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Culture : ÉCRITS ÉPARS-LIÉS (1989-2009)DE LAMINE KOULOUGHLI Morceaux choisis

17 août 2011

Contributions

Par Abdellali Merdaci
La question – souvent entrevue mais peu discutée – de la présence des universitaires dans le débat public, en Algérie, n’a pas connu de réponse à l’aune de la qualité de leur engagement dans les grands chantiers de la société.
Les Écrits épars-liés (1989-2009) de Lamine Kouloughli, professeur de psychopédagogie à l’université Mentouri de Constantine, édités à Alger par El-Dar El-Othmania, apportent le témoignage d’une réflexion soutenue sur l’épineux dossier de l’éducation en Algérie, mais aussi avec la même constance sur la littérature et les mutations sociologiques actuelles.


Pour un projet pédagogique national
Dans ce premier ouvrage, Lamine Kouloughli a regroupé une trentaine de contributions publiées dans la presse nationale ( Algérie Actualité, Horizons, Les Nouvelles de l’Est, El Acil, Le Quotidien d’Oran, El Watan). L’universitaire constantinois ne pouvait qu’être attendu du côté de la psychopédagogie, spécialité qu’il enseigne et qui a motivé ses recherches académiques. Entre le 1er juin 1989 et le 20 mai 2009, il consacre dix articles – dont un inédit – aux politiques éducatives en Algérie et en pointe les distorsions, largement analysées, dans les différents cycles de formation, de l’enseignement fondamental à l’université. On citera ici quelques exemples qui indiquent les incertitudes et — lorsqu’elle se déploie inconsidérément dans des textes publics – la fragilité de la gouvernance pédagogique. Assez tôt, cela devra lui être compté, Lamine Kouloughli désigne les failles du système de l’École fondamentale polytechnique et – au-delà des attentes politiques et idéologique à la base de ce projet – en dresse une appréciation pessimiste : «Parce que l’évaluation de cette mission ne saurait se faire sans que soient évaluées les conditions objectives requises de l’environnement pour sa concrétisation, l’évaluation de cet aspect de l’EFP pourrait bien se transformer en une évaluation de l’effort d’instauration d’une société du travail en Algérie.» (p. 13). Cette perspective économiste de l’EFP que souligne l’article «L’École fondamentale polytechnique : quelle évaluation» (pp. 9-13) restait – pour l’époque – stimulante, tant le rapport formation-emploi échappait à ses concepteurs. Depuis, bien des réformes ont été entreprises dans le secteur de l’éducation nationale et les préventions formulées scrupuleusement par le professeur Kouloughli, le 1er juin 1989, restent actuelles. L’expertise du psycho-pédagogue ne s’attardera-t-elle pas aussi sur la définition d’ingénieries pédagogiques, qui n’est pas toujours parfaitement assurée ? Répliquant à une position du linguiste Abderrahmane Hadj Salah, président au début des années 2000 de la Commission de réforme du système éducatif algérien, plus précisément sur son intérêt pour le «modèle canadien », l’auteur note cette vérité essentielle : «Chaque nation imprime de son propre cachet, de son style son système éducatif, et ce qui sied à une situation sociale donnée ne conviendra pas à une autre car l’éducation est conditionnée par l’ensemble de la société qui en forme la matrice.» (p. 25). Ce retour aux fondements culturels de la société, relevé par le professeur Kouloughli, devrait nuancer le schématisme des modèles pédagogiques importés ou sollicités de l’étranger. C’est le cas, aujourd’hui, dans l’expérimentation par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique du programme européen LMD. Pour autant qu’elle soit passionnante, l’histoire de l’Université algérienne – toujours en gestation — est certainement celle de ses nombreux rendez-vous ratés, le plus souvent imputables aux errements de son encadrement. Lamine Kouloughli aborde, sans détour, les défaillances du législateur, souvent peu soucieux de la règle élémentaire de justice dans la consécration et dans la légitimation du travail des institutions universitaires, à quelque stade soient-elles. À titre d’exemple, sa lecture de la circulaire ministérielle n°3 du 20 avril 2000 «portant sur la préparation de la rentrée universitaire 2000-2001» montre – avec indicateurs statistiques à l’appui – que le MESRS a privilégié les «grands» établissements, notamment les universités justifiant et objectivant une assise historique, au détriment des centres universitaires nouveaux. L’analyse méticuleuse du cas de la circonscription académique de Constantine confirme que les demandes d’habilitation de formations de «première post-graduation » ont généralement bénéficié aux établissements les mieux structurés. Une des conclusions du professeur Kouloughli, à propos de cette circulaire n°3, permet de comprendre les contextes (historiques) de maturation d’une université nationale et les réelles distorsions qu’ils entraînent : «En réservant “exclusivement aux seuls majors de promotion de l’établissement organisateur du magister” l’accès sans concours en première année de post-graduation, la circulaire favorise indûment les étudiants que les aléas d’une carte universitaire ont amené à s’inscrire et à poursuivre leurs études universitaires de graduation dans les universités et non dans les centres universitaires, les premières réunissant, au moins au niveau formel, plus de moyens permettant l’ouverture de post-graduations » (p. 50). Ce décalage – ce n’est qu’un euphémisme – n’a-t-il pas été coûteux en termes de valorisation par l’université de son potentiel humain ? La réflexion – étayée au plan des méthodes — du professeur Kouloughli sur les politiques éducatives vaut comme un témoignage éclairé et profitable sur l’histoire – tempétueuse – du projet pédagogique national, pour y inviter non seulement les spécialistes de l’École et de l’Université mais aussi les décideurs politiques.
Dans l’univers feutré des lettres

