Culture :
Ce fut en marge du méga-concert qui s’est déroulé à la fin du mois d’août 2011 à la salle Yamina-Oudai de Cherchell, que le chanteur et rocker algérien Baâziz s’est confié au Soir d’Algérie.
Le Soir d’Algérie : Baâziz, lors du méga-concert de Cherchell, ne semble pas avoir démérité de sa réputation d’icône du rock contestataire, typiquement algérien. La gent féminine qui fut présente en force semble traduire cette volonté de lutte contre les tabous et les préjugés. Comment expliquez-vous cette affluence nocturne durant le mois de Ramadan à Cherchell ?
Baâziz : Je rappelle d’abord que ce méga-concert organisé à l’initiative personnelle de Baâziz est destiné aux démunis, aux pauvres des zones rurales à la petite enfance et à l’ensemble des nécessiteux afin de leur permettre d’avoir des habits neufs et décents lors de l’Aïd et des trousseaux scolaires pour la rentrée scolaire. J’ai été pauvre, il m’était arrivé de ne pas fêter l’Aïd, car je n’avais pas de vêtements neufs et décents. Mes pensées aujourd’hui vont aux pauvres qui vivent des situations précaires, identiques à celles que j’ai vécues. Pourquoi un méga-concert ? Je m’explique : il s’agit d’une idée proposée par deux jeunes que j’ai pu concrétiser. Plusieurs chanteurs de renom, à l’instar de Djalti, Rédha Sika, Hichem Mesbah, Kamel Bouâkaz et Mohamed Rouane, ont accouru en offrant leurs services pour la tenue et la réussite de ce méga-concert. Des sponsors ont manifesté leur disponibilité financière et matérielle. Je les en remercie de tout cœur. En effet, outre une affluence massive nocturne des jeunes, j’ai été agréablement surpris par une grande présence féminine à ce concert. J’ai apprécié d’être repris en écho dans mes chansons. Mais, n’oublions pas que Cherchell et l’Algérie sont dans mon cœur. Elles me retournent superbement cet amour. Je précise, à ce titre, que je suis un fervent amoureux de mon pays et de la démocratie. Si je suis controversé pour mes chansons engagées, c’est parce qu’elles sont destinées à la liberté de penser, de parler, d’écrire et de chanter. Je ne suis ni rebelle, ni anti-conformiste.
Comment appréciez-vous l’engouement de la jeunesse algérienne pour votre style, sachant par ailleurs que vos albums «Rock’n Bled» et «Café de l’indépendance» restent à connotations sociale et politique en étant, de ce fait, portés par une jeunesse algérienne résolument engagée et opposée à la hogra ?
Certains de mes admirateurs et fans m’ont expliqué que la présence et l’adhésion massive de ces jeunes se justifie par une communion d’attentes et de préoccupations. On m’a expliqué aussi que ces jeunes se mettent à niveau avec les idées et le militantisme de Baâziz, vrai ou faux ? La réalité est là. La réponse est donnée par les échos de ces milliers de jeunes dans des concerts et des stades archi-combles. Je réponds à mes interlocuteurs que ces nouveaux jeunes sont plus conscients, plus courageux et plus audacieux que nous, leurs aînés. Il n’ont peur de rien, le suicide des harraga en est la preuve dramatique et désolante de ces jeunes qui meurent à la fleur de l’âge. Peut-être que ces jeunes traduisent autrement et peut-être avec violence leur ras-le-bol. Il se peut que cette adhésion à mes chansons s’explique par l’intangibilité de mes principes pour la démocratie et la liberté, par ma sincérité, ma crédibilité et mon combat pour une Algérie meilleure. Merouane, un guitariste de mon groupe m’a rappelé que lors des concerts qui ont eu lieu dans plusieurs stades d’Algérie, des milliers de jeunes présents scandaient à notre total étonnement et à notre grande surprise : «Baâziz président ! Baâziz au pouvoir». Cela nous a amusés, mais au vu de l’engouement total de ces jeunes, nous avions compris que le phénomène Baâziz représentait pour ces jeunes un idéal en mesure de transmettre le message, l’anxiété, les préoccupations, les attentes et le marasme qu’ils vivent.
