Mercredi 13 Février 2008
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Ce n’est pas forcément une histoire heureuse quand l’ignorance fait croire à la femme noire.
Avec Le Silence des murs (*), Mohammed Attaf nous ramène à une sorte de vie antérieure – j´allais dire intérieure – où l´imaginaire est souvent à son comble. En vérité, les vingt nouvelles (j´ai déjà rappelé ici les critères et les techniques de ce genre littéraire) qu´il nous propose sont intéressantes à bien des égards. Et qu´est-ce qui serait autant captivant que les souvenirs d´enfance? J´entends les souvenirs qui nous élèvent au niveau du degré d´amour dont nous construisons notre présent, tous les souvenirs qui nous disent ce que nous sommes, pour qu´enfin, et une fois pour toutes, nous prenions conscience de notre identité.
Eh oui, les Algériens doivent se raconter, décrire leurs attaches, remonter aux racines. Quoi! serions-nous, sans Histoire? Il en est – pourtant des têtes bien pensantes, voyez-vous ça! – qui se demandent encore en 2008 «Qui sommes-nous? D´où venons-nous?» Cela frise l´ignorance et fixe le ridicule lorsque pour étayer nos principes, on fait appel à l´étranger. Tout ce qui est étranger, chez nous, est «une drôle de merveille»; on ne se connaît pas de repères, on consomme et pour paraître créateurs – en tout cas pour glaner quelque considération – certains n´ont aucune honte à verser aveuglément dans l´imitation, et plus grave à sombrer dans la contrefaçon!
L´ouverture est un besoin essentiel pour l´évolution et le développement de toute culture nationale. S´il faut donner des références, on doit les examiner et les prendre chez nous. Voilà mon irritation passée sur une comparaison absurde, incongrue, improductive que je lis dans la page 4 de la couverture du présent recueil de nouvelles de Mohammed Attaf. Bon sang ne ment pas! Il suffit de lire une seule nouvelle de Attaf pour se rendre compte que lui n´a pas besoin d´être comparé à Lamartine dont au reste j´admire, évidemment, le souffle de sa poésie, la force d´âme religieuse qui irrigue ses vers et ses images, en particulier, dans ses Méditations, poèmes d´amour et de douleur – il chante ses souvenirs et sa souffrance – ou dans ce vallon de l´enfance où est nichée Milly, sa terre natale, la montagne du Craz et les paysages d´Aix-les-Bains. Il serait vain pour moi de vouloir en préciser l´intention. La poésie est création, Lamartine émeut, car il parle de ce qu´il vit. Tout autant, par le travail, par la vie de famille unie dans l´amour et dans l´effort, l´homme, chez nous, construit aussi son bonheur, un élan qui se retrouve parfaitement dans la nouvelle La Maison des invités que nous présente magnifiquement Mohammed Attaf, évoquant ses souvenirs d´enfance à Tizi Ouzou. De plus, notre auteur va au fond des êtres animés ou inanimés: «L´art du travail fini accroît l´amour du style et de la présence infinie. [...] Chabha, tenant encore aux traditions d´honneur, ne pouvait admettre une table d´invités sans viande ni dessert» – dâr ed-diâf est, plus que la vitrine, le miroir de toute la maison, à ce point que l´on aime cette scène qui nous rappelle beaucoup de souvenirs: Chabha, assise auprès de ses enfants, leur confia entre deux gorgées de café: «Vous savez, mes enfants, on dirait qu´on a trouvé du miel dans cette maison.»
Les autres nouvelles sont du même terroir avec de belles envolées lyriques. En effet, on s´imagine les justes paysages de notre région (ici la Kabylie), les personnages simples et véridiques, et tout pleins d´une ambition saine – on en trouve un exemple avec le chômeur qui, «licence en poche, passe la nuit à écrire (ou plutôt à décrire) sa vie monotone et ses espérances qui ressent dans ses viscères une multitude d´obsessions et d´angoisses qui le martyrisent.» Un message est envoyé là aux jeunes auteurs. Dans La Femme noire, on pourrait préférer que Attaf entre au coeur du problème posé par l´ignorance et l´inculture. Pourquoi, l´écrivain, n´aurait-il pas, le vrai, le grand devoir d´éclairer, voire d´éduquer son lecteur? Et spécialement lorsqu´il s´agit d´un phénomène aussi rétrograde que celui qui dénigre «la science médicale»?…La dernière nouvelle, qui est la locomotive, disent certains, de toutes les nouvelles, a pour titre Le Silence des murs. Très beau titre, sans aucun doute. Mais, à mon sens, il ne reflète pas le fond fin et solennel que Attaf évoque de son enfance. En fait, les descriptions sont souvent superficielles, parfois d´une prolixité un peu molle. L´émotion vient du souvenir, non pas – dirais-je – de l´auteur, mais de ce qu´il nous donne à voir, et pour moi, à revoir, des temps anciens de la vie de nos parents et de nos grands-parents. Car en écrivant, il y a quelque chose à laisser derrière soi aux générations prochaines: les passions populaires les plus fortes qui font la société. Bien sûr, il y a beaucoup à comprendre du Silence des murs, mais beaucoup plus encore si Les murs parlent à la place de l´auteur. Mohammed Attaf, qui progresse nous faisant gagner par le Silence (quand même!), ce lien intime qui est primordial entre le lecteur, l´Algérien et le littérateur.
Ouvrage à lire, auteur à encourager.
P. S.: J´apprends à l´instant, en réalité deux jours avant la parution de cette chronique, la bonne nouvelle: Mohammed Attaf a reçu pour son roman L´Arbre de la chance, qui a été présenté à nos lecteurs ici-même, «Le prix Apulée du premier roman», décerné par la Bibliothèque nationale d´Alger. Félicitations à lui et aux autres lauréats Ahmed Khiat pour Moughâmarât El Mâkir (Les aventures du Malin) de la collection Adab El Foutouwa dans la catégorie langue arabe et Tahar Ould-Amar pour Boûroûroû (Hibou) aux éditions Azur pour la langue amazighe.
(*) LE SILENCE DES MURS
de Mohammed Attaf
Éditions Alpha, Alger, 2007, 167 pages.
http://www.lexpressiondz.com/culture/le_temps_de_lire/51940-L%E2%80%99hirondelle-dans-la-maison.html
13 août 2011
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