Histoires vraies
Un homme nu dans la neige (5e partie et fin)
Résumé de la 4e partie : Le plus surprenant dans cette affaire, c’est qu’on juge non pas les agresseurs, mais ceux qui n’ont pas porté secours à la victime…
La déclaration la plus dramatique est celle de l’architecte. Livide mais apparemment très à l’aise, il doit affronter les malheureux père et mère d’Ulrich qui se tiennent tous deux à la barre.
La nuit du drame, après avoir fêté la nouvelle année au milieu d’un cercle de dix-sept personnes, vers une heure trente du matin, il monte dans sa voiture avec sa femme et une amie : la veuve Miller. Comme il fait vraiment très froid, l’architecte met le chauffage au maximum. Tout à coup, ses phares éclairent un homme à moitié nu sur le bord de la route. Il le voit faire des bonds, les mains levées au-dessus de sa tête.
«En Bavière, j’ai vu des gens casser la glace pour se baigner, explique l’architecte, et ça ne m’a pas tellement étonné.»
Il est vraiment trop à l’aise, l’architecte, un rien prétentieux, comme s’il faisait un cours. Peut-être même de mauvaise foi lorsqu’il insiste :
«D’ailleurs, en Scandinavie, les bains du 1er janvier sont chose courante. Voilà pourquoi ma femme et notre amie Mme Miller n’ont pas été tellement surprises. Nous avons échangé quelques mots essayant d’imaginer ce qui pouvait amener un homme à s’agiter ainsi dans une situation pareille.
— Et vous, madame, qu’en avez-vous pensé ? demande le président à la femme de l’architecte.
— Je me suis dit que ce jeune homme avait sans doute eu trop chaud.
— Et vous, madame Miller
— Ces gestes me paraissaient être des manifestations d’exubérance. J’ai pensé à un homme ivre ou à un fou qui aurait fait un pari.»
A la barre, le père de la victime qui se tortillait depuis longtemps n’y tient plus, il s’adresse à la salle :
«Non, mais vous entendez ça ! Mon fils vivrait encore si à la place de ces bourgeois prétentieux était passé n’importe quel artisan, n’importe quel paysan. Des gens simples auraient su ce qu’il fallait faire et se seraient arrêtés.
— Je vous en prie, supplie l’architecte soudain décontenancé, ce drame est la leçon la plus amère de ma vie et je sais que je ne pourrai jamais réparer. »
La femme de l’architecte se dresse alors dans son box :
«Je vous demande pardon pour mon mari. Il a l’air comme ça… mais en réalité, il est très déprimé. Depuis cette affreuse nuit, il doute de lui-même.»
Cette fois, c’est la mère d’Ulrich qui prend à partie la femme de l’architecte :
«On ne vous croit pas ! ni mon mari ni moi ! Vous ne vous êtes pas arrêtés parce que vous êtes des égoïstes, qu’il faisait froid et que vous n’aviez pas de temps à perdre. Vous étiez pressés de rentrer chez vous. Vous arrêter, c’était vous attirer des embêtements.»
Là-dessus, la malheureuse femme fond en larmes et demande en sanglotant :
«Vous avez des enfants ?
— Oui, deux garçons de douze et quatorze ans.
— Vous ne pouviez pas vous représenter qu’ils s’agissait d’un de vos enfants ?»
C’est au tour de la femme de l’architecte et de Mme Miller de fondre en larmes dans le box. Pour les achever, l’avocat de la partie civile ajoute :
«Imaginez-vous ce qu’a pu ressentir le fils de ces malheureux, lorsqu’il a vu disparaître dans la nuit les feux arrière de votre voiture…»
En fin de séance, le tribunal déclare coupables cinq des six accusés car, par moins seize degrés, n’importe quel homme nu doit mourir de froid, qu’il soit normal, fou ou ivre.
Le lendemain du verdict, le procureur et les défenseurs font appel, le premier estimant que la peine est insuffisante, les autres demandant l’acquittement.
A Cologne, la mort d’Ulrich n’a pas fini de remuer les esprits.
Pierre Bellemare
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9 août 2011
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