Edition du Mercredi 17 Août 2011
Contribution
Les Arabes doivent être très fiers de leurs révolutions, puisqu’ils viennent d’écrire une nouvelle page de l’histoire contemporaine des peuples et des sociétés.
En effet, les révolutions arabes qui ont eu lieu en Tunisie et en Égypte, et qui feront tache d’huile certainement dans la majorité — sinon tous — des pays arabes, peuvent être considérées comme les révolutions qui ont changé l’histoire des autres pays, à l’instar des Révolutions française, bolchévique, chinoise, mexicaine, etc. Le trône de la gouvernance dans tous les pays arabes est menacé de facto par ces “révoltes-révolutions” de la “rue” qui ont radicalement fait changer de camp à la peur puisqu’on enregistre vers le haut ce qui allait toujours vers le bas et que certainement rien ne redeviendra jamais plus comme avant.
La rue : Une nouvelle
république
Les événements sanglants vécus dans le monde arabe ont forcé à la fois admiration et questionnement par les experts et autres analystes à la lumière de l’éveil de la conscience collective contre les agissements dictatoriaux des régimes en place dans plusieurs pays et la confiscation du principe de la vie, de la dignité et de la liberté.
Cette même rue a donné la chance à quelques dictateurs de rentrer dans l’histoire de leur pays pour opérer les changements et les réformes nécessaires pour être au diapason des pays démocratiques émergeants. C’est ainsi que nous assistons à une nouvelle forme de destitution des dictateurs et autres dirigeants qui se sont installés sur le “koursi” de la politique et de la gouvernance par la force des coups d’État, le bourrage des urnes et qui se maintiennent par la répression et le feu. On est vraiment tenté d’affirmer que la rue arabe est devenue un facteur essentiel du changement politique fondamental dans toute la région arabe, ce qui forcera certainement le respect des autres nations. La reconnaissance de la force et du pouvoir de la rue mérite le respect puisque elle a bravé la menace de la répression féroce des forces de l’ordre et la mort. Plus encore, elle a institutionnalisé une nouvelle forme de république. En Tunisie, en Égypte et bientôt en Libye, au Yémen et en Syrie, le pouvoir aura son véritable statut populaire. Bien que les révolutions des peuples arabes diffèrent de par leur organisation, elles aspirent toutes à chasser un pouvoir confiscateur de la liberté et de la dignité.
La nouvelle vacance
du pouvoir
Avant les révolutions des peuples arabes, toutes les constitutions arabes ont prévu un seul cas de la vacance du pouvoir : le décès du président. Dans ce cas précis, les modalités de maintenir le régime en place sont clairement prescrites dans l’ordonnance constitutionnelle dogmatique du système en place : il faut trouver le nouveau dictateur pour garantir la pérennité du pouvoir sans se soucier de l’organisation politique et sociologique du pays.
D’autres cas sont possibles où un président ne peut plus exercer le pouvoir, mais ils ne sont pas prévus par la loi. Il s’agit surtout de coups d’État, de l’intervention militaire d’une autre puissance et tout récemment une autre alternative : la “rue”, qui oblige un président à fuir ou remettre les clés à
l’armée. Les législateurs et autres rédacteurs des constitutions doivent être plus
prospectifs pour inclure des alinéas dans les doctrines constitutionnelles futures de tels dispositifs pour parer à toutes les éventualités.
Ce qui est important à noter dans la dernière voie, c’est le fait que les populations arabes commencent à forger une conscience collective qui gravite autour d’une demande radicale pour aborder une nouvelle histoire loin de la garde politique tutoriale. C’est, en effet, la maturation d’un nouvel processus politique qui est en gestation et qui fera son chemin dans toute la région.
Le maintien des régimes dictatoriaux est une négation de cette conscience qui se transforme en un crime contre l’homme et qui a enclenché le système judicaire des sanctions internationales contre ces régimes. Le cas de la saisine du tribunal international est une logique systémique de la dégradation des droits fondamentaux et l’atteinte à la vie, comme c’est le cas du Yémen, de la Syrie et de la Libye.
les Régimes politiques arabes :
Une mécanique de répression
Dans un environnement politique fermé, les populations arabes ont vécu la répression durant de longues décennies sous des régimes différents mais qui cumulent les mêmes caractéristiques, dont le plus important concerne la liberté. Le trait de ce collectif des régimes est sans aucun doute la méfiance innée de l’opposition, en plus de l’adoption de la théorie du complot lorsqu’il s’agit de proposer de nouvelles alternatives de gouverner.
Dans beaucoup de cas de ces régimes, l’élite gouvernante déclare l’absence totale de la relève politique pour gérer le quotidien puisque elle adopte le bourrage des urnes même lorsqu’il s’agit de petite cellule, que cela concerne la politique, la culture, le syndicalisme, etc. Il n’y a aucune chance qu’un citoyen puisse accéder aux commandes s’il n’a pas un sponsor idéologique de la part du système en exercice.
La coquille idéologique des régimes arabes est hermétique, d’où le monopole systématique de toute activité politique. L’ouverture enregistrée dans quelques exceptions n’est pas synonyme d’alternance mais bien au contraire, c’est l’aspect de la légitimité qui en ressort grandi aux yeux des démocraties et autres puissances étrangères.
