«La réalité dépasse souvent la fiction» |
Rencontre avec l’écrivain Djamel Mati |
Kheira Attouche |
Le Temps d’Algérie : 19 – 10 – 2009 |
Si Djamel Mati nous transporte dans un univers fantastique par sa verve littéraire et son imaginaire fécond, il n’en demeure pas moins qu’il déplore ce monde empreint de violence. Ces multiples ouvrages sont une réflexion philosophique et scientifique de la vie, de la mort, de notre passage sur terre et des rapports humains. L’homme est-il le plus grand prédateur ?
s’interroge-t-il à bon escient.
Ses écrits d’une grande clairvoyance interpellent plus d’un ! N’est-il pas le Dan Brown version algérienne ? Ses romans intenses et d’une grande tonalité nous introduisent dans une spirale infernale de réflexions. Auteur prolifique, Djamel nous surprend par sa hauteur de vue et sa pensée profonde. Plein d’humilité, de sagesse et d’urbanité, ce scientifique se soucie du devenir de l’homme au regard de notre environnement délétère et intolérant. Dans cet entretien, il dévoile la motivation de son écriture, simple et engagée à l’image de l’homme !
Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de cet ouvrage ?
Le sujet me tenait à cœur depuis pas mal d’années et j’ai passé beaucoup de temps à me documenter. Je suis parti d’une réflexion simple, celle du comportement de l’homme vis-à-vis de la nature, des autres espèces et aussi vis-à-vis de lui-même. Dans L.S.D., cet anthropocentrisme de l’homme a été inoculé dans le conscient collectif depuis des milliers d’années par la conjugaison de plusieurs facteurs et a fini par diviniser l’homme et le transformer en despote prédateur.
Il asservit le monde et par-là même s’asservit lui-même. L’idée de base du roman est véhiculée par le personnage de Lucy qui, lors de son périple onirique, fait le constat suivant : «Les humains s’imaginent qu’ils sont les seuls propriétaires de cette planète, ils oublient qu’ils n’en sont que des locataires éphémères et surtout mortels, au même titre que les autres espèces.» Les dérives racontées dans le roman et provoquées par l’homme ne relèvent pas de la science-fiction, mais d’une réalité qui se confirme en tous lieux.
Si j’ai donné la parole à Lucy, l’australopithèque, c’est pour qu’elle puisse dispenser une leçon de vie et d’humanisme à Charles Jr qui est la représentation parfaite de l’homme moderne. Car autant Lucy a acquis de discernement, tout au long de son périple, autant elle est restée éclairée et rationnelle.
Elle n’a pas dans ses gènes les stigmates de l’antériorité, car elle est l’origine vierge de toutes les influences contradictoires. Lucy représente une symbolique forte qui montre que la sagesse peut venir d’une personne que l’on croit inférieure à nous. Lucy est un être indépendamment de ses déterminations particulières (ni scientiste ni hiératiquement religieux).
Les raisons qui ont motivé l’écriture de ce roman sont d’actualité, même si leurs origines remontent plus loin dans le temps. Nous constatons leurs effets presque tous les jours. La lecture du monde que fait Lucy, lors de sa «mission», passe d’un début lent et cohérent au futur chaotique et menaçant : «Depuis, le moment où l’homme s’est mis debout, il n’a cessé d’évoluer. Il a développé ses neurones et son intelligence, il a maîtrisé la technologie pour réaliser des choses merveilleuses.
Il a fini par mettre au point un monde uniquement à sa mesure. Il a agi de la sorte par égoïsme et par peur de disparaître (comme d’autres espèces ont disparu avant lui).» L’homme s’imagine être le centre de tout, il oublie qu’il n’est qu’un maillon d’une longue chaîne. Il pollue l’espace qu’il occupe, il accélère le dérèglement climatique, saccage la faune et la flore.
Et lorsqu’il ne s’occupe pas à maltraiter son environnement, il se retourne vers son voisin homme. Il puisera ses raisons dans les lacunaires interprétations des écrits religieux, il cherchera des motifs insidieux pour assouvir une avidité mercantile pour guerroyer contre son voisin, l’homme.
Alors, si la planète est malade, si le monde va de guerre en guerre, si les inégalités se creusent dans un monde de plus en plus riche, ce n’est pas à cause des marguerites ou des abeilles, mais pour des motivations de convoitise des hommes uniquement. Aussi, il faut voir dans la rencontre de Lucy et Charles Jr et dans la relation amoureuse qui s’ensuit une allégorie d’un possible renouveau de l’humain, un retour en soi et surtout l’acceptation de l’autre, même dans les différences (Nord/Sud).
Votre imagination débordante à laquelle se greffe une grande culture vous permettait-elle de vous évader de la réalité souvent morose ?
Dans mes romans, ce sont des réalités que je décris à ma manière donc je ne pense pas vraiment m’évader. Dans Sibirkafi.com, je raconte (dans la dérision) une société prise en otage et asservie par un système totalitaire. Pour «les loques à terre» (locataires) du Sibirkafi, l’existence se confond avec la déréalisation.
Pour Aigre-doux, le narrateur dans ses pérégrinations est à la recherche du bien, mais ne rencontre que le mal, jusqu’au jour où il comprend qu’il peut extraire le doux de l’aigre… à la manière d’un alchimiste. Dans On dirait le Sud, je tente une exploration de l’énigme du féminin et du masculin, du couple femme-homme, des rapports Nord-Sud, du fantasme, du merveilleux et du réel, et aussi du sens que peut prendre la destinée humaine.
Fada ! Fatras de maux est l’histoire d’un écrivain fou et abandonné qui cherche à travers son imagination à sortir de sa schizophrénie. Toutes ces histoires racontent la réalité des femmes et des hommes, et souvent l’imaginaire n’est que restitution d’un réel, avec en plus la liberté de pousser même plus loin que la réalité. Car si les extravagances de l’imagination ne faisaient qu’emprunter leur contenu à la réalité, elle ne ferait que copier. Et ce n’est pas ce qu’on demande à la littérature romanesque.
Que représente pour vous la littérature ?
Je ne pense pas que l’on puisse vivre sans elle. La littérature nous permet de nous comprendre, et souvent nous autorise à anticiper les situations pour nous permettre de reconstruire. Elle est plus qu’un simple plaisir, c’est un remède et un tonifiant pour l’épanouissement de l’individu. Pour moi, la littérature est une affaire d’écrivains et de lecteurs, et j’ai parfois l’impression qu’on a tendance à l’oublier.
Êtes-vous féru de lecture de science fiction ?
Féru ? Franchement non. Nous vivons dans un monde où souvent la réalité dépasse la fiction… Dans le monde actuel, il y a des vécus tellement anachroniques qu’on finit toujours par se demander s’ils ont réellement existé et des imaginaires qui nous paraissent si évidents qu’on finit par croire en leur existence. Cela dit, j’ai lu comme tout le monde certains romans de science-fiction.
Quels sont vos futurs projets ?
Dans l’immédiat, je m’occupe de la promotion de L.S.D. Je pars à l’étranger pour la sortie de mon prochain roman pour le premier trimestre 2010.
Entretien réalisé
18 août 2011
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