Il y a deux années à peine, l’actuel chouchou des humoristes algériens, Abdelkader Secteur,était une inconnue du grand public.
En un peu de temps, grâce au bouche à oreille d’abord et ensuite par l’intermédiaire du site internet de Youtube, il est en passe aujourd’hui de réussir une grande carrière notamment après avoir été parrainé par l’artiste franco-marocain Djamel Debbouze qui a trouvé en lui que du talent pur pour l’avoir sponsorisé auprès du monde artistique d’outre-mer.
C’est un véritable exploit pour celui qui n’a connu aucune académie artistique mais simplement de l’expression de la rue comme des milliers de ses semblables, le voici maintenant en haut de l’affiche à condition que la créativité ne se tarit pas et qu’il ne s’éloigne point de son originalité. Il fait partie de ces innombrables légendes anonymes du rire dont dissimule notre société et qui s’inspirent des entrailles de ses sources.
Abdelkader, toujours en haut de l’affiche
Actuellement, Abdelkader fait un tabac partout où il se produit. Après avoir conquis le large public de la communauté magrébine vivante en Europe où il évolue dans un langage en arabe dialectal mixé aux expressions françaises comme on en parle tout le temps dans nos quartiers, le voilà qu’il enchaîne les tournées dans le pays où il est réclamé de partout. La demande est tellement trop forte qu’il n’arrive pas à satisfaire toutes les sollicitations. Ses fans sont totalement relâchés et tous acquis dès qu’il lâche les premiers mots pour chauffer la galerie. Ils ne veulent absolument rater aucun tic ni l’infime geste de celui qui les fait transcender dans une autre dimension.
Son dernier passage dans la ville de Mostaganem en ce 23ème jour du mois du Ramadhan a ameuté la grande foule. La salle où il s’est produit s’est avérée trop exigüe pour contenir tous les fans qui ont voulu découvrir en chair et en os la nouvelle étoile montante de l’humour. Devant un tel engouement, les organisateurs avaient même évoqué l’idée de le faire évoluer dans un stade ! Mais il fallait toute une autre organisation de la scène du spectacle.
Si l’on regarde de plus près son style, on peut facilement constater que des spécificités du type « Abdelkader Secteur » pullulent dans tout le terroir du pays, chacune dans le style particulier de sa région. Lorsqu’on regarde jouer le natif de Ghazaouet, on a l’impression d’avoir vu quelque part ces phénomènes de son espèce. Ils flânent tous les jours les ruelles de nos villes et villages. Ils sont très nombreux mais ce sont les carences de la prospection de cette richesse artistique qui font obstacles à leur émergence. Ce n’est que la chance comme celle d’une coïncidente rencontre avec Debbouze qui peut les exhumer aux feux de l’actualité. L’Algérie pourrait en forger des centaines d’artistes qui animent la rue dans toute son étendue.
Ah ! Ces artistes anonymes de rues
Ils te décortiquent la société comme personne ne peut le faire et la scrutent avec des yeux singuliers. Ils constituent son âme profonde et régulent son pouls à souhait. Une petite plaisanterie lancée de leurs critiques gosiers peut rapidement détendre l’atmosphère et faire baisser le thermomètre. Ils analysent la société dans laquelle ils vivent plus que n’importe quel sociologue car ils respirent sa joie, ses malheurs et ses problèmes. Ils sont le baromètre naturel et la température adéquate de leur espace.
Ils enchaînent les numéros à la cadence des changements de leur environnement. Ils ont toujours quelque chose à converser, à exprimer et à créer. Dès qu’ils sont lancés dans leur tableau, tu n’as plus envie de les arrêter. Attention à celui qui veut les défier, ses plus petits défauts sont immédiatement étalés sur la place publique avec une étonnante description de tous ses mimes. Les pitreries vont pleuvoir sur votre tête sans aucune pitié. Ils assomment de leurs facéties, je dirais volontiers, de leurs heureuses victimes.
Ils monopolisent sans arrêt la parole mais les farces sont légions. Ils ne te laissent point de répit par la vitesse incroyable de leurs bouffonneries. Ils sont façonnés de cette manière, ils ne savent pas évoluer dans un registre antipathique. Ils ne répandent que le bonheur de vivre quoique la majorité d’entre eux demeurent en dessous du seuil critique. Ils ne parlent que très rarement de leur vécu. Détrompez-vous, ils ne vont pas rester pensifs et dépressifs dans leur coin, ils ne peuvent résister de semer la gaieté et la bonne humeur. C’est le rôle inné qui leur est assigné par la collectivité.
On ne peut concevoir un instant leur manque à la société qui devient tout simplement infortunée. Ils sont capables de transformer un deuil en fête. Ils sentent la vie comme nous sentons ordinairement une fleur. Les artistes populaires de cette trempe sont à l’état cru. Ils possèdent un registre très varié connu essentiellement des intimes initiés. Il leur suffit d’une formation appropriée pour sortir de l’ombre et nous produire de fabuleux résultats. Les caractéristiques de ces artistes de rues, nullement de manière péjorative, ne se trouvent pas seulement que chez une catégorie de la société mais elles existent également chacune dans son style chez les vieux comme dans le milieu féminin.
Malgré la multitude de ces acteurs, il est très rare de voir quelqu’un tenter l’expérience du professionnalisme du fait de l’absence de circuits dévoués. Depuis Fellag, on n’en a pas assez vu sur les planches d’une salle. Si nous nous comparons par rapport à un pays comme la France où on voit arriver tous les ans au summum de la popularité de nouvelles recrues. Nous remarquons que ce terreau artistique n’est pas exploité à sa juste valeur pour une société qui s’extériorise dans la cité. Au Maroc, c’est à la célèbre place Djamâa El-Fna de Marrakech que ces aptitudes sont exposées dans ce théâtre à ciel ouvert, pourtant nous possédons exactement les mêmes ingrédients que nous voyions jadis pulluler le plus généralement dans nos souks et marchés.
