paraissent enjoués, voir même décontractés. Ressemblance parfaite entre une cellule et une chambre de foyer. Des lits superposés. Exiguïté des pièces.
L’un d’eux me confia : «J’étouffe. L’agonie pointe à l’horizon. Perspectives bouchées par mes soupirs. Journées interminables. Ennui terrible. Les instants qui me restent à vivre sont devenus des barreaux. Le calvaire fait irruption en moi et bâtit sa toile d’araignée. Patiemment mais sûrement. C’est tout juste si mes râles ne trouent pas mon gosier. Les battements de mon cœur résonnent dans ma chambre. Une cellule en vérité. De plus en plus. Un ciel obscurci par des nuages menaçants. Encore quinze jours à tirer. Le temps prend un malin plaisir à me torturer. A se faufiler. Les barreaux de ma cellule me transpercent les yeux. La clé tourne dans la serrure de ma cellule, c’est l’instant qui reste à jamais gravé dans ma mémoire. Comment l’en extirper ? Je rêve d’un procès à l’échelle sociale pour inverser les rôles».
J’eus à observer les mêmes scènes dans d’autres foyers. Je fis- alors provision d’humilité pour apprendre patiemment d’eux ce qu’aucune université au monde ne dispense comme cours : la simplicité. Je retrouvais cette attitude dans la vie de tous les jours avec mes voisins d’immeuble où je résidais de très nombreuses années. Je l’appris également en banlieue, avec la « racaille » de la Courneuve. Dans la rue, dans les cafés, au marché, dans les grandes surfaces Je fus littéralement happé par cette modestie non feinte, teintée cependant par moments d’esprit de résignation importée du pays et moulée dans un coin de la conscience. Ces qualités vous aident à mieux vivre tous vos tracas quotidiens. Plus tard, je rencontrais d’autres voisins à Cergy, une ville nouvelle. On y pratiqua jusqu’à une certaine mesure la mixité sociale. On pouvait y voir autant de visages basanés et moustachus que de noirs d’Afrique et de blancs d’Europe. Il est vrai néanmoins que les premiers avaient plus de difficultés
Et pourtant Et pourtant, dès la descente d’avion, une chaleur étouffante. Comparée à la grisaille parisienne… Dès l’aéroport, vous êtes happé dans des draps linguistiques bariolés aux couleurs locales. Emerge alors en vous une indescriptible envie de vous envelopper dans votre particularité d’individu réinséré dans sa matrice originelle. Les salam alikoum fusent et vous rappellent irrémédiablement que vous êtes quasi génétiquement du pays. Il ne saurait y avoir de place pour plus d’une patrie. Il est vrai aussi que moult contingences vous rivent à l’émigration, la Terre étant devenue dit-on un village planétaire
16 septembre 2011
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