Yasmina Khadra, oublie sa dernière escapade au Bahreïn et donne des leçons à l’élite algérienne : “Avec qui construire la démocratie en Algérie ?”
Posted By faycal On 6 septembre 2011 @ 16 h 13 min
Yasmina Khadra vient de publier un roman consacré au continent noir «L’équation africaine» (éd. Julliard). Il donne à cette occasion un long interview au site Staleafrique.com [2].
Le directeur du Centre Culturel Algérien à Paris a été récemment critiqué [3] après son voyage au Bahreïn où il avait reçu un prix, alors que la population de cet émirat se faisait massacrer [4] à la place de la Perle, avec l’aide de l’armée saoudienne. Yasmina Khadra a même publié un reportage dithyrambique sur Bahreïn.
Nous reprenons la partie de l’interview consacrée à l’Algérie et le printemps arabe, où l’écrivain fustige “les élites algériennes”, pas assez engagées à son goût dans la défendre de la démocratie. C’est un peu osé quand même venant d’un romancier qui chante les louanges d’un émirat en plein répression.
Vos premiers romans se déroulent en Algérie. Ils analysent la société algérienne. Avez-vous l’intention de consacrer d’autres romans à l’Algérie ?
Je ne sais pas. Je crois avoir dit l’essentiel de ce que je prétends connaître de mon pays dans une bonne dizaine de romans. En vérité, j’écris sur profonde inspiration. Quand un sujet m’interpelle, il se confie à moi. Quand c’est moi qui le provoque, il se rétracte et me fuit comme la peste.
L’influence du printemps arabe
Comment expliquez que l’Algérie connaisse toujours des attentats aussi meurtriers. La guerre civile est-elle réellement achevée?
Parce que le mal n’a pas été cerné ni traité de façon raisonnable. On n’attendrit pas un crocodile en essuyant ses larmes. Le terrorisme, en Algérie, est un fonds de commerce et un divertissement pour ses acteurs. Devant la faillite d’une politique et la démission d’une société entière, la gangrène se poursuit. Il faut du courage et de l’honnêteté politique et intellectuelle pour venir à bout de l’intégrisme, et nous en manquons lamentablement.
Quel regard jetez vous sur le printemps arabe?
J’ai appris à ne pas chanter avant d’être sûr de ne pas déchanter. Le printemps arabe s’est déclaré 23 ans après le printemps algérien. Le nôtre a été fait de foudres et d’orages, et nos champs ont troqué leurs coquelicots contre des plaies et des mares de sang. Je préfère attendre au risque de dire des bêtises.
Comment analyser vous la chute de Kadhafi?
Bon débarras! Ce n’est qu’un tyran qui tire sa révérence. Le problème maintenant est de savoir quelles conséquences aurait la guerre civile libyenne sur l’hypothétique stabilité de la région où toutes les conditions d’un embrasement général sont réunies. Je suis très inquiet.
Un certain nombre de politologues considèrent que l’Algérie ne pourra pas échapper à des réformes, à une démocratisation du fait de l’impact des révolutions arabes. Est-ce votre opinion?
L’Algérie ne sait plus ce qu’elle veut ni comment se regarder au fond d’elle sans vomir. Je suis rentré le 4 septembre d’Oran. C’est comme si j’émergeais d’un mauvais rêve. Les élites algériennes pratiquent la politique de l’autruche et sont persuadées que le tort des autres est une absolution pour les leurs.
Le rôle des élites
L’Algérie est-elle mûre pour une démocratisation? Si oui, qu’est ce qui l’empêche d’avoir lieu rapidement?
Pour construire une démocratie, il faut former une nation, ensuite la sensibiliser puis la responsabiliser. Avec qui? Avec des responsables corrompus, des intellectuels plus occupés à se descendre en flammes qu’à briller, des administrations pourries, des réformes bidons, des universités et des écoles sinistrées? Le miracle est un programme mûrement réfléchi et étroitement suivi, pas un coup de sort.
Les écrivains peuvent-ils et doivent-ils contribuer à ce processus de démocratisation?
Les écrivains ne sont que des personnes, plus subjugués par leurs images que par leurs idées. Certains sont sincères comme le sont des guichetiers ou des ingénieurs, d’autres sont de mauvaise foi aussi fascinés par le profit et la prédation qu’une phalène par la lumière. La littérature n’est qu’une vocation. Ce sont les gens de bonne volonté qui changent le cours de la fatalité. Ils pourraient être syndicalistes, instituteurs, artistes ou qu’illustres inconnus jusqu’au jour où ils décident de relever les défis.
Les intellectuels algériens ont-ils un poids réel sur la société. Les écrivains sont-ils écoutés par l’opinion publique et les décideurs?
Les intellectuels sont leurs propres ennemis. Dès qu’une tête émerge, ils se dépêchent de la décapiter. Pour vous faire une idée, allez sur les sites web algériens et voyez comment on me traite. Plagiaire, espion, ce n’est pas moi qui écris mes livres, et toutes les sornettes possibles et imaginables. Quand on est dans une telle paranoïa, on n’a aucune chance d’être utile aux autres, encore moins à soi-même.
La fiction peut-elle changer la vie en Algérie et ailleurs?
L’Algérie est déjà une fiction. Cependant, je pense qu’un bon écrivain pourrait réapprendre aux Algériens à rêver.
Propos recueillis par Pierre Cherruau
Source : Slateafrique.com
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[2] Staleafrique.com: http://www.slateafrique.com/36107/khadra-algerie-somalie-litt%C3%A9rature
[3] critiqué: http://www.algerie-focus.com/2011/06/29/cest-indigne-monsieur-khadra/
[4] faisait massacrer: http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2011/02/17/001-bahrein-assaut-manama.shtml
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15 septembre 2011
LITTERATURE