Adda, Paka, Bountou, Abed et les autres
Adda Aliane est l’un de ces talents purs qui déambule dans la ville de Relizane. Dès que vous l’apercevez, un large sourire se dessine sur votre visage à force de se souvenir de ses blagues qui vous ont pliés de rire en deux ou trois morceaux depuis votre enfance. Il prend toujours la vie du bon côté, jamais de sa mauvaise face. Il véhicule cette sensation que lui seul sait l’opérer.
Si vous le mettez sur scène, il ne s’arrêtera pas de distraire les amis. Des One man show tous les jours en pleine nature au milieu de ses amis étalés en ronde autour de lui. Ce que vous appréciez chez ce bonhomme, c’est sa facilité de trouver le verbe et la juste expression pour chaque différente situation et aussi par la générosité dans ses actes. C’est cette authenticité de création qui vous fascine en lui. Vous ne manquiez rarement de nouveautés et à toutes les sauces. Ses répliques sont légendaires et foudroyantes pour le cœur à force de faire osciller les muscles de votre poitrine et conséquemment de votre ventre jusqu’à provoquer une terrible résonance lorsqu’on s’approche de sa fréquence optimale. Une overdose est à éviter. Attention quand-même aux cardiaques qui sont appelés à s’abstenir !
Il peut vous faire déclencher un fou-rire comme un tonnerre de l’intérieur vers l’extérieur et dont il serait difficile de le stopper. La seule façon d’en mettre fin est de s’éloigner de son centre de gravité. L’épicentre peut vous faire éjecter des larmes chaudes de vos pauvres paupières qui ne peuvent plus en supporter cette magnifique torture.
Le rire est un sensationnel guérisseur naturel de tous les maux et demeure une véritable thérapie du groupe comme l’ont déjà mentionné d’éminents spécialistes. Il vous extirpe toute la hantise et la déprime et vous faire oublier tous vos soucis et de vos déceptions du moment. Il véhicule aussi un message, c’est celui de la santé morale d’une société. Une société qui ne sourie pas est condamnée à la dépression. Une bouffée de rire à doses ajustées est plus que nécessaire telle une piqûre pour un malade. C’est un véritable remède et un antidote qui peuvent vous redonner un autre équilibre. Un sourire est une aumône envers ton frère comme le souligne notre prophète que le salut soit sur lui.
Notre cher Adda vous invente tous les jours un truc qui sort de l’ordinaire. Il en a toujours un petit tour dans son sac. Durant le mois sacré du Ramadhan, Adda achète pour ses révérés patients tous les jours une bouteille d’eau minérale fraîche à 30 DA pour remplir un vaporisateur. Tel un formidable guérisseur, il asperge les amis de cette eau bénigne là où il passe sur la place de la mairie et en n’oubliant pas ses habitués à son PC au café El-Feth. Il vous rafraichit le visage par ce mois sacré arrivé en ce mois d’août des grandes chaleurs. Ses fidèles clients en redemandent de ce rafraîchissement qui vous fait tenir encore pour un bon quart d’heure notamment par ces longues journées de carême. C’est une idée très originale et à moindres frais pour semer la bonté en plus d’une petite anecdote ou d’une sympathique boutade lancée pour vous faire encore secouer vos creux intestins en ce milieu de journée. Cette annonce du jour n’est qu’un prélude à la soirée tardive qu’il veillera avec ses amis jusqu’à l’heure du Shor où il sera toujours son indétrônable animateur.
Dommage que l’éclosion de ces artistes de rues n’a pas été portée sur les planches. Lorsque vous êtes stressés, n’hésitez pas à lui rendre visite, il vous ôte toute la pression qui vous surplombe le dos. Je connais l’ami Belkheir qui vient justement de France pour subir cette thérapie du rire. Un mois passé en sa compagnie et son réservoir est rempli à ras le bord, reparti à bloc après un séjour passé en sa présence. Il retournera chez lui les batteries rechargées pour une partie de l’année. A chaque fois qu’il en a besoin, un coup de téléphone lui suffit pour prendre sa bonne dose à distance et de repartir de plus belle vers sa destinée. Entre-temps, le répertoire de Adda s’est étoffé d’autres variations, Belkheir serait déphasé s’il couperait ses liens.
Bienheureux Adda, un toubib ambulant qui peut effacer toute trace du mauvais caractère de votre physionomie par un coup de sa baguette magique. A sa vue, vous êtes envoutés par un tel étalon qui vous transpose dans un autre espace. Il vous fait oublier toutes vos contrariétés et de toutes vos mésaventures d’une seule chronique. Il distribue ses dons et particulièrement aux amis qui savent les apprécier. Alors imaginez, tous ceux qui vivent dans son sillage tout au long de l’année. Ses compagnons de tous les jours sont gâtés par un tel accompagnement. Ils vivent l’enchantement total en prenant la vie que du bon côté. Ils voient toujours la vie avec la simplicité absolue, ils ne se la compliquent jamais. Si ces traitements thérapeutiques manquaient à une ville, elle croulerait certainement dans la tristesse. Un hommage spécial à ces sacrés artistes de la rue, un point particulier aux surdoués Adda, Paka, Bountou, Abed et j’en passe et une bonne continuation à la désormais vedette internationale de l’humour algérien l’infatigable Abdelkader Secteur !
11 septembre 2011
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