AVEU Doit-on tout partager, tout révéler ?

La communication et le couple, vaste sujet. L’un des problèmes que l’on rencontre souvent est le déficit de communication : quand on ne s’en dit pas assez. Mais peut-il arriver qu’on en dise trop ? Doit-on tout partager, tout confier ?

Quelques pistes pour un bon usage de la communication dans le couple. Il est souvent de bon ton de défendre la « transparence » dans les rapports de couple : pas de secrets, pas de non-dits, pas de cachotteries. Honnêteté et sincérité, « on se dit tout », même le moins agréable, le moins flatteur. Mais toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ? Sans aller jusqu’à la lourde question de la faute inavouable (infidélité, adultère, bref un sujet à part entière), est-il nécessaire lorsqu’on vit à deux d’exposer au grand jour ses états d’âme, ses questionnements ? Notre partenaire doit-il forcément être notre confident ? Rien n’est moins sûr. Car une bonne communication de couple, ce n’est pas forcément tout déballer. Ce n’est plus un secret pour personne, la communication est l’un des piliers du couple, si ce n’est l’une des bases essentielles d’une relation durable. Mais que veut dire communiquer, en premier lieu ? Les êtres humains communiquent par nature, on ne peut pas dire qu’ils communiquent trop ou pas assez. Mais les problèmes surgissent parce que les codes et les messages ne sont pas perçus comme on le souhaite. » Pour beaucoup de couples, les problèmes relationnels viennent de cette difficulté à communiquer de concert, ce qui peut être perçu comme absence ou déficit de communication. En premier lieu interviennent certains atavismes qui ont la vie dure… Quitte à forcer volontairement le trait, on dira communément que la femme est davantage portée vers la communication verbale, l’expression de ses pensées et sentiments, alors que l’homme voit davantage la communication verbale comme un échange d’informations ou un divertissement, pas comme une condition de l’équilibre du couple. Mais, il faut aussi « sortir de ces clichés et aller vers le sens : à quoi servent ces échanges, ces dialogues ? La parole peut servir d’arme de domination comme de séduction. » Si la parole est primordiale au sein du couple, en fait l’essentiel de la communication humaine est non verbale : on fait donc souvent passer des messages… à son corps défendant. « Chacun communique avec des codes qui lui sont personnels. Un couple qui s’installe dans la durée développe ses propres codes. La communication non verbale est alors plus signifiante que les mots. Pour Faiza, 37 ans, « la communication est primordiale, pas forcément totale ni verbale. Elle passe par des attentions, des gestes… » Problème : elle est soumise à l’interprétation de l’interlocuteur, ce qui favorise les malentendus. En la matière, une question vaudra toujours mieux que mille supputations. Mais les barrières sont fortes : pudeur (parfois mal placée), peur de blesser, peur de la vérité, incapacité à formuler son ressenti, empêchent parfois une bonne communication au sein du couple. Pour Saïd, 32 ans, « tant qu’on n’en ressent pas le besoin, je pense qu’on doit pouvoir garder ses états d’âme, sentiments et doutes. » Il arrive qu’on ne partage plus, laissant l’autre en proie à son imagination, à sa frustration ou à son incompréhension. Or dans un couple, le plus important n’est pas tant ce qui est dit, que ce que comprend l’autre. L’important est donc de veiller à se faire comprendre, même a minima. La communication consiste avant tout en une réelle qualité de présence, d’attention à l’autre. Chercher l’avis de l’autre, lui demander conseil, c’est aussi une manière de lui faire savoir qu’il occupe une place importante. A condition que l’on accepte cette donnée inaltérable : même dans une situation d’amour intense et fusionnel, l’autre reste différent. Il n’est jamais totalement compris, appréhendé, démantelé. Il y a toujours une part de soi à laquelle son partenaire n’a pas accès, mais ce n’est pas nécessairement une question de pouvoir sur l’autre. » Nous devons renoncer une fois pour toutes à connaître à fond notre partenaire. On ne peut pas attendre de lui qu’il se mette entièrement à nu, qu’il fasse étalage de toutes ses pensées, de tous ses sentiments, de toute sa personnalité, car il est impossible de tout absorber. « Je ne pense pas que la communication doive être transparente, même si elle est essentielle », affirme Faiza. Une fois cela accepté, bien des choses sont simplifiées. Il semble donc illusoire de croire que l’on