On ne peut certainement pas ne pas évoquer le contrôle en amont et en aval de l’activité médiatique, verrouillée à triple tour, où la fonction d’informer se transforme en délit passible de prison. À l’heure des profondes transformations sociologiques sur les modes de communication humaines, les régimes arabes sont toujours à l’ère de Gutenberg. Au moment où le monde se transforme en forme numérique, le contrôle de la liberté de penser et la liberté d’imprimer est toujours en vigueur avec plus de procédures. Ce refus est toujours justifié par une phrase qui est devenue un préfixe : “Le moment n’est pas opportun”. Il le sera certainement quand le peuple réclamera le “dégagement” du régime.
Régime versus peuple
La lecture comparative des régimes arabes nous conduit inéluctablement à conclure à la ressemblance de la gouvernance qui se forge sur un contrôle de tout l’espace politique, idéologique, et sociologique caractérisé par l’absence de la consultation populaire démocratique. Cette situation a engendré l’essence, voire la mise en place d’une idéologie hermétique au dialogue et à la transparence de la gouvernance sans aucun droit de regard de l’opposition ni des autres organes supposés être de contrôle.
Seuls les régimes dictatoriaux déclarent la guerre à leur peuple. Ils ont mis en place une armée pour l’intérieur et une stratégie de communication avec l’extérieur pour justifier les dérapages de la gouvernance, et ce, depuis l’indépendance, sous des prétextes virtuels du maintien de la stabilité et du maintien de l’ordre, or les arguments virtuels ne sont pas valables puisque seuls les pays dictatoriaux ne tolèrent pas une opinion publique opposée à la vison du régime. Il est donc de notoriété d’affirmer que les arguments idéologiques ne tiennent pas devant la détermination civique du changement auquel aspirent ces populations. Il est aussi important de noter que les régimes ne doivent plus compter sur la peur des populations pour embrigader et enfermer l’opinion et l’attitude des personnes.
Le temps du régime qui s’est approprié le droit de penser et de décider à la place des autres, qui appauvrit les populations au bénéfice de son personnel, qui justifie les dérives de ses appareils, qui néglige les aspirations et ignore le droit de ses gouvernés à tous les niveaux de son administration est révolu, ceux qui luttent pour son maintien seront mis à la porte par le vent du changement.
Maniant répression et concessions les régimes arabes tentent vainement d’empêcher le changement en s’accrochant au koursi de la gouvernance sur la misère de ses populations avec, dans la majorité des cas, la bénédiction des puissances occidentales qui trouvent leurs comptes économique et stratégique dans le maintien de ces dictatures. La situation actuelle dans plusieurs pays arabes est condamnable à plus d’un titre, notamment à cause des victimes qui sont “exécutées” quotidiennement.
Concessions et reproduction idéologique
Des réformes sont introduites un peu partout, et l’injection de milliards de dollars pour contrecarrer l’exigence urgente du changement ne sont qu’un moyen de contrôler la fièvre de la rue. La satisfaction des exigences sociales et professionnelles est accélérée de façon étonnante. On assiste même parfois à des anticipations de la part des régimes arabes pour éviter le soulèvement. Dans ce sens, on ne peut que se demander par quel miracle on répond favorablement à ces doléances socioéconomiques — volontairement ignorées durant les années fastes — dans des conditions de crise économique mondiale et pas aux exigences de la participation politique.
Toutes ces tentatives sont vaines, à la lumière de la détermination des populations car idéologiquement obsolètes, et puis l’opinion de la rue est devenue experte devant de telles manœuvres politiciennes qui cherchaient à créer des républiques héréditaires ou à défaut maintenir une caste idéologique du système par reproduction. Les soft réformes engagées par les régimes arabes ne doivent pas se limiter à répondre aux besoins matériels, il y a urgence pour sauver les vies de l’environnement électrique qui commande le comportement sociologique de ces populations par la révision radicale du mode de gouvernance et la redéfinition des fondements idéologiques de la participation sociale de celles-ci, car les mouvements de protestation prendront certainement la forme d’une révolution, auquel cas ils ne sont pas pris en charge convenablement, surtout que ces révolutions cherchent à rompre définitivement avec la phase de l’asservissement et de la peur imposée par les régimes eux-mêmes.
Les portes du changement sont multiples et les régimes arabes ne peuvent tenir toutes les clés de l’apaisement sauf par la métamorphose du régime en un régime gouvernant démocratique et libre garantissant la liberté et la dignité, car la conscience collective est une fois pour toute décidée à vivre autrement. En tout cas, tous les pays arabes offrent une opportunité historique au changement, et seul le leader qui saura répondre de façon démocratique aux aspirations politiques de son peuple pourra sauver le pays d’une effusion de sang qui n’est pas nécessaire car le vent de la démocratie a vraiment soufflé sur toute la région.
L. Y.
*Chercheur et expert en communication
http://www.liberte-algerie.com/rub.php?idrub=68&rubrique=Contribution
17 août 2011
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