L’ALGÉRIE EN 1954 DE TAYEB CHENNTOUF
La mémoire suffit-elle à l’histoire?
Mercredi 31 Janvier 2007
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L’archive est exceptionnelle quand elle témoigne de l’événement exceptionnel.
C´est là, évidemment, une vérité réelle dont l´historien étudie la cohérence entre la logique formelle et la logique universelle. Il faut faire parler l´archive qui a quelque chose à dire, c´est du moins ce que l´historien s´attache à découvrir; et c´est la vérité historique. Autrement dit, toute archive et, à plus forte raison, tout témoignage, ne sont pas indubitablement vérité: l´historien se donne pour tâche complexe d´en dégager la valeur et d´en faire la critique.
C´est un peu dans cette situation que s´est d´abord trouvé Chenntouf Tayeb qui, dans son introduction à son livre L´Algérie en 1954, confie ceci: «C´est au cours de la consultation des archives que le hasard m´a fait découvrir L´Algérie du demi-siècle vue par les autorités locales. La lecture du document m´a convaincu de son intérêt et j´en fis une brève présentation dans le Bulletin des archives [n° 4, 1975] pour le signaler aux chercheurs et faciliter sa consultation.»
Décrivant ce document daté de janvier 1954, Chenntouf, professeur d´histoire moderne et contemporaine à l´Université d´Oran et chercheur actif et associé ailleurs, nous en révèle le contenu, les objectifs et les résultats. Élaboré à partir d´une enquête lancée à la fin de l´année 1952 auprès des autorités locales (maires, administrateurs de commune mixte, sous-préfets, commissaires de police, chefs de collectivités dans les territoires militaires), ce rapport devait indiquer la situation générale de «L´Algérie du demi-siècle vue par les autorités locales» et renseigner ainsi le Gouvernement général de l´Algérie de l´époque «en relevant les problèmes, les opinions émises et les suggestions émanant des autorités locales». Il y a là, pour l´historien algérien, matière à connaître, à analyser et surtout à comprendre le système colonial, vu de l´intérieur par les autorités coloniales et tel qu´il était exactement appliqué en Algérie.
Chenntouf Tayeb indique quelques pistes à suivre pour développer a contrario, à la fois, les intentions coloniales et davantage -ce qui est intéressant aussi pour nous aujourd´hui -«tous les aspects de la vie de la population: économie, société, culture, religion, administration». Mais ce qui semble le plus opportun et très significatif de la pensée révolutionnaire et militante des mouvements nationalistes algériens, c´est son antériorité incontestable à la prise de conscience de la nécessaire lutte armée de libération nationale.
Ce document dactylographié (26cmx21cm), rédigé «par un haut fonctionnaire anonyme» comporte quatre titres: 1-Problèmes économiques. 2-Problèmes sociaux et éducatifs. 3-Problèmes politiques. 4-Organisation administrative. 5-Conclusions. L´ensemble est très instructif non seulement pour les jeunes d´aujourd´hui, mais encore pour nos anciens qui n´avaient pas accès à l´explication tenue «confidentielle» de leur situation sociale placée largement sous le sceau du non-droit du fait de leur statut institué par «le code de l´indigénat». Ainsi, apparaissent, par exemple, dans le domaine de «l´agriculture musulmane» le mode «khamessat», des niveaux de vie dans les campagnes, de l´afflux des ruraux sans ressources vers les villes et les centres, de l´instruction et de la santé, de la religion qui imprègne la vie politique et sociale des Algériens, de l´administration, de la justice et de la sécurité. Mais en vérité, on décèle aisément à la lecture de ce document, au-delà de la volonté coloniale de développer le pays dans les domaines les plus variés de la vie algérienne, la volonté du peuple algérien à repousser le joug de la conquête, de l´occupation, de la déstructuration historique, politique, économique, sociale, culturelle, à braver la loi de l´opium et le bâton, à construire sa lutte de libération nationale. Le document d´archive présenté par Chenntouf Tayeb va certainement contribuer à une analyse plus approfondie du système colonial en Algérie (1830-1962) qui craint, pour sa «minorité de Français», l´évolution «de la masse musulmane» et, du coup, «pour son oeuvre d´émancipation». «On a déjà été trop vite, dit-on dans la commune mixte de Sebdou, et beaucoup trop loin.»…Il est chez nous une belle allusion dans ce cas là: «Le propos est à la mesure de la pensée.»
11 août 2011
1.LECTURE, Histoire