Edition du Jeudi 04 Août 2011
Chronique
Procès du système et rupture politique
Par : Mustapha Hammouche
Sans préjuger du déroulement effectif et de l’issue du procès de Moubarak, l’évènement est historique : c’est la première fois qu’un dictateur arabe doit répondre devant une cour pénale de ses actes
avec un minimum de garanties. Ce n’est pas le procès de Saddam Hussein, entaché d’un contexte d’occupation étrangère et d’un soupçon d’influence américaine, réelle ou supposée, sur le cours de la justice irakienne. Ce n’est pas, non plus, le procès de Ben Ali, expédié en l’absence du concerné et aux verdicts sans réel effet.
Au Caire, il s’agit d’un procès où la justice, peut-être encore sous emprise du pouvoir militaire “transitoire”, mais “sous surveillance” de la société civile et du peuple et la partie, fait tout pour rassurer sur la transparence. D’un autre côté, la justice elle-même présente des garanties “internes” en ce qu’elle renferme un potentiel d’aspiration à un état de droit : bien avant “la place Tahrir”, des magistrats ont animé la revendication démocratique.
C’est en suivant le début d’un tel procès qu’on saisit ce qui est peut-être la raison pour laquelle la révolte d’octobre 1988 n’a été porteuse que d’illusions, de confusions et de violences pour finir par un retour à un niveau d’autoritarisme jamais égalé.
En fait, si le changement est un mouvement politique, une nation ne peut prendre acte de la rupture avec un système qu’à travers une mise à plat de son passé. Dans le cas égyptien, c’est la présence, certes quelque peu altérée par sa position alitée, du dictateur dans le box des accusés qui symbolise la rupture effective avec son système. Même si cette rupture n’est pas encore politiquement accomplie, le procès marque la frontière entre le passé et l’avenir, entre l’arbitraire, condamné, et l’état de droit en projet.
On comprend alors pourquoi, en Algérie, les pratiques d’abord, puis les hommes que dénonçait le soulèvement de 1988, ont fini par se réhabiliter : ils n’ont jamais été formellement condamnés pour ce qu’ils furent, des crimes contre les droits de l’homme et des bourreaux de leurs concitoyens. L’injustice, la hogra, la police politique et la torture, alors clairement reconnues comme pratiques usuelles ont progressivement repris leurs places comme attributs du système enfin restauré et renforcé, malgré le multipartisme. C’est parce que la justice n’a pas eu à tracer la frontière entre le monde passé de l’abus et le monde à venir du droit que Messaadia, après avoir incarné l’outrance du parti unique, cristallisé la colère des jeunes d’octobre, a pu revenir occuper la présidence du Sénat au temps du… multipartisme.
On comprend aussi, pourquoi même dans ses mises en scène en matière de lutte contre la corruption et autres abus, le pouvoir se limite à l’inculpation de cadres de niveau technocratique. De Khalifa à Sonatrach en passant par l’autoroute, toutes les affaires donnent lieu à ce préalable toujours officiellement déclamé : “il n’y a pas de responsabilité politique dans le scandale…” Il n’est pas question pour le système d’initier une pédagogie d’une justice qui s’impose aussi aux hommes de pouvoir !
En cela, le procès du Caire marquera un tournant dans la pratique politique dans la vision de la gestion de la transition démocratique dans le monde arabe. Il révèle, accessoirement, l’échec de l’expérience algérienne.
M. H.
musthammouche@yahoo.fr
http://www.liberte-algerie.com/edit.php?id=160442
4 août 2011
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