Outre l’affluence à vos concerts de Cherchell et d’Alger de ces milliers de fans, nous avons constaté la présence à Cherchell de votre famille, comment réagissez-vous à cette présence familiale ?
S’agissant de mon défunt père, qui était musicien, j’ai eu connaissance du témoignage du moudjahid Mohamed Kebilène à propos du parcours révolutionnaire de mon feu père Bekhti Ahmed Mansour. Il avait dit à ce titre que mon père arborait toujours fièrement son banjo au visage des colons en haranguant ses compatriotes et en écorchant l’occupant français par des chansonnettes anti-coloniales lors des fêtes populaires et familiales. Mohamed Kebilène, animateur et organisateur de la manifestation du 1er mai 1945 qui s’est déroulée à Cherchell, avait évoqué le rôle et la part pris par mon père lors de cette manifestation à laquelle prirent part plusieurs Cherchellois galvanisés par mon père et par Kebilène. J’ai appris aussi que cette manifestation a été réprimée violemment par les colons. Ce rappel historique fut émouvant pour moi, mes frères et mes sœurs. Ce fut notre fierté lorsque nous avons appris que le moudjahid Med Kebilène avait lancé cette marche aux côtés de mon père qui fut aux premiers rangs des manifestants Concernant ma sœur aînée qu’on prénomme affectueusement Aouicha, elle fut un repère, une parfaite conseillère et une grande sœur pour moi, douce et passionnée pour mon style et mes positions. Je prenais en compte ses conseils et ses avis. Légataire du double héritage culturel et politique de mes parents, je m’inscris aussi dans la continuité et la lignée revendicative, révolutionnaire et démocratique de mon regretté père. Concernant les thèmes de mes chansons, je réponds que je ne fais pas de différence entre l’artiste et le militant. Je suis un militant de la liberté et de la démocratie. Mais je rappelle que je ne suis qu’un chanteur et pas un politicien. Je cite, à ce titre, Daniel Balavoine, qui disait dans l’émission Les Enfants du Rock : «Je suis ce que je suis, j’ai la voix que j’ai. La musique rock ne se juge pas là dessus. Le rock, c’est la sueur et peu importe la manière dont on transpire.» Baâziz, à des exceptions près rejoint la pensée de cet immense artiste français. Je prône et véhicule les idées, les rêves et les espoirs du citoyen algérien. Contre vents et marées, j’ai toujours les mêmes principes et la même conception de la démocratie et de la liberté. J’ai des principes. Je n’ai pas changé, quoique que l’on dise. A ce propos, certains m’ont reproché de faire des concerts à travers l’Algérie avec des cachets dérisoires. Je réponds que la jeunesse algérienne et mon pays méritent un plus grand engagement et un immense sacrifice, mais pas ce qu’elle vit aujourd’hui. S’il y a un pays qui mérite et qui a besoin de la démocratie dans le monde arabe, c’est bien l’Algérie. Les Algériens ont été les précurseurs des révoltes populaires. On n’a pas attendu les révoltes libyennes, syriennes yéménites, tunisiennes ou égyptiennes pour exprimer notre ras-le-bol ou notre choix politique. Mais je ne souhaite pas que l’Algérie vive ou traverse le cycle de violence de ces pays. Pourquoi ? Il ne faut pas oublier qu’octobre 1988 a bénéficié des soupapes d’ouverture démocratique, qui avaient eu pour conséquence d’éviter à notre pays de sombrer dans des révoltes à la libyenne. La liberté d’expression existe relativement en Algérie, par rapport à ces pays arabes où l’expression populaire et de presse est atrocement muselée. J’ai vu et visité ces pays, et le style de la dictature de Ben Ali, de la Syrie, du Yémen et de la Libye. C’est incomparable.
