Le sortilège fait au masdjid el-‘Atîq… |
LECTURES POUR CONJURER LE MAUVAIS SORT |
Kaddour M´HAMSADJI |
L’Expression : 10 – 12 – 2008 |
On dit que l’on porte sur soi un charme. Mais qui pourrait en désigner le sorcier?
Réflexion
qui touche sans doute la personne humaine, et le patrimoine spirituel
aussi en sa forme matérielle, un monument, qui le représente. El-masdjid
el-‘Atîq est situé à Sour El-Ghozlane, extra-muros, non loin de Bâb
el-Hadd. Au regard de ce vestige du passé, nous sommes de plain-pied
dans l’histoire de notre patrimoine spirituel. Il n’est pas nécessaire
de remonter trop loin dans l’histoire des peuples pour démontrer combien
de chants, combien de luttes, combien de cris d’espoir et de désespoir,
il a fallu pour rétablir enfin la vraie dignité des bâtisseurs de
civilisation. De par le monde, chaque peuple a laissé sa trace que le
peuple suivant a légitimement sacralisée et, l’ayant reprise, il a créé,
à son tour, la sienne.
Inutile serait cette idée inquiète qui
recourt à tout un détour insolite, pour nous convaincre à regretter la
disparition, l’effacement même sous nos yeux pénétrés de magie, la
simple silhouette d’un édifice historique, en quelque lieu qu’il se
trouve en Algérie. Comment, autrement, secouer nos sens, élever notre
conscience face à cette sorte de malheur qui ruine notre histoire et
nous arrache le coeur de notre vie spirituelle, sociale et nationale?
Que
de livres ai-je pu feuilleter, Dieu seul sait, et comme beaucoup
d’Algériens, dans l’espoir d’apprendre notre passé! Chaque fois, hélas!
je me suis senti tombé dans les rets invisibles de l’indicible sorcier
en costume d’historien au service de la colonisation, arrogant de
surcroît. Il veut que je ne sache rien de ce que je suis ni de ce que je
pourrais devenir, – sans passé, sans avenir, tout juste présent comme
un animal esseulé de mauvais cirque qui ignore, dans sa cage, sa pauvre
existence! Or l’essentiel, pour l’être humain est d’être près de ses
repères, constamment. Il se nourrira, d’abord, dans les plis fructueux
qui sont dans la culture nationale puis il puisera, dans les longues
traditions des autres peuples, la substance de leurs belles cultures
formatrices du coeur et du caractère, ce qui appelle à la solidarité et à
la fraternité humaines.
Chez nous, aujourd’hui, plus que dans le
passé, parce que nous avons des cerveaux et des bras bien équilibrés,
parce que nous sommes libres, le chantier moderne de l’Algérie devrait
être phénoménalement merveilleux, si nos travailleurs de l’esprit et nos
travailleurs manuels s’instruisaient aux dons de la terre et au Guide
de vie que représente incontestablement notre patrimoine matériel et
immatériel.
Un exemple, comme, hélas, il y en a tellement dans notre
pays? Je le donne, si peu significatif qu’il soit, mais sans légèreté.
Je le propose à la réflexion du juge, c’est-à-dire à la conscience
scrupuleuse de tout détenteur d’autorité.
Il s’agit de la mosquée
antique, el-masdjid el-‘Atîq de Sour El-Ghozlane, Le Rempart des
Gazelles, la ville où je suis né et dont la colonisation a fait
«Aumale». À la lecture de nombreux articles publiés dans la presse en
arabe et en français, mon émotion est intense. Comment rester insensible
devant la ruine d’une oeuvre de civilisation, qui plus est de
spiritualité? De la restauration de la Casbah d’Alger, oui on s’en
occupe, oui on s’en préoccupe, – c’est une oeuvre de longue haleine. Qui
ne sait combien cela exige d’intelligence, de scrupules, d’efforts et
de patience pour redonner vie, là, à tant de valeurs dépréciées,
destituées? L’ouvrage est immense… Mais à Sour El-Ghozlane et, sans
doute, dans bien d’autres villes et villages des vestiges n’en finissent
pas de mourir, en dépit de la volonté active des autorités locales ou
ministérielles. Que faire, en effet, contre le temps ennemi
irréductible, contre le manque d’instruction, contre l’ignorance, et
contre la paresse ou l’indifférence de la bureaucratie, sinon redoubler
de vigilance, suivre l’évolution des tâches et exiger des exécutants de
rendre compte immédiatement des résultats obtenus?
