LES COURS PARTICULIERS
A boire et à manger
Dimanche 23 Février 2003
Par
Pour aider leur enfant, les parents croient qu’il n’y a de limite ni au devoir ni au scrupule.
Excellent sentiment que celui-là! Aussi se laissent-ils facilement influencer par les conseils de l´enseignant…ou de l´enseignante. Il faut se fier assurément à ces professionnels de l´instruction publique qui savent traiter les problèmes posés par l´enfant. Mais parfois ni le sentiment, mais parfois ni le service promis sous influence, ne peut faire l´avenir de l´enfant. De plus, quel parent ne rougit pas de la «faiblesse» de son enfant si les prévisions magistrales soulignent froidement une série de mauvaises notes et l´évidence d´un mauvais classement, – et plus tard, sans aucun doute, l´exclusion?…A bien réfléchir, qui faut-il exclure de l´école? Le paradoxe, si étrange et si violent qu´il soit, est que, dans une école qui n´évolue pas, une école sinistrée, les élèves passent, et le magister reste.
Alors, le parent scrupuleux, le parent qui a le sens du devoir se mêle d´aider son enfant. Il craint, s´il n´écoute l´enseignant, de le regretter bientôt. Ainsi, sans être d´accord, ni sur le fond, ni sur la forme, ni sur rien d´ailleurs, l´enseignant et, malgré lui, le parent d´élève, complice passif, fondent un artisanat d´école. Là, on voit un personnage en tenue insolite, un «Topaze» ravi de revivre son époque triste, «un cheikh Sqolly» grisé par son propre charlatanisme, l´un et l´autre plus affairistes cupides que pédagogiques consciencieux, tous les deux évoluant dans un local désaffecté en sous-sol, dans une ou plusieurs pièces d´un appartement ou d´une villa sans conformité remarquable. Là, va un père ou une mère se débarrasser d´une charge éducative dont aucun d´eux n´a la compétence, du reste. Là, l´enfant, parmi tant d´autres qu´un sentiment parental avait attroupés, est abandonné: lui aussi coupable, et ainsi puni, de ne pas être un écolier sans problème.
Et l´on voit donc, souvent à proximité de l´école normale, c´est-à-dire de l´école publique, celle du peuple, pousser vite comme chardons des taudis de classes uniques où rien n´évoque la ruche utile, le bourdonnement de l´abeille ouvrière, le mûrissement du miel de la nouvelle saison. Hélas ! tout rappelle le bouge où se répètent de mille manières quantité d´erreurs pédagogiques, quantité de simulacres d´enseignement et de formation, quantité de programmes inappropriés en toute incompétence, ces divagations même qui sont la cause du grave sinistre de l´école publique. Là, aux portes de notre Ecole, qu´on aimerait guérir de ses répréhensibles fantasmes pour enfin se convaincre de l´urgence à répondre aux vrais besoins de modernisme réclamés par le peuple, poussent donc des chardons, de faux chardons pour de faux ânes! Voilà que maintenant, si ce n´est déjà depuis longtemps, certains enseignants conseillent à certains parents d´élève de 1re année de scolarité de faire donner des cours particuliers à leur malheureux enfant. Autrement dit, tel enseignant s´engage à pourvoir tel enfant de ces connaissances qu´il n´a pu acquérir en temps normal à l´école publique de son quartier. La force de l´enseignant est celle du maître qui décide que cela soit. Cela sera: il faut faire comme les autres, inscrire son enfant aux cours particuliers pour «plaire» à l´enseignant. Une routine se développe, entraînant les parents hésitants à rejoindre le fier troupeau de ceux, les nantis, dont l´esprit est taraudé par le scrupule ou l´orgueil, et de ceux, les démunis, dont le coeur est pénétré par le devoir de sacrifice!
Mais de tout cela qui est avéré, quoi penser, quoi retenir? D´abord, il est impossible qu´un enseignant soit différent avantageusement en cours privés qu´en classe officielle. Car pour la renommée de son métier, il reproduit tout son être pédagogique et scientifique ici et là, normalement…A moins qu´il ne triche à l´école, et sous les yeux aussi de ses chefs, le directeur, le conseiller pédagogique et l´inspecteur. Or jamais écho de telle affaire n´a forcé l´enceinte de l´école. La sanction serait-elle tombée sans qu´elle fasse scandale? Si l´on entre dans le domaine des «peut-être», il y resterait quand même la fumée d´un feu que l´on n´a pas vu. Ensuite, si l´enseignant est bien meilleur en cours particuliers, le déficit de l´enseignement à l´école serait énorme, et, a contrario, réjouissons-nous du petit pourcentage de succès en fin d´année scolaire. Or, la vérité est que l´enseignant (sauf exception?) transporte où qu´il aille ses propres bagages et les dépose avec la précaution du conquérant. Or il va faire ses cours sans prendre patience dans un drôle d´atelier, devant de drôles d´enfants qui ne sont plus des élèves mais des auditeurs soumis, déconnectés de leur vraie nature d´écoliers. Et puis en fin d´année de cours particuliers, quels sont les résultats? Correspondent-ils aux promesses, aux taux annoncés et parfois affichés au moment des inscriptions et à l´accueil? Le code de confiance est appliqué bizarrement. Des frais de cours particuliers, on n´en parlera pas. L´obligation de résultat est oubliée. L´enfant refera son année à l´Ecole et ses parents le réinscriront aux cours particuliers dont la rumeur fabrique derechef un slogan inusable: «Le succès assuré en fin d´année scolaire»!
Le cycle est bouclé. Pour qui? Pourtant les principes existent, et chacun a droit au bonheur. Mais lorsque l´enseignant convoite le bonheur sans en mettre le prix, sans exercer sa compétence, son sérieux et sa générosité, il court le risque de perdre et la face et l´estime de soi. «Il se trouve comme appauvri et vidé de tout contenu», dirait un éminent pédagogue connu de tous les enseignants dignes de ce nom.
11 août 2011
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