La tragédie arabe en cours caractérisée par un statu quo permanent, consécutif à une forte ambivalence entre conservatismes autistiques et réformes prédatrices, est souvent insuffisamment analysée par les médias et les intellectuels arabes en général.
Cependant, dans certains titres de la presse privée, sont publiées des analyses critiques de la situation, qui malgré leur pertinence leur voix reste sourde pour des raisons aussi bien volontaires, qu’involontaires.
La difficulté principale de cet exercice d’analyse semble résider dans le fait que ces médias, comme du reste les «gagnants» de la société Arabe en général, sont liés structurellement au système de prédation qui régit l’économie en tant que nécessité de survie, et agissant comme une classe dominante mue par un conservatisme religieux et néo patriarcal. Cette stratégie de survie se réalise par le renforcement et la préservation de privilèges acquis dans la configuration de ce statu quo, qui leur assure sécurité et stabilité. Ils s’acquittent en échange d’un devoir d’exaltation aveugle des passions religieuses et de l’héroïsme nationaliste populiste, au détriment de l’élaboration et de la diffusion de discours critiques porteurs de changement, qui serait au demeurant aussi pertinent en soi pour eux. Par ailleurs, il y a cette difficulté propre aux individualités de ces corporations, de transcender les conservatismes par lesquels ils sont liés anthropologiquement à leur environnement social et dans leur propre vie privée et familiale, consciemment ou inconsciemment. Cette ambivalence propre aux médias arabes, dans laquelle ils se sont eux-mêmes pris dans les plis du piège de ce statu quo, comme du reste l’ensemble des individus des autres corporations, s’avère être a priori une issue de laquelle il est difficile à s’en sortir.
La spirale infernale du statu quo Plusieurs formes de conservatismes autistiques, principalement sociaux, culturels et politiques, caractérisent les sociétés arabes au moment où elles émergent d’une très longue nuit d’ankylose. Dans cette émergence, qui se fait au prix d’un réveil assourdissant de spontanéité et de célérité, et se déroulant dans un bruyant vacarme, qui en apparence est sous contrôle total, ces différentes formes de conservatismes autistiques contribuent négativement à rendre presque inaudible l’appel en masse à la libération, et à rendre insensible la nécessité évaluative des tâches à accomplir pour éviter le piège du reflux sur soi-même. La justification du recours a l’adjectif autistique, lorsqu’il s’agit de qualifier le conservatisme arabe, se fonde sur l’observation d’actes souvent inconscients de résistance au changement. Les caractéristiques autistiques d’inaudibilité et d’insensibilité, que ces conservatismes développent dans l’inconscient individuel et collectif dans ces moments de crise, dans une pulsion d’autoconservation, viennent en retour alimenter ces conservatismes initiaux, à se développer et à se renforcer proportionnellement à la pression du reflux qu’elles engendrent, tendant, d’une part, vers le nationalisme populiste ou vers le fondamentalisme religieux, d’autre part. Cette situation d’ambivalence entre la volonté de changement par la pulsion de sursaut collectif, et sa pulsion inverse de reflux, dans un repli, à la limite du pathologique, sur soi-même, conscient ou inconscient, qui se manifeste au rythme monotone de la succession des crises qui s’égrènent comme un chapelet, n’a présenté apparemment aucune autre issue envisageable, à chaque fois, et à ce jour, que l’adoption de réformes prédatrices ayant pour objectif le maintien de la crise dans un statu quo. Ce statu quo, n’ayant eu à ce jour d’autres développements que le dérèglement de la société, ouvre les portes à toutes les dérives et à toutes formes de prédations. À leur tour ces prédations et ces dérives viennent préparer sourdement le lit à la prochaine crise. Celle-ci viendra engendrer à son tour des réformes prédatrices, comme celles qui s’expérimentent actuellement en Algérie et ailleurs dans le monde arabe, succédant, dans une monotonie redondante, à celles qui se sont produites, par ailleurs, et particulièrement dans la première tentative, avortée prématurément, à la fin du XX° siècle en Algérie. Ces prédations et ces dérives, qui s’expriment à travers l’accentuation du dérèglement de la société, par l’exacerbation des injustices, des inégalités, de la corruption généralisée, par la répression des minorités, etc., viennent renforcer cette tragédie interminable dans laquelle est plongée la société arabe. Et ainsi, la boucle est bouclée.
