Mercredi 17 Aout 2011
Faut-il rappeler que toute écriture est une traduction dans la mesure où elle est la transcription d’un fait, dialogue, scène ou pensée qu’elle restitue a posteriori? C’est d’ailleurs pourquoi Marcel Proust a pu écrire dans Le temps retrouvé que «le devoir et la tâche d’un écrivain sont ceux d’un traducteur». Pour les écrivains comme pour le lecteur averti, c’est une évidence.
Parmi les langages dont l’être humain dispose pour s’exprimer (langage des arts tels que la musique, la peinture, la danse, ou la gestuelle, les mimiques, etc.),
la langue est le plus efficace. En effet, la langue est une macrosémiotique, comme l’ont souligné Greimas et Courtès (Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1980, p. 205), puisque non seulement tous les autres systèmes sémiotiques que sont les autres langages peuvent être «traduits» en langue, mais les langues sont aptes à se traduire de l’une à l’autre également. S’agissant des littératures écrites dans une langue autre que la langue maternelle, comme c’est le cas de la littérature algérienne d’expression française, l’écriture est, à double titre, une traduction: d’abord, parce que cette écriture est à la fois une transcription/transposition scripturale de faits antérieurs réels ou imaginaires; ensuite, parce que cette restitution se fait dans une langue différente de celle de la réalité restituée. Faut-il rappeler par ailleurs, cette autre évidence, à savoir que le rapport entre une langue et ceux qui la pratiquent est un rapport dialectique, sachant qu’une langue est ce qu’en font ses usagers? Toute langue est une praxis sociale, d’où le concept de langue/culture. C’est ce qui fait que les langues, pourtant expressions d’une même aptitude humaine universelle, sont irréductibles l’une à l’autre, un paradoxe que cette formule de Paul Ricoeur résume parfaitement bien: «Voilà une compétence universelle démentie par ses performances locales, une capacité universelle démentie par son effectuation éclatée, disséminée, dispersée.» (Paul Ricoeur, Sur la traduction, Paris, Bayard, 2004, p. 23).
Les écrivains algériens d’expression française, comme tous ceux qui ont pour langue d’écriture une autre langue que la leur, sont confrontés à une gageure: imprimer à leur langue d’écriture les spécificités inhérentes à leur réalité, une perfor-mance qui donne à leurs oeuvres une résonnance aussi étrangère qu’insolite, certainement parce que, comme l’écrit Walter Ben-jamin, la traduction «appelle l’original en cet unique lieu où, à chaque fois, l’écho dans sa propre langue peut rendre la résonance d’une oeuvre de la langue étrangère». (cité en exergue par Antoine Berman, in, La traduction et la lettre et l’auberge du lointain, Paris, Seuil, 1999, p. 12).
http://www.lexpressiondz.com/culture/le_temps_de_lire/137481-la-litterature-algerienne-d-expression-francaise-comme-double-traduction.html
17 août 2011
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