Quel est l’avis de Baâziz concernant la position du pouvoir vis-à-vis des jeunes et des efforts d’ouverture démocratique entrepris en direction de la culture, de la gestion des affaires citoyennes et des préoccupations du peuple algérien ?
Sans défendre les tenants du pouvoir actuel, j’estime que ce n’est pas en faisant tomber des têtes au niveau du sommet que le pays changera. Les gens du pouvoir doivent prendre conscience qu’il y a des moyens d’apporter des changements salutaires aux destinées du peuple. L’Algérie dispose de moyens financiers, matériels et humains fabuleux, à même d’améliorer le quotidien et le bien-être des Algériens et des jeunes. Mais je constate que nos dirigeants ne bougent pas, ils restent figés et obnubilés par leur confort et leurs privilèges. Je ne souhaite pas que l’Algérie vive le drame des autres pays arabes. Car, ces pays ne sont pas une référence démocratique. Notre pays a payé chèrement sa démocratie et la lutte contre l’obscurantisme. Je m’insurge quand je constate que le département de la culture laisse inaccessibles ou réservés des lieux de culture, de danse et de détente aux jeunes. Que ces dirigeants descendent sur le terrain pour voir des complexes touristiques et culturels inaccessibles ou fermés à ces jeunes. Qu’ils prennent l’initiative d’organiser des galas et des concerts populaires à l’instar d’autres pays. Qu’ils prennent en charge ces formes d’expression et d’extériorisation de la détresse de nos jeunes. Qu’ils prennent l’initiative d’organiser des rencontres, des randonnées et des séminaires gratuits pour ces jeunes. A ces tenants du pouvoir, je dis qu’il y a des limites, car la réalité sur le terrain est poignante. Les jeunes tentent d’oublier leur misère en se droguant, en s’enfuyant dramatiquement de ce pays à l’aide de moyens précaires, dangereux, voire suicidaires. Pour ces jeunes, le bonheur et le bien-être restent le privilège de castes algériennes et des hauts placés. Le souci de ces jeunes est relégué aux calendes grecques. A un haut niveau, on doit sévir contre le népotisme, le favoritisme, le tribalisme, la délation et le mépris. L’Etat doit sévir contre ces privilèges indus et les passe-droits au recrutement, du pré-emploi et du filet social, dans certaines localités enclavées et isolées. Des milliers de jeunes filles et de jeunes gens croient à un illusoire traitement de leur dossier et à un potentiel emploi. Pour cela, l’Etat doit encourager la création d’entreprises génératrices d’emplois en facilitant l’accès à la création de PME. La bureaucratie reste un frein pour le développement économique. Les crédits aux jeunes doivent être sans intérêts et potentiellement non remboursables. Pourtant, le pouvoir a effacé les dettes des milliers de fellahs. Mais les jeunes se débattent encore avec le remboursement de leurs crédits, avec des citations à comparaître contre ceux qui n’ont pas réussi dans leurs initiatives entrepreneuriales et qui n’ont pas remboursé leurs dettes. Voilà, autant de problèmes que le pouvoir doit immédiatement prendre en charge. C’est à travers ces idées que je résume l’obligation du pouvoir envers les jeunes et la société.
Quel est votre avis sur le rôle que doit jouer l’armée dans le développement et la modernisation du pays ?