Dépassionner l’Histoire, réhabiliterle sens
Le coupable de cette tragédie, «cette boucle infernale» étant ainsi clairement identifiée, à ce moment-là, ces conservatismes, qui se présentent comme sa principale énergie motrice, ne seraient-ils pas, dans ce cas, le parti incontournable, bien que le plus inconfortable, à mettre à l’actif des principales réformes, dans une volonté émancipatrice qui viendrait briser l’enchaînement à cette ambivalence, par quoi ce réveil Arabe en ce début de millénaire peut se consolider et prétendre à une issue de l’envergure de ce sursaut historique ?
En s’efforçant de tenir compte des avancées de la véritable recherche scientifique, au détriment de celle dégagé des préoccupations idéologiques ayant pour seul but l’accès et le maintien au pouvoir, par l’adoption d’une méthode archéologique, pratiquée en premier lieu dans le champ du religieux, pour ensuite être transposée vers le champ politique et historique. Une méthode archéologique fondée sur la déconstruction des processus qui ont généré les catégories et les systématisations doctrinales érigées en écrans rigides à l’intérieur desquels on cherche à maintenir enchaînées les représentations de soi et du groupe auquel on appartient : genèse et évolution sont les maîtres mots de cette démarche guidée par la recherche de la mémoire des mots et des faits des idées et des institutions.(1) S’attacher à pratiquer une sorte d’archéologie du sens, entre ce qui relève de la période initiale de la formation des nationalismes populistes Arabes et ce qui appartient aux phases ultérieures de leur évolution.(2) Rétablir dans son droit l’enseignement de l’histoire, comme dans les programmes pédagogiques et les manuels scolaires, comme en Algérie, par l’annulation de l’aberration qui réduit la date de début du combat pour la libération nationale du colonialisme au 1° Novembre 1954. Effaçant tout antécédant, depuis les premières résistances à la pénétration coloniale jusqu’aux combats successifs qui ont jalonné l’histoire de cette occupation coloniale, pour le but inhibitoire de la mémoire collective. Disqualifiant aussi bien le pluralisme dans lequel s’est exprimé le mouvement national algérien, que le déroulement de la guerre de libération elle-même, car, dépossédé de ses liens avec ce mouvement national. Le début de l’histoire de l’Algérie sera réduit dans ces manuels scolaires à la pénétration de l’islam, précédant une période sans consistance culturelle ni historique et qualifiée de Jahilia inspirée de la terminologie du corpus islamique. Les Algériens seront figés dans une identité arabo-islamique populiste, elle-même en rupture avec les grands penseurs de la pensée islamique classique et avec la pensée des intellectuels qui constituèrent l’avant garde du nationalisme arabe à partir du début du XX° siècle. À l’évidence, le multiculturalisme est une composante incontournable de l’histoire de l’Algérie. Poser la question du multiculturalisme est assimilé à un antinationalisme considéré dans la rhétorique populiste comme relevant de la traîtrise et qualifiant ses auteurs de «Hezb França». Les ancêtres des Algériens, non musulmans et non arabisés, ont vécu dans des sociétés et ont été régis par des états qui ne méritent pas d’être réduits à l’obscurité d’une quelconque Jahiliya. À ce moment de l’histoire, l’Algérie vivait déjà harmonieusement une situation multiculturelle et en relations commerciales, culturelles, artistiques et techniques, aussi bien avec le Proche-Orient qu’avec le pourtour méditerranéen.(3) Il faut insister sur un fait majeur dans l’histoire du nationalisme algérien et qui perdure à nos jours, à savoir, que la résistance au multiculturalisme n’est pas une attitude exclusive d’une partie au détriment de la volonté des autres. La résistance au multiculturalisme en Algérie, comme ailleurs dans le monde arabe, bien qu’elle soit instrumentalisée comme une stratégie rhétorique par des partis politiques, est une attitude générale liée certainement à une aliénation psycho politique évidente relative à des aptitudes mentales propres à l’esprit de clan, de tribalisme et de toute autre forme de conservatisme. Particulièrement, celle-ci se manifeste violement en Algérie entre «berbéristes» et arabophones, ou encore entre «islamistes» et laïcs.
