Les Métamorphoses, également connu sous le titre l’Âne d’or (Asinus aureus), est un roman écrit par Apulée au IIe siècle.
Histoire
Frontispice des Métamorphoses, Bohn’s Libraries, 1902. Le héros, un aristocrate prénommé Lucius (comme l’auteur du livre, Lucius Apuleus), connaît différentes aventures, après que sa maîtresse, Photis, l’a transformé en âne par accident. Ses diverses aventures malheureuses et burlesques sont l’occasion pour Lucius d’apprendre et de raconter au lecteur de nombreuses histoires (le mythe de Psyché et de Cupidon, « la marâtre empoisonneuse », « la bru sanglante », etc.), mêlant l’érotisme aux crimes sanglants et à la magie. Bien que la signification du récit puisse être l’objet d’interprétations diverses, il semble que le voyage de Lucius soit aussi un voyage spirituel, une initiation à la magie en même temps qu’une mise à distance par le comique de la sorcellerie.
Controverse
Le titre originel de l’ouvrage, Asinus Aureus, a fait couler beaucoup d’encre : si le protagoniste est effectivement transformé en âne, il n’est à aucun moment fait mention dans l’ouvrage d’un pelage doré ou d’une allusion qui expliquerait ce qualificatif. On a pu avancer que c’est en fait un sens plus rare mais avéré de l’adjectif aureus qui est utilisé : roux. En effet la fin de l’ouvrage prouve qu’Apulée a du fréquenter les cercles des Mystères d’Isis, ou que du moins il en connaissait bien les rites et arcanes. Or le dieu égyptien Seth, associé au Mal et dont la place est primordiale dans la légende d’Isis et d’Osiris qui structurait ce culte, avait pour animal sacré l’âne et comme symbole la couleur rousse. Il est souvent représenté avec un corps d’homme et ce qui semble être une tête d’âne (à relier au statut humain et animal du protagoniste). Plus encore, la superstition égyptienne conduisait souvent à tuer et maltraiter les animaux à couleur rousse, vus comme des envoyés de Seth (transformé en âne, le protagoniste subit des mésaventures plus humiliantes les unes que les autres). Cette symbolique possible n’a été détectée qu’assez tard, lorsque les progrès de l’égyptologie ont permis de préciser les détails de la légende d’Isis et d’Osiris. Il n’y a néanmoins aucune preuve déterminante de la nécessité de cette théorie.
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LIVRE I
I. Je veux ici coudre ensemble divers récits du genre
des fables milésiennes. C’est une assez douce musique,
et qui va chatouiller agréablement vos oreilles, pour peu
qu’elles soient bénévoles, et que votre goût ne répugne
pas aux gentillesses de la littérature égyptienne, à l’esprit
des bords du Nil. (2) Vous verrez mes personnages,
ô merveille! tour à tour perdre et reprendre, par l’effet de
charmes opposés, la forme et la figure humaine. (3) Je
commence; mais, d’abord, quelques mots sur l’auteur.
Les coteaux de l’Hymette, l’isthme d’Éphyre, le Ténare,
sont en commun le berceau de mon antique lignée. Heureuses
régions, si riches des dons de la terre, plus riches
encore des immortels dons du génie! (4) Là, ma jeunesse
studieuse a fait ses premières armes par la
conquête de la langue grecque. Transporté plus tard sur
le sol latin, étranger au milieu de la société romaine, il
m’a fallu, sans guide et avec une peine infinie, travailler
à me rendre maître de l’idiome national. (5) Aussi je
demande grâce à l’avance pour tout ce qu’un novice
peut porter d’atteintes et à l’usage et au goût. (6) Mon
sujet est la science des métamorphoses. N’est-ce pas y
entrer convenablement, que de transformer d’abord mon
langage? Du reste, tout est grec dans cette fable. Attention,
lecteur! le plaisir est au bout.
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II. Certaines affaires m’appelaient en Thessalie, dont
vous saurez que je suis originaire aussi; car je me glorifie
d’une descendance maternelle, dont la souche n’est
rien moins que l’illustre Plutarque et son neveu le philosophe
Sextus. Je gagnais donc la Thessalie, (2) tantôt
gravissant les monts, tantôt plongeant dans les vallées,
et foulant tour à tour l’herbe des prairies et les sillons des
guérets. Je montais un cheval du pays, au poil blanc
sans tache; (3) et, comme la pauvre bête était rendue,
que je n’étais pas las moi-même de me tenir en selle, je
mis un moment pied à terre pour me dégourdir en marchant.
