Mercredi 06 Mai 2009
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Il faut cesser de nier la présence de Morisques aux Amériques; des indices indéniables prouvent l’existence profonde de la civilisation arabo-musulmane dans le Nouveau Monde.
On sait certainement que l´Occident classique doit beaucoup à la civilisation de l´Orient musulman, et tout spécialement par l´intermédiaire des splendeurs culturelles de l´Espagne musulmane dont le joyau essentiel est «Dâr el-Islâm» au Balad el-Andalous d´avant la Reconquista. Mais on sait moins l´importance et la qualité de la transmission, et la voie suivie, de l´Âge d´Or de la civilisation hispano-mauresque dans les «Indes occidentales», ainsi nommées fautivement par Christophe Colomb et qui globalement sont les terres côtières de l´Amérique.
Une riche étude, Al Andalous au Pérou (*) de Jaime Càceres Enriquez, nous ouvre une large fenêtre sur cet horizon lointain qui avait attiré tant de conquistadores dont Christophe Colomb, «le navigateur marchand et vice-roi des Indes, nommé par la reine Isabelle de Castille, [et qui] fut le premier Européen de l´histoire moderne à traverser l´océan Atlantique et à découvrir une route d´aller-retour entre le continent américain et l´Europe. Ses voyages marquent le début de la colonisation (1492) de l´Amérique par les Européens.» Et les conquérants successifs mettent en place un système d´exploitation et de soumission de peuples entiers du continent américain que l´on disait païens et dont on s´acharnait à détruire la civilisation (cas des Incas, des Mayas ou des Aztèques) et à évangéliser pour soi-disant sauver leurs âmes, oubliant d´appliquer le commandement et le sens profond des Écritures Saintes.
À la seule lecture du présent ouvrage, on mesure la finesse de l´observation et la pertinence du jugement de Jaime Càceres Enriquez au sujet de «La civilisation d´Al-Andalous au Pérou» et, d´une manière plus générale et plus profonde aussi, de l´apport de la civilisation musulmane andalouse au Nouveau Monde.
Né à Lima en 1934, décédé à Palma de Majorque en 1992, cet historien péruvien de grande compétence, universitaire, chercheur et diplomate (il a été ambassadeur du Pérou à Alger durant sept ans), a consacré sa vie, très courte, à la remise à l´endroit d´une vérité historique. Ses écrits, sans tache d´idéalisme partisan et désuet, ont dérangé pas mal d´historiens en Europe et «aux Amériques» à la remorque de l´idéologie coloniale. Mais le pur bonheur est qu´ils ont, en même temps, rassemblé de nombreux auteurs mexicains, argentins, péruviens, espagnols, dominicains, etc. autour de cette affirmation de l´un d´eux: «l´influence arabe arrive en Amérique à travers la conquête espagnole.»
L´histoire des Morisques – Arabes musulmans convertis de force au Christianisme pour se maintenir en Espagne – rappelle par bien des aspects le vécu des Indiens sous la domination ravageuse des aventuriers conquérants venus d´Occident. L´histoire tragique des Morisques commence avec les premières rebellions de 1606, et l´expulsion définitive de ce groupe ethnico-religieux se concrétise à la suite de la promulgation de l´édit de 1609, sous Philippe III. Le paroxysme de l´inhumain est atteint avec l´annonce de leur diabolisation: ils sont monstres et jeteurs de sort! La conscience anti-musulmane en Espagne, révélée par des oeuvres de caractère populaire dont le romance est le meilleur exemple, décrit le Morisque comme étant le personnage type du Monfi – le banni – qui se réfugie dans les maquis et qu´il faudra abattre. Or, «Le Monfi est un héros de la liberté pour les Morisques, et peut-être même un saint homme aux yeux des musulmans (Lire L´Expression du 24.10.2007, Le Temps de lire: José A. Gonzalez Alcantud, Le Maure d´Andalousie).» En Argentine, plus tard, Juan Yaser (d´origine palestinienne) signale ce même personnage sous l´appellation de «Gaucho», du vocable arabe «Haushi», «le sauvage marginalisé».
