La Révolution algérienne est jalonnée de dates marquantes qui ont fait de l’histoire de l’indépendance l’une des plus importantes dans le monde, mais aussi l’une des plus tragiques par le fait des multiples génocides perpétrés par la France coloniale. C’est ce qui explique le fait que ceux qui ont pris part à la Révolution n’arrivent toujours pas à tourner cette page d’histoire et voient en la repentance de la France un geste qui les libérerait d’un lourd sentiment d’injustice et de rancune.
Le 8 Mai 1945 est malheureusement une date parmi tant d’autres ayant marqué à jamais la mémoire collective algérienne. C’est le jour des massacres voire de la tentative d’extermination de tout un peuple. Les moudjahidine, qui ont vécu la première semaine du mois de mai 1945, parlent d’un véritable génocide planifié et prémédité. En effet, les témoignages poignants de ceux qui ont vécu ces évènements justifient leur insistance pour que la France reconnaisse ses odieux crimes en Algérie.
“Le 8 Mai 1945 est une date historique qui fait même dire à certains historiens que c’est ce jour-là que la guerre d’Algérie a réellement commencé”, lance tout go Amar Bentoumi moudjahid présent mercredi au Forum du quotidien El Moudjahid. Avec une voix à peine audible, Chawki Mostefaï, témoin du massacre, a tenu en dépit du poids de l’âge et la santé à raconter à la nouvelle génération une infime partie de l’histoire de la Révolution. Plus précisément de l’ordre et le contre-ordre donné à l’époque par les dirigeants de la Révolution. Ouvrant le bal des témoignages émouvants, Amar Bentoumi dira : “Tout a commencé le 1er mai lorsque les Algériens voulaient eux aussi célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale par une simple manifestation pacifique.” La preuve, ils ont été autorisés et même fouillés. Mais les responsables français avaient une autre idée derrière la tête. “L’ordre a été donné aux soldats de ne pas hésiter à tirer au cas où les manifestants réclameraient la libération de Messali El-Hadj emprisonné ou encore clameraient l’indépendance du pays.” “Les Algériens étaient loin de se douter de ce qui les attendait.” “La première fois où le drapeau algérien a été levé, il a tout de suite été maculé de sang. Tous ceux qui ont exhibé l’emblème national ont été ciblés par les tirs”, raconte le moudjahid. Le même sort a été réservé aux Scouts musulmans et à l’équipe de football de la wilaya de Guelma. “Les civils sortis manifester leur joie ont été exterminés non pas par hasard mais avec préméditation.” Car tous ceux qui savaient lire et écrire étaient ciblés automatiquement. “Cette généralisation des manifestations a contraint les responsables militaires français à demander à leurs troupes de se replier sur Alger.” “C’était une bonne chose, mais comme certaines régions étaient incapables de suivre le mouvement de manifestations, nous avons été contraints de lancer un contre-ordre, à savoir l’arrêt des manifestations”, raconte Chawki Mostefaï.
De son côté, l’armée coloniale avait reçu l’ordre “d’être impitoyable et d’éradiquer le mouvement national qui prenait de l’ampleur”. Et pour ce faire d’ailleurs, elle n’hésitera pas à recourir à l’utilisation de l’arsenal militaire que les États-Unis d’Amérique leur avait remis pour prendre part à la guerre mondiale contre les Algériens. Le conférencier regrette que le bilan des massacres du 8 Mai 1945 fut des plus lourds pas seulement en nombre de décès et blessés mais aussi de par les représailles qui s’en sont suivies. “Outre l’oppression par le sang, les Algériens avaient droit à toutes sortes d’atrocités.” Plus de 10 000 manifestants seront arrêtés rien qu’à Constantine. Et sur les 166 condamnations à mort, 33 seront exécutées. Selon Amar Bentoumi “une véritable chasse à l’algérien était lancée. Tous les moyens étaient bons pour l’exterminer, y compris les milices”. Racontant “d’inimaginables atrocités” le conférencier hésitera puis lâchera : “Un Algérien a été crucifié, les femmes enceintes éventrées pour découvrir le sexe du bébé et voir qui était le gagnant du pari lancé et des milliers de blessés ont été enterrés dans des fosses communes avant de finir dans le four à chaux où les soldats les ont cachés à l’annonce de l’arrivée d’enquêteurs”. “Comment peut-on oublier toutes ces atrocités ?” s’interroge l’orateur. Et d’ajouter : “Et encore ce n’est qu’un infime résumé de ce qui s’est passé.”
in Liberté du 9 mai 2010.
par Malika Ben.
27 août 2011
Colonisation