Mercredi 17 Aout 2011
On nous a toujours enseigné que le livre est notre meilleur compagnon, peut-être parce que nous sommes des gens du Livre, celui qui a façonné notre «Histoire» et malaxé notre «être». De mon lointain hameau, durant les derniers mois de la guerre, ma mémoire exhume cette ambiance de chahut et de poussière où le vieux taleb à la barbe cendrée nous menaçait de sa longue baguette d’olivier pour que nous apprenions les premiers versets du Livre, le seul à ses yeux susceptible d’être
«objet de vénération, donc de récitation ou de… connaissance». D’ailleur quand, à l’indépendance, l’école publique a ouvert ses portes, il fut le premier à la pourfen-dre, car à ses yeux, elle enseigne les livres des «roumis», nos pires ennemis. L’Histoire en a décidé autrement. Et, bien sûr, nous avons appris à lire dans d’autres livres, avec une autre graphie. Et là, effectivement, le livre devint notre meilleur compagnon, celui qui nous a ouvert de merveilleux horizons. Mais combien étions-nous à enjamber le seuil du «pays de cocagne»? Très peu en somme.
La majorité se sont heurtés aux remparts infranchissables et ont déserté précocement les bancs (ou les nattes) des lieux d’apprentissage. Ils sont restés en dehors, donc non concernés par nos propos sur le livre.
Après deux (ou peut-être trois) générations qui ont goûté aux fruits mirifiques de la diversité des livres, voilà qu’on rebrousse chemin, à travers d’autres sentiers il est vrai, mais c’est quand même un retour vers le Livre unique qui n’accepte pas de concurrents. Seuls ceux qui gravitent dans son orbite ont droit au mouvement. Les autres, ceux qui ont la prétention de semer d’autres germes, de répandre d’autres senteurs, sont fustigés et menacés de pires châtiments. Déjà une bonne partie des «lettrés» ne sont plus concernés par cette notion du livre au sens de culture, savoir, qui ne gravite pas autour du Livre. Deux catégories de personnes, majoritaires du point de vue du nombre, sont exclues du domaine du livre tel que nous le souhaitons. Que reste-t-il? Une infime minorité qui s’agrippe tant mal que bien pour donner au livre son sens de vecteur de changement et de modernité. L’effort le plus ardu et le plus risqué concerne ceux qui sont restés collés, contraints ou par choix, à la graphie du Livre, avec la folle idée de ne pas s’aligner au champ de gravitation. Ils restent à l’écoute des rumeurs qui proviennent de la tour de Babel. Bien plus que ça, ils veulent rendre lisibles tous ces signes en établissant des ponts de libre circulation par le biais de la traduction. Là commence le choc, la méfiance, et bientôt la défiance.
D’où nous viennent toutes ces météorites qui veulent porter atteinte à notre Livre et à sa pureté originelle? Le grand chamboulement pointe à l’horizon. Peut-on vraiment échapper au progrès? Consultons l’Histoire et ses enseignements. Elle nous apaise et nous oriente. Le Livre sera livres. Et bienheureux sera le lecteur de demain.
Mais au fait, de quels livres parle-t-on? De ceux en papier si beaux à nos yeux, si doux à nos doigts, ces palimpsestes aux fragrances enivrantes et qui furent vraiment nos compagnons les plus courtois, dont les adeptes se rétrécissent telle une peau de chagrin? Ou ceux virtuels qui émerveillent et gagnent en audience avec la vitesse de la lumière dont ils sont faits? Et les autres concurrents du livre (chaînes satellitaires, Internet avec toutes ses tentacules insatiables…)? Là, la boucle risque d’être bouclée pour ce beau monde des livres.
Est-ce à dire que les auteurs du livre, de tous les livres, doivent se résigner à abandonner le livre en papier et prendre le train (ou le tramway) du virtuel, afin de trouver lecteur? Sommes-nous les derniers dinosaures d’une époque en voie de dislocation? L’eau est glauque et la vision trouble. Si un hasardeux lecteur possède des yeux de lynx pour voir aussi loin que le brumeux horizon, qu’il nous fasse part aussi vite qu’il pourra de son «Eurêka».
http://www.lexpressiondz.com/culture/le_temps_de_lire/137480-livres-ou-livre-et-traduction.html
17 août 2011
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