Mais voilà un Lamine Kouloughli inattendu dans l’univers feutré des lettres. Inattendu mais aussi surprenant, par la diversité de ses ancrages et de sa palette d’expressions, de la critique à la création littéraires. L’auteur qui annonce la publication, à l’automne, chez le même éditeur, d’un essai sur les harraga, donne une étude dense sur «Harraga dans la littérature» (pp. 149-176), à partir d’un vaste corpus comprenant les ouvrages de Sansal, Skif, Bouayed (Algérie), Ben Jelloun, Binebine, Fadel, Elalamy, Lalami (Maroc), Ben Brik (Tunisie) et Gaudé (France). Cette étude, plus descriptive que comparative, laisse ouverte sa conclusion sur un phénomène aux motivations encore impénétrables. Les intérêts du critique, on les suppose marqués par une féconde proximité d’auteurs et de textes. Au premier plan, Malek Haddad, très vite auréolé de la caractéristique – parfois si tranchante et aux effets pervers, parce qu’elle ne répond que d’attentes honteusement politiciennes, malheureusement relayées par l’Université – d’écrivain d’une ville, Constantine, qui a inscrit son souvenir dans ses pierres et dans ses institutions. Malek Haddad se serait méfié de l’érection par sa ville natale de la statue de Commandeur et, authentique écrivain, il n’avait – de son vivant — d’autre aspiration que d’être lu. Mais a-t-on lu Malek Haddad ? Lamine Kouloughli a raison de relativiser toutes ces adresses où «les critiques affirment que se trouve Malek Haddad» (p. 121). Le poète du «Malheur en danger», comme les auteurs de sa génération avait grandi, selon le mot de Jean Amrouche ( Le Combat algérien, 1958), le vœu d’«habiter [le] nom» d’une patrie à venir, l’Algérie. Restera-t-il, longtemps encore, inconnu à cette adresse, la seule qui vaille pour l’extirper de la gangue du faiseur localier et le rendre au pays qu’il a mérité, loin des incantations provinciales ? Cependant, le critique se retranchet- il — résolument — sur le rocher de sa ville, comme dans une sorte d’Aventin, pour obtenir la reconnaissance de deux auteurs du cru ? Nourredine Saadi et Hacène Saadi (bienheureuse homonymie ?) ne portent pas dans leurs œuvres le semblable imaginaire de Constantine, une cité prompte à délier ses chromos de carte postale. Dans le roman de Nourredine Saadi La Nuit des origines (Paris-Alger, Albin Michel [2000]-Barzakh [2005]), Kouloughli observe combien la charge des mythes – dans la vivacité de leurs objets matériels et immatériels, des ponts et des gorges du Rhumel aux traditions – surplombe l’histoire et ses transformations. Nourredine Saadi en recherchera – à travers son personnage Abla – l’absolue médiation pour construire un roman de sensations fortes. La lecture du roman de Hacène Saadi Voyage intérieur autour d’une géographie archaïque du temps (Aixen- Provence-Aïn-Smara, Persée [2007]-Dar El Fadjr [2009]) amplifie-telle le sentiment de la ville et du temps ? Contrairement à Nourredine Saadi qui détache par l’écriture la figure consomptive de Constantine, Hacène Saadi n’est prodigue que de mythes endogènes (le roman perçu comme métabole de la ville et du temps littéraires), qui font vivre de sûres références amoureuses. Lecteur attentif de Hacène Saadi, Kouloughli a l’intuition de cette construction. Si l’effort de Nourredine Saadi et de Hacène Saadi est déjà reconnu par la critique, j’ai lu ces dernières années