L´histoire événementielle de l´Espagne, sous le double règne d´Isabelle de Castille et Ferdinand d´Aragon, montre combien ces Rois catholiques ont été favorables à l´Inquisition, persécutant et poussant à l´exil des populations musulmanes et juives qui ont, ainsi, partagé sensiblement le même destin. Leur vie errante et tumultueuse les a conduites vers des contrées proches (Maghreb) ou lointaines (aux Amériques), plus accueillantes; elles s´y sont installées et y ont transmis, selon leur degré de savoir, le meilleur du patrimoine hispano-mauresque aux sociétés locales hospitalières. Ce phénomène historique a dépassé l´univers arabo-musulman de l´Âge d´Or de l´Andalousie; il s´est étendu à d´autres espaces et à d´autres cultures par le dialogue socioculturel en plein respect mutuel de l´intimité des différences de cultures ou de civilisations.
Jaime Càceres Enriquez s´évertue donc dans son Al Andaous au Pérou à exposer, à travers une série d´articles de presse et de thèmes de conférences sa thèse principale, citons-en quelques titres de chapitre: «La présence de Morisques au Pérou au xvie siècle à travers les historiens»; «Héritage de la civilisation Al-Andalous en Amérique espagnole»; «L´influence morisque au Pérou selon le témoignage des voyageurs étrangers du xvie au xixe siècle»; «Contribution de la civilisation arabo-musulmane aux cultures latino-américaines à travers l´Espagne et le Portugal», etc. Des «Notes culturelles sur l´Algérie» et, placées en annexes, des indications d´ordre historique suffisantes pourraient éveiller l´intérêt du lecteur algérien. Cependant, j´aurais des réserves à propos de l´émotion portée sur le sort de Cervantès à Alger. La nuance est qu´il a participé, en 1571, au combat naval de Lépante, sous la bannière des coalisés contre les Musulmans où il a perdu l´usage de la main gauche et que, après plusieurs mois de soins et de convalescence, il a guerroyé quelque temps contre «les Infidèles» (entendre «les Musulmans»). Puis, en 1575, en mer, sur le chemin du retour en Espagne, il a été capturé par le Raïs Arnaout Mami de la flotte d´El-Djazâir. Libéré en 1577, une fois en Espagne, il a repris du service en vue d´une campagne aux Açores. Mais en raison du handicap de sa main gauche, il a fini par renoncer à sa carrière militaire et à s´adonner à l´écriture. L´auteur de Don Quichotte de la Manche, n´était pas encore né, si j´ose dire. Toutefois, si l´oeuvre littéraire de Miguel de Cervantès Saavedra mérite le respect, elle ne doit pas inciter à taire un point d´histoire qu´il serait bon d´éclaircir par des spécialistes.
Quoi qu´il en soit, comme l´écrit Jaime Càceres Enriquez, «le dialogue entre l´Islâm et la Chrétienté est possible.» Au reste, ainsi que l´annonce L´Expression du 18.03.2009, «L´idée de l´alliance des civilisations lancée par l´Espagne en septembre 2004, reprise par l´ONU, devrait renforcer le dialogue interculturel et aider à dépasser les incompréhensions mutuelles et particulières entre le Monde occidental et le Monde musulman.»
Enfin, il me plaît de signaler l´homogénéité de l´équipe de réalisation de l´ouvrage Al Andalous au Pérou de Jaime Càceres Enriquez; elle comprend José Beraùn Aranibar (Ambassadeur du Pérou à Alger) qui est totalement à l´origine de la présente publication, Samia Yala, la traductrice de l´espagnol vers le français, Sadjia Guiz, la superviseuse de la version française et Ahmed Abi-Ayad, l´auteur du texte de présentation de Jaime Càceres Enriquez.
(*) AL ANDALOUS AU PÉROU
de Jaime Càceres Enriquez
Casbah-Éditions, Alger, 2008, 190 pages.
http://www.lexpressiondz.com/culture/le_temps_de_lire/65265-Des-influences-culturelles-arabes-sur-les-civilisations.html
18 août 2011
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