ROMAN ET CONNAISSANCE SOCIALE DE WADI BOUZAR
Roman et sociologie, quels rapports?
Mercredi 07 Juin 2006
Par
Le romancier pose des questions sans y répondre, le sociologue conceptualise les réponses.
Wadi Bouzar nous propose un bouillon de culture, trop bouillon, sous la forme d´un essai intitulé Roman et connaissance sociale (*). Professeur des universités et auteur de nombreuses études sur la culture et la société et d´un roman Les fleuves ont toujours deux rives, ce professeur des universités s´intéresse à l´insondable et inusable problématique qui laisse infiniment rivaux sociologues et romanciers. Il se donne ici pour tâche essentielle de «contribuer à mettre davantage en évidence l´apport du roman en tant que mode de connaissance du social. Telle sera l´idée directrice de ce travail: montrer qu´on peut acquérir ou approfondir des connaissances sur tel ou tel type de société en nous référant à quelques auteurs qui traitent des romans et qui parfois en écrivent eux-mêmes».
L´engagement est ferme et l´essayiste va droit au but. Tout en se référant au constat du sociologue Pierre Bourdieu qui relève chez les romanciers «des expériences sociales» et à d´autres conclusions émises par des spécialistes (Lassave, Boudon, Caillois, Barthes,…), il expose ses propres remarques sous forme de questionnement et tente d´y répondre: «Pourquoi le roman est-il tellement concerné par le social? Pourquoi le social y est-il inclus? On ne saurait isoler le rôle et la fonction du romancier de leur contexte. L´auteur d´un texte appartient à la société et y reste plus ou moins immergé. Ceci revient à dire que l´écrivain est d´abord un homme comme les autres, autrement dit ´´un être social´´. Le romancier, membre de la société, en vit les problèmes, y est inévitablement confronté.»
Évidemment! Nul n´écrit pour soi. Notre littérature foisonne d´exemples concrets où nos auteurs «disent» la société où ils sont complètement «immergés». Wadi Bouzar a bien observé dans son travail que «le romancier est particulièrement sensible aux problèmes que, vivant dans la société, il y rencontre, il y observe et dont il souffre. Peut-être que cette sensibilité est-elle plus vive chez l´écrivain que chez d´autres artistes.» Peut-être a-t-il, lui-même, transcrit un certain vécu dans son propre roman Les fleuves ont toujours deux rives. Peut-être cette expérience personnelle lui a-t-elle fait comprendre combien «tour à tour, un peu comme le sociologue, le romancier sera relativement dans et hors le social». En réalité, ce n´est pas là une découverte sensationnelle, encore moins un scoop, aujourd´hui. Au reste, ce scoop, l´a-t-il jamais été? L´immense Victor Hugo, dans sa préface aux Contemplations, a pu écrire en généralisant: «On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas? Ah! insensé, qui crois que je ne suis pas toi !» Voilà une citation que tous nos écrivains, comme tous les écrivains dans toutes les langues et à toutes les époques, depuis que le scribe existe, depuis que l´écrivain existe, depuis que le kâteb existe, en font la leur, car «les images et les mythes» sont naturellement fixés par l´expression orale et l´expression écrite.
Wadi Bouzar rappelle, à raison, par exemple, que «dans la littérature arabe, la maqama ou séance est à l´origine du roman». Son travail traite, dans une première partie des «origines du roman, genre tardif mais qui s´est révélé d´une sûre vitalité jusqu´à nos jours» ; dans une seconde partie «des conceptions de plusieurs auteurs, de Germaine de Staël à Hans Robert Jauss». La démonstration est brillante ; elle intéressera beaucoup ceux qui écrivent et ceux qui voudraient écrire et évoque «quelques notions utiles à une lecture du roman». Cependant, le lecteur algérien ne manquera pas d´observer que toutes les analyses de Wadi Bouzar portent sur un échantillon d´oeuvres littéraires autres qu´algériennes, celles-ci, pourtant, «se réfèrent à des éléments de la vie sociale». Je n´ai pas de réponse précise à cela.
11 août 2011
LITTERATURE