ALGER, DE MÉMOIRE ET D’AMOUR DE OUAHIBA ABOUN ADJALI
Le pinceau sous la plume
Mercredi 11 Avril 2007
Par
C’est une idée si vague qu’elle est devenue poésie.
L´idée de publier dans une collection particulière – au sens fort -, de la poésie en fragments épars et illustrés, est certes une gageure, – mais pour qui?…
Et c´est tellement rare aujourd´hui un éditeur attaché à son art, et qui plus est authentique poète par son «Mot de l´éditeur», qu´il nous souvient tout juste que son métier est plutôt bel et bien poésie pure, -c´est-à-dire ce que je trouve évidemment dans le double ouvrage que nous offrent Les éditions APIC avec la plaquette de poésies Alger, de mémoire et d´amour de Ouahiba Aboun Adjali et, paraissant dans la collection «Quand le pinceau peint la plume» et sous le même titre, l´oeuvre d´art accompagnatrice de Philippe Amrouche, peintre, graveur et calligraphe délicat sous la pulsion des souvenirs que développent les mots ailés de la poésie.
Ouahiba Aboun Ajdali est la femme qui a reçu le don de la sensibilité en même temps que celui de la rigueur de l´angle droit. Née en 1954 à Alger, elle a grandi dans l´Algérie de l´espoir, de la mathématique, de l´économie, du culte du beau; elle ouvre une galerie d´art à Alger et tient une plume libre pour écrire en toute fidélité ce qu´elle sait de sa ville natale et ce qu´elle a d´amour pour elle. Vingt-trois poèmes, que l´on peut dire à mi-voix, racontent des souvenirs précis d´«Alger, de mémoire et d´amour». Le vers est court, le rythme tantôt haletant, saccadé, disloqué, tantôt primesautier, volontaire, exprimant le duel de l´enthousiasme et de la déception; les sonorités tentent de provoquer l´esprit face aux choses de la vie: l´inadmissible, le malheur, l´horreur, l´exil, la rancoeur, le devoir, le temps qui passe, le temps qui décompose plus qu´il ne recompose ce que l´on aime, le temps qui façonne les mots et les symboles.
Ouahiba Aboun Adjali reconstruit sans cesse sa vision d´un monde vécu ou rêvé ou espéré, -ce qui est en elle. Elle recourt aux symboles qui sont elle-même, sa vie même. Ainsi pourraient s´expliquer cette prédominance de la forme symbolique de sa poésie et, tout spécialement, une certaine puissance d´exprimer qui lui a manqué, peut-être.
L´emploi du vers libre, du vers court, du vers énigmatique, les répétitions peu éclairantes, peu fécondes, déstructurant ici et là l´exquise trouvaille d´une image mobile ou la fluidité du poème d´où parfois l´impression que nous avons: le secret poétique est dénoncé par une fausse intelligibilité du mot.
Ce mot a parfois cristallisé des maladresses. Est-ce par méconnaissance des sensibilités écrit-on «Ma ville blanche/blanche blanche/de brume rosée/qui court comme une liqueur à mes veines» ou par méconnaissance des conséquences désastreuses engendrées par les croisades auxquelles a participé corps et âme pour finir le Croisé volontaire «Cervantès vociférant dans sa grotte»?…On peut discuter d´une opinion, jamais d´un choix personnel. Mais que Ouahiba Aboun Adjali se rassure, personne ne pourrait être insensible à la lumineuse beauté de sa sincérité et de ses sentiments. Cette première oeuvre, que tout vrai artiste doit connaître, annonce une belle poétesse naissante.
Aussi dois-je dire que Philippe Amrouche a dû être séduit comme il convient pour avoir si magnifiquement peint les mots les plus précieux de la poétesse algéroise.
Il s´est évertué à rendre le vers plus éloquent en l´introduisant harmonieusement dans son propre paysage: à fragment poétique, fragment émouvant de la nature matérielle. Le but a été encore ici, sans exagérer le procédé de détrempe, de trouver le rythme, l´accompagnement plastique (et musical?) assez expressif pour servir le décor naturel avec ses effets exaltés d´ombre et de soleil, de tristesse et de bonheur, évoqué par les riches et délicates images poétiques de Ouahiba Aboun Adjali. Ainsi voici «Alger qui lui/à l´orée de la nuit/mon île au milieu de l´oubli», voici «Je t´ai veillée…mon inquiétude», voici «le malheur monte aux nues» et voici «Ma ville blanche et bleue/humiliée et rose au lever du jour/comme une femme après l´amour.»
ALGER, DE MÉMOIRE ET D´AMOUR
Poésies de Ouahiba Aboun Adjali (55 pages) Illustrations de Philippe Amrouche (22 pages /31×20)
Éditions APIC, Alger, 2006.
11 août 2011
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