Histoires vraies
Comment redevenir un homme libre (2e partie)
Résumé de la 1re partie : Burns s’est évadé du bagne. Parviendra-t-il à échapper à la police déjà à ses trousses ?
A peine a-t-il dépassé le tournant qu’une violente déflagration envoie dans les airs des masses de terre et de cailloux. Quand la fumée se dissipe, il n’y a plus de route : tout a dégringolé le long de la pente abrupte. Le passage est coupé pour les poursuivants.
Dans le silence, on entend le bruit que fait le camion de Burns roulant sur la plaine à toute vitesse.
Trois années plus tard, un éditeur de Chicago, petit par la taille de son entreprise, mais gros, très gros par le corps, pose sur son bureau un manuscrit :
«Intéressant, dit-il en mâchonnant son cigare. C’est même passionnant. J’avoue que j’ai appris quelque chose. Et qu’est-ce qu’il est devenu ce Burns depuis qu’il a écrit ça ? Il est en tôle, je suppose ?»
Il s’adresse à une femme en costume masculin qui le regarde avec effronterie à travers des lunettes de myope.
«Pas du tout, répond la femme d’une voix hommasse et vulgaire. Il est arrivé à Chicago il y a deux ans. Il venait de Georgie à pied. Au lieu d’entrer en rapport avec les gangs, il a cherché du travail. La nuit, il écrivait son bouquin. Le jour il faisait tous les boulots. Actuellement, il est laveur de carreaux.
— Ah ! Mais comment savoir si tout ce qu’il raconte est vrai ?… Est-ce que tu l’as rencontré au moins ?
— Oui Charlie, plusieurs fois. A mon avis, c’est un type très chouette.
— Alors, pourquoi était-il au bagne ?
— Il était dans l’US Navy. Au retour de la guerre, il s’est trouvé sans job. Comme il parcourait à pied les routes de la Georgie à la recherche d’un problématique boulot, il est tombé sur une bande de malfrats qui, après l’avoir entraîné dans un coup dur, ont trouvé le moyen de s’éclipser en lui laissant porter le chapeau. Le juge ne devait pas être de très bon poil : il l’a condamné au maximum : cinq ans de bagne.
— C’est bon, fais-le entrer.»
La femme en costume masculin s’en va d’un pas chaloupé ouvrir la porte au nommé Burns. Celui-ci entre, la tête en avant pointant vers le gros éditeur son nez à piquer les gaufrettes et les mâchoires serrées dans son menton carré.
Comment pourrait-on imaginer qu’il s’agit d’un évadé du bagne ? Traqué jour et nuit par une armée de policiers acharnés à le reprendre, caché le jour dans les herbes des marais, de l’eau jusqu’à la poitrine, dormant la nuit accroché dans les arbres, se nourrissant pendant un mois de racines et de légumes crus, il a réussi à franchir les limites de l’Etat de Georgie pour traverser à pied du sud au nord tous les Etats-Unis !
«Bonjour, monsieur Burns ! Asseyez-vous… Voilà monsieur Burns, je trouve votre livre formidable, mais j’hésite à le publier.»
Burns s’est à peine assis que le voilà debout, la main tendue pour reprendre son manuscrit.
«Attendez, Burns ! Quelle mouche vous pique ?
— J’ai l’habitude, explique Burns de sa voix légèrement nasillarde. Vous êtes le onzième.
— Vous voulez dire que dix de mes confrères ont déjà refusé de vous éditer ?
— Oui.
— Il faut les comprendre. C’est une bombe, votre bouquin. Et c’est très dangereux d’avoir laissé tous les noms réels des personnages. Si tout ce que vous racontez est vrai, ces gens vont vouloir vous faire la peau. Changez au moins votre nom, prenez un pseudonyme.
— Non, répond Burns, je tiens à le signer de mon vrai nom. (A suivre…)
Pierre Bellemare
http://www.infosoir.com/edit.php?id=130620
11 août 2011
Histoire