Je commence par bouchonner soigneusement
mon cheval avec une poignée de feuilles, pour étancher
la sueur qui le couvrait. Je lui passe et repasse la main
sur les oreilles; je le débride. Puis je le mets au petit pas,
pour lui procurer le soulagement ordinaire, l’évacuation
d’un liquide superflu. (4) Or, tandis qu’allongeant le cou
et se tordant la bouche, mon coursier prélève, chemin
faisant, son déjeuner sur les prés de droite et de gauche,
insensiblement je me trouve en tiers avec deux compagnons
de route qui, d’abord, avaient eu quelque avance
sur moi. (5) Prêtant l’oreille à leurs discours, j’entendis
l’un d’eux s’écrier avec un éclat de rire: Allons donc!
Trêve de balivernes! Assez de ces contes absurdes! (6)
À ce propos, moi, toujours affamé de ce qui est nouveau:
Faites-moi part de votre entretien, leur dis-je. Sans
être curieux, j’aime à tout savoir, ou à peu près. Voici
une côte assez rude; l’intérêt du récit va nous en faciliter
la montée.
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III. Mensonges fieffés! reprit celui que je venais d’entendre.
Autant vaudrait me soutenir qu’il suffit de marmotter
deux ou trois mots magiques, pour faire refluer les rivières,
enchaîner, fixer les flots de la mer, paralyser le souffle des
vents, arrêter le soleil dans son cours, faire écumer la lune,
détacher de leur voûte les étoiles, et substituer la nuit au
jour. Me mêlant alors tout à fait à la conversation: L’ami,
dis-je, vous qui étiez en train de conter, reprenez, je vous
prie, le fil de votre histoire, si ce n’est trop exiger de votre
complaisance. Puis, me tournant vers l’autre: Vous qui faites
ici la sourde oreille, qui sait si ce n’est pas là la vérité
même? Ah! Vous ne savez guère à quel point la prévention
aveugle. Un fait est-il nouveau, mal observé, au-dessus de
notre portée, c’est assez pour qu’il soit réputé faux. Examinée
de plus près, la chose devient évidente, et, qui plus
est, toute simple.
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IV. Hier, je soupais en compagnie, et les convives donnaient
à l’envi sur une tourte au fromage. Je ne voulais pas
être en arrière, et j’avalais à l’étourdie une assez forte bouchée
de cette pâte glutineuse, qui, s’attachant aux parois
inférieures du gosier, m’interceptait la respiration. Un peu
plus, je suffoquais. Or, il n’y avait pas longtemps qu’à Athènes,
devant le portique du Pécile, j’avais vu, des deux yeux
que voici, un opérateur avaler par la pointe un espadon de
cavalerie tout des plus tranchants. L’instant d’après, le
même homme, pour un denier, s’introduisait dans les intestins,
par le bout dangereux, un véritable épieu de chasseur:
si bien qu’on voyait la hampe ferrée de l’arme, ressortant
du fond des entrailles de ce malheureux, dominer au-dessus
de sa tête. Suspendu à cette extrémité, un enfant aux
formes gracieuses et suaves exécutait mille évolutions
aériennes, se repliant sur lui- même avec une souplesse
onduleuse, à faire douter qu’il fût de chair et d’os. Nous
autres assistants, nous restions ébahis. On eût dit le caducée
du dieu de la médecine, avec ce beau serpent dont le
corps flexible s’enroule si bien autour de ses noeuds et de
ses tronçons de rameaux. Mais voyons; reprenez le fil de
votre histoire. Moi, je vous promets de croire pour deux, et,
au premier gîte, vous aurez la moitié de mon souper. Le
marché vous convient-il?
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V. On ne peut mieux, reprit mon homme; mais il faudra tout recommencer. D’abord je jure, par ce divin soleil qui nous éclaire, que je ne dirai rien dont je ne puisse prouver l’exactitude; et vous en aurez le coeur net à la première ville de Thessalie que nous allons rencontrer. C’est le sujet de tous les entretiens; les faits y sont de notoriété publique. Mais il est bon aussi que vous sachiez qui je suis, quel est mon pays et ma profession. Je suis d’Égine. Je fais le commerce de miel d’Etna,
fromages et autres denrées qui forment la consommation habituelle des auberges. La Thessalie, l’Étolie, la Béotie, sont le cercle de mes tournées; je les parcours en tout sens. Ayant donc appris qu’à Hypate, ville capitale de toute la Thessalie, il y avait un grand marché à faire sur des fromages nouveaux d’un goût exquis, je m’y dirigeai en toute hâte, bien résolu à acheter toute la partie.Mais je m’étais mis en route du pied gauche, et, comme de raison, je manquai cette bonne affaire. Dès la veille, un gros spéculateur, nommé Lupus, avait tout accaparé. La nuit commençait à tomber, et las de m’être tant pressé pour rien, je me rendis aux bains publics.