Genèse et évolution du mouvement national populiste algérien(4)
Sigmund Freud introduit son essai la foule et la horde originaire par l’hypothèse de Charles Darwin selon laquelle «la forme originaire de la société humaine serait celle d’une horde soumise à la domination sans limites d’un mâle puissant , les destins de cette horde ont laissé des traces indestructibles dans l’histoire héréditaire de l’humanité.»(5)
En Algérie, c’est au prix d’une régression politique que la lutte armée du 1° Novembre 1954 contre l’ennemi commun a commencé. On passa alors, d’un pluralisme des consensus à un consensus unifié sur le modèle néo patriarcal et autour de valeurs religieuses islamiques exclusives. Car, à cette date, l’expression du mouvement national algérien était largement pluraliste et représentait toutes les sensibilités politiques de la population. Ainsi, Messali Hadj fonde l’Étoile Nord-Africaine en 1926 à Paris qu’il refonda en Parti Populaire Algérien (PPA) en 1937. Le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD) créé en 1947, prend la suite du PPA, dissous par les autorités coloniales. L’Union Démocratique du Manifeste Algérien (UDMA) de Ferhat Abbas, les Ulémas nationalistes culturalistes, tendance qui prône la langue arabe et l’islam comme fondements de l’identité culturelle de la société, et le Parti Communiste Algérien (PCA), sont autant d’expressions politiques qui assuraient un pluralisme politique de fait au mouvement national algérien.
Avec le mémoire présenté par Messali Hadj à l’ONU en 1948 qui précisait que l’histoire de l’Algérie ne commençait qu’à partir de l’islamisation du pays, se déclenche une crise multiculturelle, s’étalant sur la période 1948-1949, provoquée par des militants du parti MTLD qui se refusent à n’envisager la nation algérienne, que réduite à sa dimension arabo-islamique. Cette crise fut tranchée d’une manière non démocratique et autoritaire, par l’exclusion des dissidents au profit de Messali Hadj, qui se pose comme leader dans une figure de patriarche incontestable. Déjà ! à ce moment du mouvement national algérien, le fonctionnement bureaucratique du parti MTLD était animé de visées autoritaires et populistes. À la veille du déclenchement de la guerre de libération nationale, le débat démocratique au sein du parti s’achemine vers une impasse. Messali Hadj entre en conflit avec le comité central du parti MTLD (centralistes) qui exigeaient un fonctionnement démocratique pour la nomination de la direction du parti. Ce conflit provoque la scission du parti et donne naissance au Mouvement National Algérien (MNA) initié par Messali Hadj.
Mohamed Boudiaf qui militait au PPA en 1945, était le responsable de la mise en place de l’organisation spéciale, branche armée du MTLD (OS) dans le département de Constantine, où Abderrahmane Gherras sera désigné comme responsable de cette section de l’OS, et qui le restera de sa création jusqu’au déclenchement de l’insurrection armée par le FLN, nouvellement créé en la circonstance. À la suite du conflit au sein du parti MTLD, Mohamed Boudiaf rallie une quarantaine de militants au courant dit neutraliste, qui sous son initiative, tenté de reconstruire l’unité du parti déchiré entre messalistes et centralistes, en les mettant devant le fait accompli avec la décision du déclenchement de l’insurrection le 1° novembre 1954.
Les témoignages sur cet épisode fondateur du futur État algérien, révèlent les origines de son autoritarisme avant même la naissance de l’autorité de l’État.
