Tripoli est libre, Kadhafi aussi. L’un est plus aux abois que l’autre. Paradoxalement, Tripoli reste protégée par la puissance de feu de l’OTAN, sa liberté est donc relative, tant que Kadhafi n’est pas arrêté mort ou vif.
Ensuite la capitale libyenne restera dépendante du dégel de ses propres avoirs à l’étranger. Récupérer ses propres biens cela s’appelle aide. Belle démonstration de dépendance. La mère des batailles du CNT est le déblocage des fonds dans les banques occidentales. Par une involontaire symétrie avec le discours de Kadhafi qui le 21 février dernier, appelait le nettoyage rue par rue, maison par maison, pièce par pièce Le CNT se bat capital par capital, banque par banque, compte par compte pour récupérer ses avoirs dont la valeur exacte est encore imprécise puisqu’estimés entre 160 et 170 milliards de dollars, soit une marge d’incertitude de 10 milliards, l’équivalent de 25% du PIB tunisien dont la population est double de celle de la Libye.
A la demande des Etats-Unis, le conseil de sécurité débloque généreusement le 25 aout, 1,5 milliard des avoirs appartenant aux Libyens mais qui n’ont pas leur mot à dire quant à leur utilisation. Curieusement appelés aide, ces fonds sont autoritairement répartis en trois tiers. Le premier envoyé directement à des groupes humanitaires internationaux, le second pour le paiement des factures impayées de carburant et le dernier pour le CNT (salaires et frais de fonctionnement y compris les billets d’avion et chambres d’hôtels).
Il est vrai que les représentants du CNT se déplacent beaucoup.
De Doha, à Istanbul, Rome, Londres et surtout à Paris, le CNT répète que le combat du peuple libyen n’est pas terminé. En d’autres termes, il demande le maintien des opérations de l’OTAN. Ce à quoi Nicolas Sarkozy répond : «Les opérations cesseront lorsqu’elles n’auront plus lieu d’être» lors d’une conférence de presse en présence de Mahmoud Jibril, premier ministre du CNT. Ainsi l’OTAN poursuit cette guerre éclaire vieille de plus de 5 mois. Le CNT cherche à valider son autorité en s’appuyant sur la puissance de feu de l’OTAN, en versant des salaires et en payant des factures en souffrance. La composition hétéroclite des rebelles est une entrave à l’établissement de l’autorité de CNT à l’intérieur du pays. Sa représentativité se situe essentiellement sur le plan international.
Il n’en faut pas plus pour gérer les importants flux financiers et signer les contrats pétroliers et de reconstruction. Sur ce plan, le président français qui s’est fait floué par Kadhafi, entend bien combler le déficit de la balance commerciale.
Déjà obligé de justifier la visite de Kadhafi en 2007, Nicolas Sarkozy déclare à Lisbonne lors du sommet Union Européenne-Afrique (décembre 2007) : «le président de la république française se retrousse les manches pour chercher un à un les contrats», à l’époque il a réçu en grandes pompes le guide libyen : camping sous tente à deux pas de l’Elysée, promenade sur un bateau mouche, visite privée du château de Versailles, chasse organisée dans le domaine de Rambouillet, collation à l’hôtel du Ritz Ce n’est plus un protocole de visite d’Etat c’est un programme de voyage de noces.
Le mariage est un peu forcé et la corbeille est vide sinon de papiers et d’encre, assemblage appelé contrats, jamais respectés. Maintenant en défendant les valeurs démocratiques le président français peut remplir lui-même la corbeille. Il a gagné son duel avec Kadhafi comme Obama avec Ben Laden. Victoire ultime, se tient ce premier septembre à Paris la réunion des amis de la Libye, appellation contrôlée qui regroupe notamment les patrons du CAC 40. Oubliées ces festivités du premier septembre où les représentants des démocraties occidentales se rendaient à Tripoli l’encensoir à la main et les présidents des grandes multinationales y allaient comme les maquignons vont au salon de l’agriculture. Belle atrophie de mémoire.
Bien sûr, le premier septembre date de célébrations rituelles dans les rues de Tripoli, est totalement différent cette année, car les Libyens qui comptent (ceux qui discutent en toute liberté avec Bernard Henry-Lévy) fêtent ce jour à Paris et sans faire de mauvaises rencontres auxquelles les commémorations de la prise de pouvoir de Kadhafi sont coutumières. Le Guide n’a jamais manqué d’inviter les dictateurs notamment africains, les corrupteurs de tous bords et les terroristes des causes périmées ou incertaines.
En revanche à Paris, ce premier septembre que du beau monde pour le sommet de soutien pour la Libye nouvelle pour entendre le message du président français : «bombarder plus pour gagner plus», ce à quoi le CNT répond «ceux qui m’aiment prennent le pétrole». Les échanges économiques plus ou moins consentis sont assez clairs, et la politique ? Le CNT promet la démocratie, le respect des droits de l’homme mais pour le moment, piétiner les portraits de Kadhafi ne constitue pas un projet de société, bien que la matière première soit surabondante. Le discours du CNT est essentiellement victimaire : Kadhafi un boucher, l’Algérie complice Alors qu’Alger n’a procédé qu’à un regroupement familial. Plus sérieusement, la neutralité de l’Algérie interpelle, ce pays ne reconnait pas encore un gouvernement hébergé dans des chambres d’hôtel, un peu comme celui de Vichy mais la comparaison s’arrête là.
C’est promis, le CNT s’installe à Tripoli, alors que cette ville est sous le contrôle du gouverneur militaire, Abdelhakim Belhadj, un ex-djihadiste moyennement repenti. Ancien militant en Afghanistan, l’époque où les islamistes chassaient le soldat soviétique de Kaboul, Belhadj poursuit son «djihad tour» au Pakistan et en Irak.
Après un séjour carcéral en Asie la CIA le remet entre les mains des services libyens en 2004 pour être libéré par Saif Al-Islam Kadhafi en 2009, avec quelques huit cents autres acolytes, à condition de renoncer à la guerre sainte contre Kadhafi.
Il a presque tenu parole puisqu’il combat Kadhafi, depuis février dernier, au nom de la démocratie et non au nom de l’Islam. Pour le moment Abdelkrim Belhadj est en quelque sorte le chef du «Tripolistan». Il va accueillir son nouveau président, Mustafa Abduljalil, sacralisé à Paris, reconnu comme représentant légitime du peuple libyen par les puissants de ce monde mais une fois installé à Tripoli, il risque d’être au mieux un «sous-Karazai» et au pire un porte-voix d’un nouveau Paul Bremmer, version française, alors que la Libye a besoin d’un dirigeant qui soit un doux mélange entre un Laurence d’Arabie et un Otto Von Bismarck.
11 septembre 2011
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