Edition du Dimanche 07 Août 2011
Culture
Djamel Ould Abbès
PORTRAIT…
Par : Hamid Grine
Il a de très belles cravates. Et de toutes les couleurs : jaune, bleu, vert, rouge. Chaque soir, il nous fait un coucou à la télé. Il a réponse à tout.
À l’entendre, tout va très bien dans son secteur. Il n’y a ni malades, ni maladies, ni pénuries de médicaments, ni hôpitaux sinistrés. Par le miracle de sa voix rassurante, de son élégance détonante, on se met à douter : peut-être dit-il vrai. Peut- être a-t-il raison sur cette noire réalité de son secteur, tristement noire avant son arrivée faut-il le préciser. Hélas, Ould Abbès a beau être un magicien du verbe, il ne peut pas faire changer de couleur son secteur. Juste en donne-t-il l’illusion. Et rien que pour ça on lui dit : chapeau monsieur l’illusionniste ! Et puis, soudain sortant de la langue du communicateur politique qui nous fait prendre des malades pour des athlètes, il parle vrai et dénonce les barons de l’importation des médicaments. Là on applaudit. D’accord, il n’a pas donné de noms, mais il a eu le courage de mettre le pied dans la fourmilière, de celle des privilégiés qui vont soigner un rhume ou un petit bobo à Paris alors que leur peuple crève de cancer, crève de sida, crève de tous les maux qui minent notre société.
Ces repus sont tout sourire quand ils nous regardent mourir. On ne mourra pas. Cheh ! En fait, je devais faire le portrait d’Ould Abbès, mais voilà qu’un incident m’oblige à le dessiner en creux sur fond de déchéance des hôpitaux algériens. L’histoire. Le mercredi 3 août, à une heure de la rupture du jeune mon neveu de 3 ans fait une chute qui lui entaille le crâne. Sang, évanouissement. La mère panique. On emmène d’urgence le gosse aux urgences de l’hôpital de Belfort. Là un médecin ne consulte même pas le gosse dégoulinant de sang, on le voit évanoui et on oriente la famille vers les urgences de Parnet en s’excusant : “On n’a rien du tout pour prendre en charge le blessé”. En face deux adolescents blessés aux jambes saignaient comme des moutons de l’aïd. On les recoud à vif, faute d’anesthésiants. Et vive l’Algérie ! Comme la voix du muezzin s’est fait entendre, sachant que les médecins sont en train de rompre le jeune, on a préféré attendre sagement devant l’hôpital, l’enfant souffrant et pleurant dans les bras de sa mère.
Après une vingtaine de minutes, on se précipite aux urgences-notez notre patience et notre compréhension de la situation- et là le médecin sans ausculter le gosse, sans poser aucune question sur l’accident, ni sur la profondeur de la blessure, ni sur les symptômes, le médecin donc, que Dieu lui pardonne, lève les mains au ciel et s’exclame, en se curant les dents : “Je n’ai rien comme traitement. Vous lui avez mis de l’eau oxygénée? Très bien. Moi aussi, c’est tout ce que j’ai.” Après cette belle réponse on a pris le chemin de l’hôpital de Birtraria. Là enfin le gamin fut pris en charge. Devant ces portes fermées, ces bouches closes, ces cœurs insensibles j’ai pensé aux cancéreux sans médicaments, j’ai pensé aux malades du sida sans traitement et j’ai frémi, de ce frémissement de l’indigné. Sommes-nous dans un pays digne de ce nom ou dans une jungle? Si tous les dignitaires du régime soignaient leurs enfants et eux-mêmes dans nos hôpitaux, sûr que nous n’en serions pas là. Nous aurions, c’est entendu, les meilleurs hôpitaux du monde. Au lieu de quoi nous avons des mouroirs qui nous tendent l’affreux miroir de la décrépitude de leur état. Tout cela n’est pas de la faute de Ould Abbès, tant s’en faut. Mais il en est responsable même s’il n’est pas coupable. À lui de faire en sorte que ses actes soient aussi remarquables que ses cravates. L’élégance, c’est très bien. L’action avec des résultats, c’est encore mieux. Il lui reste à retrousser ses manches. Et à desserrer ses cravates pour qu’elles ne l’étouffent pas dans l’arène.
H. G.
hagrine@gmail.com
http://www.liberte-algerie.com/edit.php?id=160543&titre=Djamel%20Ould%20Abb%E8s&
7 août 2011
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