peut tout partager, tout exprimer. Il est important de garder en tête que dans la communication de couple, tout n’est pas supposé être transparent. Partir du principe que l’on se dit tout, c’est déjà induire une crise de confiance. C’est entretenir l’illusion de la fusion, et risquer des dégâts considérables au premier malentendu. La transparence est un mythe ! En outre, certains états d’âme, certains questionnements ou certains doutes sont contextuels, relèvent d’une situation passagère ou de circonstances précises, et leur formulation serait à même de jeter inutilement le trouble au sein du couple. « Si on arrive à gérer ses problèmes seuls, pas la peine d’ennuyer l’autre avec ça, défend Saïd. Par contre s’ils persistent dans la durée, c’est peut-être mieux d’en parler. » Lorsque nos problèmes ou nos doutes persistent, et sont susceptibles de nuire à l’équilibre personnel de l’un des deux partenaires ou à l’équilibre du couple, il est important de ne pas tenir l’autre à l’écart et de mettre cartes sur table, même si cela peut s’avérer complexe ou douloureux. Il semble plus réaliste de dire ses problèmes personnels plutôt que les cacher, ne serait-ce que pour informer l’autre. Par contre, il n’est pas nécessaire de le répéter inlassablement. Par ailleurs, quand on s’occupe plus de ses problèmes que de son partenaire, cela lui donne l’impression de disparaître. L’important dans ce cas est de trouver le bon moment, ce qui n’est pas facile (bien souvent il sera trop tôt pour l’un, trop tard pour l’autre), mais aussi le bon endroit et le bon ton. Privilégier un tête-à-tête serein, coupés de l’environnement quotidien ou de la cellule familiale, permet de mieux dialoguer, de mieux entendre, de mieux se faire comprendre, de chercher un compromis. Mais dans certaines circonstances, même les aveux les plus pesants sont difficiles à exprimer. En cas de baisse des sentiments ou du désir, par exemple. Ici, les avis diffèrent. Pour Faiza, « ça se sent sans qu’on ait besoin d’en parler, alors autant mettre cartes sur table, mais il faut essayer de distinguer une baisse passagère d’un problème fonctionnel qui dure ». Tout dépend des valeurs fondatrices du couple : si le couple s’est fondé sur des sentiments, ils seront aussi la cause de la rupture. Si le couple se fonde sur un projet de couple, il faut bien poser les enjeux réels et hiérarchiser les priorités. Pas facile de donner à l’autre la clé de son for intérieur, de lui livrer le détail de ses sentiments, ou de son passé. « Ce qui compte c’est le présent du couple, pas le passé de chacun. On n’est pas obligé d’entrer dans les détails. » « Partager, oui, mais pas tout », affirme Faiza. Un avis partagé par Saïd : « Je ne pense pas qu’il faille tout « déballer », même si ça arrive souvent à un moment ou à un autre. » De même, le partenaire n’a pas vocation à devenir un confident. La confidence est quelquefois très lourde à porter dans un couple. Celui qui se confie peut en arriver à en vouloir à l’autre parce qu’il sait des choses. Il faut choisir avec soin son confident et ménager son partenaire. » Nos deux témoins abondent dans ce sens : Said a déjà été le confident de ses partenaires, mais « ça s’est mal passé, c’était trop lourd pour moi. Je suis contre le cumul des mandats. » Quant à Faiza, « mes amoureux n’ont toujours été que des amoureux. Il n’y en a aucun avec lequel j’étais amie auparavant et ils ne le sont pas devenus après. Alors confesseur et meilleur ami, sûrement pas ! S’il y a des choses douloureuses à livrer, je ne crois pas que l’autre soit la meilleure personne pour les écouter, autant aller chez un psy ! » Avant d’être une composante du couple, chacun est un individu, avec son intimité et son jardin secret. Cela relève de l’équilibre de chacun, et si cet équilibre est trouvé au niveau individuel, il ne peut être que bénéfique au niveau de la communication au sein du couple. « Pour qu’un couple soit un cadre épanouissant, chacun doit se sentir libre et non contraint. La part de mystère représente aussi une ressource importante : elle permet les rêves, les fantasmes, autrement dit, elle stimule l’imagination et a un rôle érotique majeur à jouer. Accepter que l’autre ait sa « vie intérieure », refuser de partager systématiquement avec notre partenaire nos pensées ou nos émotions, savoir distiller la communication, c’est aussi valoriser l’individu au sein du couple, accepter que l’autre soit quelqu’un de nouveau et surprenant – ce qui à terme, peut être le meilleur antidote aux conflits. Mme N. Amel