« Vive Mustapha Kemal Pacha !», a crié Messali Hadj jeune dans un café tlemcénien fréquenté par des soldats français à l’époque coloniale. A l’époque, le général turc était un idéal de lutte, d’indépendance, de force et de rigueur et d’héroïsme. C’est l’image qu’on en avait dans le monde des colonisés arabes. Messali est mort, Atatürk aussi, mais la Turquie est encore vivante et de retour dans le monde arabe.
Ces jours-ci, Erdogan, le Premier ministre turc, a été accueilli comme une sorte de Saladin en Egypte. Il a été écouté, ovationné, applaudi et salué au siège de la Ligue arabe. Cet homme est revenu presque «chez lui», dans le périmètre d’un empire qui est aux siens et dans une géographie où les siens ont fait l’histoire. Les rêveurs sur une renaissance des Arabes ou une Nahda meilleure que celle des prosternations et de la marque sur le front, crient eux aussi «Vive Erdogan» aujourd’hui. La Turquie est donc à nouveau un modèle. C’est un pays qui a réussi à sauver ses meubles, à préserver sa laïcité, même si elle est encore instable, à relancer son économie par les PMI/PMI et pas par des discours de réformes, à gérer sa proximité avec l’Europe et Israël sans tomber dans les enthousiasmes et les passions inutiles et qui peut se promener dans le monde sans avoir honte des siens et de ce qu’il fait.
L’équation des islamistes et du Pouvoir n’a pas abouti au terrorisme mais à la bonne intelligence et le rapport avec l’Occident n’est pas vicié par les débats sur «le complot mondial sioniste», «la main étrangère», la religion contre les minijupes ou la course à la construction des mosquées hideuses dans les villes et les villages. La Turquie a compris et Erdogan a compris à son tour. Du coup, il en devient un modèle et réduit les autres chefs arabes, encore au pouvoir, à une sorte de club de deys futurs.
Intelligent, le gouvernement turc a compris comment fédérer les émotions des musulmans en s’investissant dans le conflit palestinien, mais pas seulement avec le vent dans la bouche. Il a aussi saisi le sens profond du printemps arabe et compte en faire une occasion pour son retour dans ce monde et une aire d’extension pour son influence et son économie en quête de marchés. Erdogan plaît à tous et il le sait : aux islamistes qui veulent le pouvoir, aux laïcs qui ont peur des islamistes et qui y voit une solution par l’équilibre, aux nostalgiques de l’empire de puissance, aux rêveurs d’un futur possible, aux libérateurs assis de la Palestine, aux entrepreneurs rackettés par les dictatures dans le monde arabe, aux chefs d’entreprise libéraux en manque de soutien dans nos pays. C’est le fantasme de «la solution» manquante depuis la chute de Grenade.
Bien sûr, le rêve a son revers dans la réalité : cet homme est rusé, son islamisme est dormant et sa technique est parfois opportuniste à l’extrême, mais c’est la définition du «politique» et cela n’enlève en rien au Turkish way of think, qui se consomme chez nous sans retenue. On comprend que, perdu entre révolution et colonisation, entre l’angoisse et la peur, entre dictatures et chaos, entre massacres et bombardement, entre réformes et mensonges, le monde arabe voit dans cet homme un refuge et dans l’empire turc, une protection des Ottomans.
Et encore une fois, c’est l’échec pour «nous». Pourquoi ce pays a réussi et pas nous ? Pourquoi Erdogan est «élu» par les Arabes et par les musulmans et pas seulement par les Turcs ? Parce que justement il est élu. Il est légitime. Il en est fort. C’est la seule solution. Celle que les dictateurs, ne comprennent pas : la démocratie.
15 septembre 2011
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