sur Constantine (en langue française, bien sûr, mais je ne préjuge pas de la valeur de leurs contemporains de langue arabe) d’émouvantes pages, parfois d’une magistrale quintessence littéraire, de Nadjia Abber, Badr’Eddine Mili et Djamil Rachi, qui doivent à une inventivité renouvelée de l’écriture et du romanesque. Les écrivains de Constantine prennent amplement leur part dans une littérature nationale rénovée. Et leur contribution fait ressentir l’urgence d’un bilan d’étape. Et, précisément, Lamine Kouloughli frappe de gros coups à la porte de cette histoire littéraire. Ses essais littéraires inauguraux (poésie et prose), repris dans ce volume d’ Écrits épars-liés, ne l’augurent-ils pas ? Prenons date de cette entrée en littérature, dans un style alerte, pistant l’audacieuse métaphore («Navire aussi, peut-être mais d’un monde perdu | Ces chameaux incongrus au bord de cette mer», «Navires», p. 187) et, signalons, sous l’invocation des «Chats» de Baudelaire, une angoissante nouvelle («Bicha», pp. 191-197). Ce curieux récit égrène un chapelet de disparitions, toujours sues le jour d’après, anticipées dans ce propos de la mère – fidèle à la rubrique nécrologique du journal local — à sa fille aînée, la narratrice : «Lorsqu’on apprenait le départ de quelqu’un qu’on connaissait un jour après, c’était un peu comme si on lui avait prêté un jour de plus» (p. 192). Je ne saurais trop inciter le lecteur à découvrir ce récit de disparitions mystérieuses de la chatte Bicha et de tous les membres de la famille – et, surtout, son insolite chute.
Un regard amusé
Le professeur Kouloughli pose un regard amusé sur les manifestations farfelues du quotidien : graffitis sur les murs des cités («Écrits sur nos murs ou la mondialisation traduite», pp. 107-117), une journée à l’université («Saturday morning fever», pp. 207-211), l’étrange perversité des plaques de signalisation routière («Misogynie à part», pp. 213-217) ; et, particulièrement, à la pittoresque communication dans les campus de l’Université Mentouri Constantine (pp. 219-221). Il rapporte ainsi une savoureuse campagne d’affichage des responsables de cette université, avec notamment cet impérissable chef-d’œuvre : «Étudiants, étudiantes. Il est strictement interdit d’occuper les salles pour des raisons immorales contraires au règlement» (p. 221). La chose était-elle alors si avérée pour placarder ce solennel avertissement et ne pas tourner à la galéjade ? Les enseignants et les étudiants de cette prestigieuse université de l’Est ont certainement lu au second degré cette marque d’humour inaltérable dans leurs campus qui n’en finissent pas de surnager dans la tristesse du béton. Dira-t-on que Lamine Kouloughli a eu la bonne idée de demander à son collègue le professeur Abdelhamid Aberkane, de la faculté de médecine, d’introduire auprès des lecteurs ces morceaux choisis ? Féru de belle littérature, fin connaisseur des arts, Aberkane s’acquitte avec mesure de cette tâche. Ces «écrits épars-liés» devraient trouver des lecteurs, nombreux, à la dimension des généreux champs de la pensée pédagogique, de la critique et de la création littéraires qu’ils proposent.
A. M.

http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/08/17/print-16-121635.php

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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