En fait Mouhamed Boudiaf apparaît comme l’initiateur de la réunion des vingt et un cadres de l’organisation spéciale du MTLD (OS) ayant décidé l’insurrection, où il sera autoproclamé, selon le témoignage de d’Abderrahmane Gherras, (6) comme coordinateur du FLN. L’acte de Boudiaf s’inscrit de facto dans le registre du monopole du commandement. Car, en plus de s’être autoproclamé comme le chef du mouvement, il refusa d’impliquer toute l’organisation dans la préparation de l’insurrection, et fixa à lui seul la date du déclenchement des opérations, au plus entre quatre autres de ses compagnons parmi ses plus proches.
Dans son témoignage, Abderrahmane Gherras rapporte que Boudiaf est arrivé à la réunion avec quatre personnes, Larbi Ben M’hidi, Mostefa Ben Boulaid, Rabah Bitat et Mourad Didouche, qu’il a placé autour de lui à la tribune, le reste des présents étaient dans la salle, ils ont organisé un vote à bulletin secret, mais c’est Boudiaf qui a fait le décompte tout seul, il a déclaré ses quatre compagnons et lui-même élus ! Beaucoup de votants étaient surpris du résultat, car, il ne correspondait pas à leur choix et ne reflétait pas le résultat qu’ils considéraient adéquat à leur vote. Cet épisode marque le point initial de la pratique de la falsification du suffrage, qui sera érigé comme mode de désignation de l’autorité à l’intérieur des institutions de l’État, durant la guerre de libération et qui se prolongera après l’indépendance jusqu’à ce jour. Excepté l’épisode qui a donné la victoire au FIS, et qui a été annulé immédiatement par la suite, comme tout le monde le sait,car, dans ce cas, cela signifie la fin du système politique en place depuis le début de la fondation de l’État.
Le mode de désignation des dirigeants de l’insurrection à l’issue de cette réunion semble avoir été le point de discorde principal, qui cèlera en fin de compte, la décision de retrait des constantinois.
Yves Courrière rapporte le témoignage d’Abderrahmane Gherras (7) relatif à la nature politique de la réserve des dirigeants constantinois à propos du déclenchement de la guerre de libération, que Mohammed Harbi reprend à son compte, (8) tous deux s’accordent à dire que dans ce témoignage, Abderrahmane Gherras récuse l’idée d’un refus de participer à l’insurrection, et que personne ne s’est jamais mis au travers du principe du déclenchement de l’insurrection, qui est selon lui la version des vainqueurs, et fait état d’un groupe de Constantine posant la question de la direction du mouvement insurrectionnel sur des bases démocratiques. Ce qui a été contesté ce ne sont pas les hommes, mais plutôt la méthode de désignation du Comité de Coordination et d’Exécution (CCE) et le choix de Mohammed Boudiaf comme coordinateur, ainsi que la liste concernant les présents à la réunion, dont seul Mohammed Boudiaf, est l’auteur. L’entretien indique d’une part l’importance des stricts enjeux de pouvoir à l’origine même du déclenchement de l’insurrection, d’autre part, que les réserves constantinoises, si elles avaient visé les méthodes de Boudiaf, s’élargissaient, en vérité, à l’ensemble du processus de mise en place de l’insurrection.
Cette nouvelle dissension au sein du mouvement national algérien à l’origine de cette rupture ne changera plus rien, cette fois-ci, à la destinée de la nature de l’autorité de l’État, en cours de formation. Au moment de la tenue du congrès de la Soummam qui s’est déroulé le 20 Août 1956, principalement sous la responsabilité de Abbane Ramdane, Ben M’Hidi et Ben Khada, l’essentiel des militants tous partis confondus avaient rallié le FLN, excepté le MNA de Messali Hadj, qui refusa et mena une guerre très meurtrière en France entre lui et le FLN durant les années 1956 et 1957. La conscience politique des militants algériens était, à ce moment-là, suffisamment mure pour transcender cet handicap de représentation et s’engager dans l’unité pour le combat libérateur, fédérés autour du FLN. Les Algériens de la khaçca (élite), les étudiants, se rallient en masse au FLN. Les centralistes se sont ralliés à partir du deuxième trimestre 1955.