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VI. Tout à coup, j’aperçois Socrate, un de mes compatriotes, assis à terre, couvert à moitié des restes d’un méchant manteau, et devenu méconnaissable à force de maigreur et de malpropreté. Il avait tout l’air d’un de ces rebuts de la fortune qui vont mendiant par les rues. C’était un ami, une vieille connaissance, et pourtant je l’abordai sans être bien sûr de mon fait. Hé! Mon pauvre Socrate, lui dis-je, que veut dire ceci? Quel extérieur misérable! Quelle abjection! Chez toi on t’a cru mort; on a pleuré, on a crié dans les formes. Il a été pourvu à la tutelle de tes enfants par acte de l’autorité provinciale. Ta femme, après t’avoir rendu les derniers devoirs, après s’être consumée longtemps dans les larmes, au point qu’à force de pleurer ses yeux ont failli perdre la lumière; ta femme, dis-je, cède enfin aux instances de ses parents; ta maison va voir, au lugubre appareil du deuil, succéder la fête d’un nouvel hymen. Et toi, je te retrouve ici (j’en rougis moi- même) sous l’apparence d’un spectre plutôt que d’un habitant de ce monde. Aristomène, me dit-il, en es-tu donc à savoir ce que c’est que la fortune, et ses caprices inexplicables, et ses hauts et bas si brusques, si imprévus? En disant ces mots, et pour cacher la rougeur de son front, il ramenait sur sa face un pan de ses haillons rapetassés, laissant à nu le reste du corps, de la ceinture en bas. Je ne pus tenir à ce spectacle de misère. Je lui tendis la main, et m’efforçais de le faire lever; mais il s’obstinait à rester assis et à se cacher le visage.
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VII. Non, disait-il, laisse la fortune jouir jusqu’au bout de son triomphe. Enfin cependant je le décide à me suivre; et, dépouillant ma robe de dessus, je me hâte de l’en revêtir, ou plutôt d’en voiler sa nudité. Je le mets ensuite au bain. Onctions, frictions, j’administre tout moi même, et je parviens, non sans peine, à faire disparaître l’énorme couche de crasse dont il était comme enduit. Cette toilette achevée, tout excédé que j’étais de fatigue, je le mène à mon auberge, soutenant de mon mieux ses pas chancelants. Là, je le fais entrer dans un lit bien chaud; et bon dîner, bon vin, douces paroles, je mets tout en oeuvre pour le réconforter. Insensiblement, mon homme se laisse aller à causer et à rire. L’entretient s’anime, et devient même assez bruyant; mais tout à coup un soupir déchirant sort de sa poitrine, et se frappant impitoyablement le front: Misérable! s’écria-t-il, c’est pourtant ma maudite curiosité pour un spectacle de gladiateurs, dont on faisait grand bruit, qui m’a réduit à cette situation déplorable. J’étais allé, comme tu sais, en Macédoine pour mon commerce: mes affaires m’y ont retenu dix mois, après quoi je revenais la bourse bien garnie. Un peu au-dessus de Larisse, je pris la traverse pour arriver plus vite au spectacle en question; mais voilà que, dans une gorge profonde et écartée, plusieurs bandits, de vrais colosses, se jettent sur moi, et je ne me tire de leurs mains qu’en y laissant tout ce que je possédais. Dans cette extrémité, je vins ici loger chez une hôtesse, nommée Méroé, déjà vieille, mais encore fort engageante, à qui je contai en détail les motifs de mon excursion prolongée, mes alarmes en revenant, et ma catastrophe en plein jour: le tout d’un ton lamentable, et en rassemblant mes souvenirs tant bien que mal. Celle-ci me fit l’accueil le plus gracieux. J’eus gratis un bon souper; puis, dans un accès de tempérament, elle partagea son lit avec moi. Ouf! Une fois que j’eus tâté de sa couche et de ses caresses, impossible de me dépêtrer de cette maudite vieille! Les pauvres hardes que ces honnêtes voleurs avaient laissées sur mon dos sont devenues sa propriété. Tout y a passé, jusqu’aux minces profits que j’ai pu recueillir en faisant le métier de fripier, tant que j’en ai eu la force. Enfin tu as vu quelle mine je faisais tout à l’heure. Voilà où m’ont réduit ma mauvaise étoile et cette honnête créature.
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