Mercredi 12 Novembre 2008
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Quand la poésie et l’imagination sont populaires, l’Histoire du pays devient nationale.
Il y a, peut-être, un peu de cette idée dans l´ouvrage Ahmed Bey l´Algérien (*) de Nasredine Guénifi qui est connu dans la sphère des anciens réalisateurs, directeurs de la photographie et des scénaristes documentaires pour le cinéma et la télévision. Aujourd´hui, formateur en linguistique, il s´essaie à l´histoire de son pays par la recherche des événements qui ont fait les grands hommes de l´Algérie.
C´est une manière à lui de remettre à l´endroit, ce qui, trop longtemps, a été tenu secret et, surtout, avec la tête en bas. À qui la faute? Elle est partagée par nous tous. Nous avons, par nos grands soucis de la multitude des petites choses quotidiennes, par notre laxisme incompréhensiblement affiché face à l´agression insidieuse des idées contraires à notre civilisation, par la paresse (ou l´insuffisance?) de certains de nos intellectuels, par le manque de confiance, à tort ou à raison, en l´autre et en nous-mêmes, nous avons ainsi développé une indifférence morbide à tout ce qui touche à notre conscience d´Algérien. C´est pourquoi, à mon sens, il n´y a du vrai que dans le cri de défi ou de désespoir de nos poètes populaires, les maddâd-ha; en effet, entre le bandaïr et la flûte en roseau, ils ont dénoncé avec des accents patriotiques «L´entrée des Français à Alger» tel un certain cheikh Abdelkader qui, en 1860, a fustigé l´envahisseur et exprimé sa douleur par, entre autres vers: «Hélas! où est Mazghanna, – la sultane de toutes les villes? [...] Au sujet d´El-Djazâïr, ô gens, j´éprouve de l´inquiétude!» Dans son récit, Nasredine Guénifi imagine une belle scène: «[Quand, en quittant Alger, Ahmed Bey] «monte sur son cheval, puis tourne sa monture vers Alger [... il] s´écrie: «Je vois Alger pour la dernière fois peut-être; car je jure de ne plus y remettre les pieds tant qu´elle sera soumise aux infidèles et aux Turcs!…» [...] Au même moment, à Alger, Abdallah [un de ses compagnons] croise sur la place presque déserte d´El-Jénnina le poète aux cheveux longs qui erre en clamant: «Sorti de cet abîme creusé par nos fautes / Un loup va commettre des crimes inouïs (extrait d´un poème de Bouteldja Tlemçani, cité par l´auteur).»
Mais le récit d´Ahmed Bey l´Algérien a commencé plus tôt. Nasredine Guénifi nous montre, plus qu´il n´imagine, la vie d´un homme que l´histoire vraie a mis en lumière, quels que soient les avatars que le personnage Ahmed Bey a connus et que, au reste, nous connaissons peu, et même pas du tout. De Ahmed Bey (1784-1850), dont parfois on confond le nom avec celui de son arrière-grand-père Ahmed Bey El-Kolli, nous savons deux ou trois choses: c´est, disent quelques archives, le dernier Bey de Constantine et après la reddition de Hussein Dey, il est le dernier gouverneur d´Algérie, puis il est nommé pacha d´Algérie par la Sublime Porte. Il a assumé un rôle important en modernisant, à tout le moins l´Est algérien, en mettant fin à l´esclavage et en protégeant plus qu´auparavant les Juifs. De 1830 à 1848, il n´a cessé de renforcer la résistance algérienne contre l´armée d´occupation, et notamment contre le maréchal Clauzel. Quand Constantine tombe finalement entre les mains de l´ennemi dont les pertes sont lourdes, il réussit, en juin 1848, à s´échapper, avec un groupe de fidèles patriotes, pour aller organiser la résistance dans les Aurès en passant par Biskra. Mais, affaibli et isolé, il se rend à l´évidence de sa prochaine capture. Pour éviter le pire à ses compagnons et aux populations qui le soutiennent, il décide de se rendre à l´occupant qui le met en résidence surveillée à Alger où, dit-on, il meurt empoisonné en 1850.
Dans le genre roman historique, Nasredine Guénifi, «n´étant pas historien ni écrivain au sens professionnel», mais s´inspirant de près de 500 pages d´un paquet découvert dans les ruines de sa maison natale en démolition, nous narre l´histoire d´Ahmed Bey de Constantine. «Il n´est pas Turc, précise-t-il, mais Kouloughli. (C´est ainsi que les Turcs désignent les «sangs mêlés»). Son nom complet est Hadj Ahmed Ben Mohamed Chérif. Il naquit à Constantine vers 1785. Son arrière-grand-père, Ahmed Bey El-Kolli, est un ancien bey de Constantine très populaire. [...] Si les grands mérites de l´émir [Abdelkader] sont connus, ceux d´Ahmed Bey sont quasiment ignorés, voire frappés d´ostracisme. Heureusement que depuis quelque temps les pouvoirs publics et des associations culturelles organisent des colloques sur ses activités patriotiques.»
Dans ce roman (livre 1 de Ahmed Bey l´Algérien), Nasredine Guénifi nous renvoie à l´«Aïd El-fitr, le 1er chaoual 1243, correspondant au 29 avril 1827 de l´ère chrétienne. [...] Le dey Hussein a près de 60 ans, mais il garde un physique vigoureux.» C´est là que tout commence. Bientôt arrive sur les premiers rangs dans les faveurs du Dey d´Alger un homme dont la filiation et le mérite lui sont ouvertement jalousés: «Âgé d´environ quarante-cinq ans, il est le plus jeune bey d´Algérie et l´un des rares Kouloughli à accéder à cette fonction qu´il exerce depuis quatre ans.» C´est Ahmed Bey, l´Algérien… Écrit dans un style simple, agréable, sans fioritures – mais attention à quelques maladresses inévitables sans doute dans une première publication, et tout particulièrement quand il s´agit d´un travail romanesque «sur l´histoire», car si même la fiction n´est pas un calque de la réalité, elle n´autorise pas, je pense, un excès dans la double articulation du vrai et du vraisemblable -, nous avons le plaisir de lire cette première partie de la magnifique histoire de Ahmed Bey de Constantine. Mais il faut oublier que l´on s´instruit aux sources de l´histoire. Ici, quoi qu´on fasse, on reste dans la fiction, la bonne fiction qui émeut et qui donne la fierté d´être ce que l´on est.
Voilà une oeuvre que j´aurais voulu primer pour encourager l´auteur au 13e SILA d´Alger, si j´avais eu quelque pouvoir en dehors de mon Temps de lire de mercredi à L´Expression.
(*) AHMED BEY L´ALGÉRIEN (Livre 1) de Nasredine Guénifi
Éditions Alpha, Alger, 2008, 240 pages.
http://www.lexpressiondz.com/culture/le_temps_de_lire/59792-L%E2%80%99ab%C3%AEme-creus%C3%A9-par-nos-fautes.html
14 août 2011
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