L’armée a joué un rôle majeur et héroïque dans la défense de la République et du pays contre le terrorisme et l’intégrisme islamique, en protégeant les citoyens et les régions isolées et enclavées. Des milliers de jeunes militaires, ont été, soit sauvagement assassinés, soit égorgés par des hordes terroristes et intégristes prônant l’obscurantisme. Ces djounouds et officiers de l’ANP et des services de sécurité, tous corps confondus, sont morts pour que vive une Algérie démocratique et populaire. Mais le revers de la médaille c’est que l’armée a été à l’origine de cas de corruption, d’abus et d’ingérence dans la gestion des affaires publiques et citoyennes. L’armée doit se retirer de la vie politique et laisser l’initiative au peuple pour prendre en charge son propre devenir d’une façon démocratique et transparente, à travers des élections libres et sincères pour le choix de ses représentants authentiques. A L’armée échoit la défense de l’intégrité et l’intangibilité de nos frontières et la défense de la sécurité de l’Algérie mais aussi la défense de la République et de la démocratie. Quant à l’islamisme politique ou extrémiste au pouvoir, je me suis remémoré l’attentat terroriste contre l’Académie de Cherchell, et j’ai commencé mon concert par «l’Algérie vous ne l’aurez jamais ». Ceci a été mon témoignage à la mémoire des victimes, mais cela traduisait mon amour pour une Algérie démocratique. Je pense, par ailleurs, qu’il y a un décalage, entre la réalité du terrain où l’algérien prouve qu’il est un méditerranéen, festif, joyeux et gai, qui ne peut s’accommoder de contraintes religieuses importées. L’Algérien ne saurait être dirigé par des conceptions et des idées rétrogrades, obscurantistes et intégristes. Le jeune Algérien est moderne, scientifique et se retrouve parmi l’élite qui est à la pointe du progrès. Pour preuve, les pays occidentaux font la course aux cerveaux algériens. De prestigieux chercheurs et savants algériens sont à l’origine de découvertes médicales et scientifiques prodigieuses. L’Algérie, n’est pas à l’image des autres pays arabes. J’estime que notre pays est riche et se trouve à la pointe du progrès. La beauté et la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de notre pays ont, de tout temps, fait l’objet de convoitises, d’invasions et de colonisations de nos richesses et même de notre culture.
Baâziz est absent plusieurs années des scènes des médias lourds officiels, des manifestations et cérémonies officielles. Pourquoi ?
Depuis plusieurs années, personne n’a osé me programmer dans des concerts et cérémonies officielles. Officiellement, je n’ai pas encore chanté dans des manifestations publiques officielles, cela dure depuis plus de dix années. J’ai été mis sciemment en quarantaine et isolé, car je dérangeais. Pourtant, grâce à des jeunes ayant des boîtes privées et qui travaillaient le plus souvent à perte, mes concerts ont vu le jour et ont drainé des milliers de jeunes, voire des dizaines de milliers de jeunes dans des stades archicombles. Quel qu’en soit le prix, je suis là, en Algérie, avec ou sans cachet au profit des jeunes, des pauvres, des démunis et de l’enfance abandonnée. Je ne suis pas Zorro, mais le nom de Baâziz symbolise, l’entraide, la solidarité, la compassion et l’amour pour autrui. Même s’il est légion que certaines sphères du pouvoir tentent de m’isoler de la jeunesse algérienne, j’ai confiance. Programmé à la salle Atlas, le 19 août 2011, mon concert a été délocalisé vers le parking de Riadh El Feth, sans crier gare. Des milliers de jeunes Algériens ont afflué et m’ont suivi. Contre tout espoir, la participation attendue a été multipliée par trois. Voilà la réponse de ces jeunes au refus de ceux qui ont tenté de bloquer ces concerts. A propos des harraga j’ai adjuré les jeunes de rester ici et de se battre en Algérie chez eux. L’Algérie est riche et on n’a pas besoin de l’aumône d’autrui. Dans les concerts de Batna, plus de 10 000 jeunes furent présents. J’ai retrouvé des jeunes qui étaient âgés de 15/16 ans, en 2000 soit plus de dix ans de cela. Aujourd’hui, ces mêmes fans sont moustachus et habillés galamment. Ils étaient là. A côté de ces adultes, je retrouve des jeunes de 20 à 22 ans qui sont de nouveaux fans de Baâziz. Un autre phénomène constaté. Certaines chansons passées inaperçues, il y a dix années de cela, sont devenues des succès aujourd’hui. Que se passe-t-il ? C’est ça la jeunesse ! Algérie mon Amour, je t’aimerais pour toujours.
Propos recueillis par Houari Larbi
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/09/07/article.php?sid=122517&cid=16
7 septembre 2011
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