LES EXILÉS DU MATIN DE HAMID SKIF
Écrire et méditer
Mercredi 19 Juillet 2006
Par
Est-il un doux chemin d’exil qui puisse conduire une existence à la poursuite du bonheur?
En publiant Les Exilés du matin, poèmes suivis de Lettres d´absence, Hamid Skif joue avec le bonheur en le taquinant discrètement. Mais le bonheur est-il un amusement? «du moins, ne consiste-t-il pas à être libre?» Si oui, l´exil est-il un vrai refuge pour acquérir du bonheur et jouir de sa liberté s´il ne permet pas de se construire et de grandir, puis de retourner d´où on était parti? Sans quoi l´exilé ne vivra qu´en exilé ; il cheminera seul partout dans le monde qui n´est pas le sien, qui ne sera jamais le sien. Tant il est vrai, comme dit le grand poète français Victor Hugo qui sait de quoi il parle: «Oh! l´exil est impie.» Plus près de nous, Ben el Qoubâbti s´est plaint des morsures de son éloignement d´Alger, mais, lui, a fui la répression coloniale. Après la Première Guerre mondiale, après la Seconde Guerre mondiale, pendant la longue misère économique qui s´est abattue sur les Algériens, des centaines de milliers d´entre eux ont quitté leur région, leur pays pour aller chercher leur pain ailleurs pour eux-mêmes et pour leurs familles laissées en arrière, «ceux à côté desquels [leur] vie aura coulé». Eh bien, oui! ces exilés savent, «combien est amer le pain de l´étranger»: ils en ont mangé des tonnes! Et de boire et de boire l´amertume de leur déception dans la coupe d´or censée figurer le vrai bonheur, ils se sont dégoûtés de la petite mesure d´argent et du mythe vulgaire du bonheur qui fait injure à leur dignité, jusqu´à en mourir et, la maladie impardonnable ou la vieillesse venue, à désirer être enterrés coûte que coûte chez eux, sous le palmier nourricier ou l´olivier ancestral. Le grand et populaire Dahmane el Harrâchî, et bien d´autres chanteurs avant lui, qui étaient tous pourtant très écoutés par les gens de l´exil, se sont hélas! épuisés, sans convaincre vraiment personne.
Hamid Skif, qui vit en Allemagne depuis 1997, a publié ses premières oeuvres en Algérie, à l´ÉNAL: Poèmes d´El Asnam et d´autres lieux et Nouvelles de la maison du silence. À l´étranger, il s´est fait connaître en publiant, à Marseille, Poèmes de l´adieu, à Paris, Citrouille fêlée, La princesse et le clown, La rouille sur les paupières, Monsieur le Président, La Géographie du danger et, à Saint-Marcellin, Le Serment du scorpion. On peut lire aussi de lui un extrait intitulé Retour à Alger (voir Dzayer, Alger, de Zohra Bouchentouf-Siagh, Casbah éditions, pp.25-31). Mais quand notre poète retournera-t-il à Alger?
Les poèmes qui nous sont proposés sont tout entiers prioritairement dédiés À Ursula ; et peut-être est-ce d´elle qu´il nous parle, la désignant d´emblée par «Cette lumière qui fait ma joie». Confusément les poèmes, Les Exilés du matin, portent alors un bonheur abstrait, pavillon flottant bien haut au mat d´un vaisseau chargé d´allusions, de symboles, de mots brûlants des amours audacieuses d´un capitaine trop fier, trop sérieux, trop perturbé par l´amertume de l´exil et qui, cependant, se préserve de toute formule qui ne soit pas algérienne. Le poète écrit: «Je suis un révolutionnaire, si vous voyez ce que je veux dire, mais n´ayez pas peur/ Il n´y a que moi qui frissonne à l´énoncé de ce mot-là.» Le poète écrit aussi de la prose tout en restant poète dans ses Lettres d´absence. L´amertume semble bruire dans chaque mot de sorte que tous les mots accumulés n´élèvent aucune espérance. «Pourquoi suis-je parti? Je ne le sais pas moi-même.» Nulle réponse intelligente, non plus, ne jaillit pour mettre ou remettre de l´ordre dans la ville rêvée, maintenant décomposée.
Hamid Skif a écrit «Oui, il m´arrive de regarder en moi… [...] Je veux que l´on se souvienne du halètement de ma voix brisée, de mes forces perdues, de mes éclats de rire, de mes larmes et de mes rages.» Mais ne faudrait-il pas, ici même, sur notre terre maternelle, «être héroïque» et «vouloir rester soi-même» pour construire le bonheur de l´homme libre et juste, le bonheur fait de nos seules mains d´ouvriers fraternels et heureux
11 août 2011
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