XII. Je compris alors qu’il peut y avoir contraste entre le sentiment et sa manifestation extérieure. Souvent la joie fait verser des larmes. Moi, malgré l’épouvante qui m’avait saisi, je ne pus retenir un éclat de rire à cette métamorphose grotesque d’Aristomène en tortue. (2) Tapi cependant sous cette cachette improvisée,
je guettais tout inquiet, et en regardant de côté la suite de cette aventure. Je vois entrer deux femmes d’un âge avancé, (3) dont l’une tenait une lampe et l’autre une éponge et une épée nue. Dans cet appareil, elles se placent aux deux côtés du lit de Socrate, qui continuait à dormir de plus belle; (4) et la femme au glaive parle ainsi: Panthia, ma soeur, le voilà ce bel Endymion, ce mignon chéri qui jour et nuit a usé et abusé de moi, pauvrette, (5) et qui fait maintenant si bon marché de ma tendresse. C’est peu de me diffamer, il veut me fuir; (6) et moi, nouvelle Calypso, je n’aurai plus qu’à pleurer dans un veuvage éternel la perfidie et l’abandon de cet autre Ulysse. Puis, me montrant du doigt à sa soeur Panthia: (7) Et cet excellent conseiller, cet Aristomène, qui a tramé cette fuite, et qui, plus mort que vif en ce moment, est là qui nous épie, rampant sous ce grabat, croit-il m’avoir impunément offensée? (8) Sous peu, dans un instant, tout à l’heure, j’aurai raison de ses sarcasmes d’hier et de sa curiosité d’aujourd’hui.
8 août 2011
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