Qu’est-Ce Qu’un Etat ? C’est ce qui va de la propreté des chaussures à la Constitution. Le Pouvoir, c’est ce qui va de la Constitution à la poche. Humour donc, même si le sujet est terrible : en Algérie, tout le monde le dit de toute l’époque : il n’y a plus d’Etat. Si un jour des Algériens feront la révolution, ce n’est pas pour faire tomber une dictature mais pour mettre fin à une non gouvernance.
Le pays n’est plus gouverné et on le sait. Cela se voit dans la façon de conduire, de stationner, de refaire le procès de l’Indépendance ou de s’habiller ou de voler les trottoirs par kilomètres entiers sous l’aisselle du plus rapide. Mais de toutes les amertumes en collection, le chroniqueur retient cette lettre écrite par un ami espagnol, ami d’Oran et fanatique de son histoire, vivant ici depuis des années et pas en cosmonaute. On y lit la déception de l’Algérien, pas celle de l’étranger. On y retrouve cette origine évidente du mal algérien : la démission. On y diagnostique pourquoi on ne peut pas promouvoir le tourisme dans un pays qui ne rêve pas lui-même. On y comprend que le Pouvoir n’est qu’une partie de notre mal national. On y décèle la déception, la colère mais aussi l’envie de ne pas baisser les bras que nous Algériens avons baissé jusqu’aux cendres de nos ancêtres. Lisez, cela vaut qu’une biographie nationale. Cela s’est passé à Oran mais aussi partout ailleurs.
«Se faire voler un portable c’est une chose presque quotidienne; ça nous arrive, mais ce qui m’a bouleversé, ce sont les circonstances. Je suis monté à Santa Cruz avec une artiste espagnole qui était en train de visiter Oran, et avec R mon homme de confiance qui surveille toujours avec beaucoup de discrétion notre sécurité personnelle. De Santa Cruz, on est monté au plateau du téléphérique où se trouve le marabout. Il y avait des familles, la garde communale, etc. Je n’avais pas sens de danger. Je suis monté là-bas mille fois avec des invités. C’est normal, c’est l’endroit le plus «touristique» d’Oran, une visite obligée pour tous ceux qui arrivent à Oran pour la première fois. Il y avait pas un, mais deux groupes qui nous ont attaqués. Les gardes communaux ont tout vu. Je criais en demandant secours et ils n’ont rien fait. On dirait qu’ils étaient d’accord avec les agresseurs.
Est-ce que vous pouvez vous imaginer d’aller à Paris et ne pas visiter la tour Eiffel car la visite serait dangereuse ? ou à Barcelone la Sagrada Familia ? Ou à New York à la statue de la Liberté… Ceux qui parlent de développer le tourisme en Algérie … sont-ils conscients que la première chose qu’un touriste cherche c’est la sécurité de sa destination ?
Je ne vais pas jeter l’éponge. Vous connaissez bien mon engagement avec cette ville même plus loin de mon rôle comme directeur du centre culturel espagnol… on a fait (Algériens et Espagnols) pas mal des choses ensemble pour le patrimoine de la ville d’Oran: la Promenade de Létang, le classement de Sidi El Houari, les visites aux fortifications et tunnels de la période espagnole, etc. C’est tellement difficile de sécuriser les miradors du Murdjadjo ? Quel est le sens d’avoir peur à jouir d’une ville si belle comme Oran ? L’important c’est d’éviter que ces choses vont se répéter au futur. Si cette lettre sert à ce qu’il y ait de la sécurité à Santa Cruz, et que la mienne soit la dernière agression, je serai même «content» d’avoir être agressé.»
Tel quel, avec l’émotion de la langue imparfaite et de l’élan sincère. De quoi nous indiquer par quoi commencer quand on veut vivre dans un pays et y partager la vie des autres. Cette lettre fait mal mais servira à corriger les grands discours et à réduire les narcissismes qui nous aveuglent.
12 septembre 2011
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