Le Carrefour D’algérie
Mardi 23 Août 2011
Soug ennsa
Par Farida T.
L’Aïd, fête et déraison
Comment appréhender l’Aïd et surtout ses gâteaux au miel, au beurre et aux amandes aux formes et aux couleurs des plus inattendues sans trop de culpabilité? D’abord envers soi, pour tout ce que ces aliments comportent comme gras et comme sucre, puis envers des milliers d’Algériens qui n’en consommeront pas et des millions de Somaliens qui n’ont même pas de quoi survivre, eux. A dire vrai, la gabegie pantagruélique de cette fête va à contresens de toute la spiritualité et toute notion de sacrifice du mois de jeûne qu’elle clôture.
Les derniers jours de Ramadhan transforment leur torpeur et leur léthargie en une incroyable dynamique savante mais qui aurait quelque chose de malsain: Tous les livres de recettes de gâteaux traditionnels sont chaque année dévalisés des étals de librairie: Notre culture est gourmande et ponctuelle mais très inspirée et tellement innovante. Des centaines de recettes sont inventées régulièrement, mêlant avec génie et subtilité fruits secs, miel, beurre, cacao et d’autres ingrédients tout aussi raffinés que succulents pour donner corps à de divines pâtisseries, tellement délicieuses que cela en devient culpabilisant. Certes, nous avons droit de festoyer la fin du Ramadhan; certes, nous avons le droit de préparer des gâteaux, mais, la démesure n’est-elle pas un péché en soi? Et la gloutonnerie et ses avides intempérances qu’en pensent nos bonnes musulmanes qui ont prié tout le mois de Ramadhan et en plus avec les surérogatoires? Qu’en pensent les croyantes qui se sont bagarrées avec leurs hommes pour arracher le droit d’être plus proches de Dieu en allant à la mosquée ? Qu’en pensent les pourvoyeurs de fonds qui n’ont pas nourri leur prochain mais qui espèrent se gaver d’un appétit vorace de ces pâtisseries jusqu’au coma diabétique? Que peut-on éprouver lorsqu’on meurt de gourmandise quand certains de nos voisins qu’on feint d’ignorer, meurent de faim? Quelle est la force de ce péché si irrésistible, si captivante, si fascinante qu’il en devient toléré, banalisé et parfois loué. Quelle est la portée existentielle qu’enrobent ces croissants au miel pour les millions d’Algériens qui préfèreront s’endetter plutôt que de ne pas avoir leurs gâteaux aux amandes dès qu’ils aperçoivent le croissant de Chouel? Y aurait-il au fond du glaçage une question d’honneur en jeu ? Ou bien ne serait-ce qu bout du compte qu’un énième indice d’aisance et de confort que nous nous faisons un point d’honneur d’afficher à la face curieuse de nos «amis» et nos connaissances. Qu’importe, notre insatiabilité n’est pas près d’être surpassée par notre vertu et l’éternel dilemme entre la raison et la gourmandise aura encore de beaux Aïds devant lui.
23 août 2011
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