Il est à 130km au
sud de la capitale d’Alger, à 30km de Bouïra, chef-lieu de wilaya, une
ville, autrefois Auzia la romaine, puis Sour El-Ghozlane, Le Rempart des
Gazelles au temps des dernières gazelles, puis Aumale la coloniale, et
enfin Sour El-Ghozlane de l’indépendance et des gazelles prometteuses.
Il
est à Sour El-Ghozlane, un monument historique, vétuste, ancien,
antique. Voici l’histoire que racontent les livres et que répète la
population. Ecoutons-là, s’il vous plaît, – c’est vrai l’exemple cité
n’est pas unique. Mais, si l’on ne met rapidement un terme à de telles
entorses à la loi, où va-t-on?
Quelle est, en bref, l’historique
probable du masdjid el-‘Atîq? À quelque trois cents mètres, extra-muros,
de Sour El-Ghozlane (qui englobait le bordj turc où était installée une
Nouba), au lieu dit haï La‘rab el-‘Atîq (aujourd’hui haï chahîd Sî
Hammidou), la population avait, «au moyen des cotisations indigènes»
(rappelle un PV des Domaines de 1892), édifié, en 1753, une mosquée pour
exercer son culte et pour éduquer et former ses enfants. Mais en 1846,
après la destruction du bordj par le corps expéditionnaire français, un
«biscuit-ville» fut créé par le duc d’Aumale et devint un poste
militaire permanent portant, par décision du ministre de la Guerre, le
nom d’Aumale. L’armée coloniale pouvait alors, en conquérante, aménager
ses écuries sur une partie, entre autres, du terrain dépendant de
l’édifice religieux connu sous le nom de Masdjid El-‘Atîq; et lorsqu’une
mosquée fut construite à Aumale-ville, en 1854, le Service de
l’Enregistrement et des domaines dressa, le 28 septembre 1892 un « PV de
remise » «de bâtiment et des dépendances de la Mosquée d’Aumale
régulièrement et définitivement affectée au culte musulman par décision
susvisée du Gouvernement Général du 20 août 1892». Par la suite, le
directeur des Domaines établit un acte de « Vente de gré à gré » qui
«déclare vendre à perpétuité, en propriété et usufruit, à la Commune
mixte d’Aumale [...] une parcelle de terrain [en précisant que] cet
immeuble [la Mosquée] appartient à l’Etat à titre de dépendances dans
l’ancien beylik turc. L’Etat y avait fait édifier des constructions à
usage de Mosquée, affectées dans la suite à une station de monte…» À
partir de 1904, ce haras devait, avant tout, pourvoir en chevaux l’armée
d’occupation.
En 1962, à l’indépendance, cette station subit des
dégradations successives. Elle est aussitôt illégalement et totalement
occupée, littéralement squattée par des familles durant plusieurs
années. Face aux pressions citoyennes, culturelles, sociales et
administratives, un arrêté communal est pris (n°33/90 du 17/03/1990)
relogeant les familles et restituant au masdjid El-‘Atîq sa fonction
naturelle. Cependant, les familles opposent un refus par inertie à cet
arrêté. Des protestations se sont élevées contre cette situation
navrante qui perdure. Des pétitions ont été adressées à la hiérarchie
des pouvoirs publics. Des articles sur ce sujet ont encore récemment
paru dans la presse. Des autorités locales, la wilaya, le ministère de
la Culture, le ministère des Affaires religieuses sont intervenus, et
chacun en ce qui le concerne s’engageant à contribuer de tout le poids
de son pouvoir juridique, moral et financier pour réhabiliter l’édifice
religieux et reloger les familles. Une enveloppe financière a même été
attribuée pour la réhabilitation de l’ensemble des sites historiques de
la commune. Mais jusqu’aujourd’hui, le problème demeure, encombré de
toutes les manifestations qui fâchent.
Ne voilà-t-il pas un cas
symptomatique d’un sortilège auquel la raison ne croirait pas s’il
n’était un mal social qui relève plutôt d’un traitement urgent, fort et
lucide afin de rétablir le droit et la justice, – faire respecter les
décisions de l’Etat?…Rendre à Dieu ce qui est destiné à Dieu, donner
aux familles ce qui est dignement humain.
(Sources historiques diverses et dossier Associations de protection du patrimoine, avec la bonne foi de Ahl Soûr El-Ghozlane)
14 août 2011
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