Le parti communiste algérien, qui avait créé à l’automne un organisme autonome de lutte armée «les combattants de la libération», en parvenant en 1956, à installer un maquis communiste dans l’Ouarsenis, intègre le FLN le 1° Juillet 1956. Ces ralliements en masse étaient conditionnés par l’impératif exclusif imposé par la direction du FLN, que tous les membres des autres partis ayant rejoint le FLN devaient le faire à titre exclusivement individuel, car, il n’était pas question que le FLN accepte de fédérer les autres formations politiques à demeurer autonomes. La version totalitaire du système de pouvoir national était achevée. Les limites idéologiques du nationalisme algérien apparaissent au grand jour. Les pionniers du FLN se posent d’emblée comme les propriétaires du parti et se rebellent contre les organisateurs du congrès de la soummam. La tentative des principaux organisateurs du congrès de la Soummam à préserver le futur État de la dictature, par l’élaboration d’une plate-forme qui consacre la démocratie et le pouvoir civil, la laïcité et le multiculturalisme, s’est soldé par un échec sanglant avec l’assassinat de Abbane Ramdane.
La rhétorique populiste, qui consiste à s’attirer la sympathie du peuple, par l’exaltation de ses faiblesses culturelles induites par l’ignorance dans laquelle le colonialisme l’a confiné, devient la seule forme de discours politique autorisé, qui s’avère être le moyen le plus efficace de dépolitisation des masses. Pendant la guerre de libération nationale le FLN insista sur l’éducation à réaliser pour les générations à venir, sous la bannière de l’islamisme (apologétique) et de l’arabité. Le sacrifice des militants nationalistes toutes tendances confondues et celle du peuple qui les soutenait dans la douleur de la répression coloniale aveugle qui s’abatis sur lui sans discriminer, a eu du moins le mérite de libérer le pays de la nuit coloniale. La libération politique, culturelle et sociale, qui reste à ce jour hypothéqué par ce système politique populiste mis en place dans l’urgence du combat, dans un premier temps, pour devenir un pouvoir totalitaire, instaurant le statut quo comme modèle politique, et contre qui devrait être constitué aujourd’hui le principal contenu de la demande du changement, doit encore attendre que cette spirale infernale du statut quo ne se défasse au profit d’une forme plus ouverte.
Faire débat
Les réformes de la société en Algérie qui se présentent comme l’enjeu essentiel, sur lesquelles porte cette demande de changement, ne peuvent faire l’objet d’un traitement exclusif par un consensus aveugle de la part d’une minorité, aussi puissante soit-elle, et quelle que soit l’étendue de sa domination. La rhétorique du discours du projet de réforme, formulé par le pouvoir algérien et représenté par la commission nationale désignée pour conduire des concertations, en vue d’alimenter la plate-forme de ce projet, s’apparente à un oxymoron par la contradiction qui le caractérise entre l’intention affichée de réforme et la volonté de conservation induite par la condition préalable au respect «des constantes nationales et des composantes de notre identité », mettant a priori un veto à toute volonté d’initiative pour un débat autour de la question de l’identité culturelle. En continuant à vouloir imposer une forme de vie et de culture à la société, dans le souci permanent de consolider sa légitimation et de sauvegarder ses intérêts, au détriment de la diversité des intérêts de tous les acteurs concernés, qu’il stigmatise dans sa stratégie rhétorique, comme étant dans l’erreur de «s’être trompés de société», ce consensus aveugle se place de lui-même hors du temps, en voulant continuer à imposer sa vision exclusive et périmée sur la forme de vie à adopter, dans une société multiculturelle et qui est en perpétuelle transformation. Il n’y a pas lieu, dans ce cas, de se laisser séduire par un triomphalisme autistique qui viendrait jeter son dévolu sur ce consensus aveugle, en stigmatisant au passage des opinions qui lui sont publiquement et ouvertement opposées. Ces opinions plurielles sont là ! et elles prétendent à leur tour faire valoir leur droit à la participation active au débat, dans leur différence, avec la perspective d’inscrire explicitement cette différence, intrinsèquement, dans la démarche même de ce processus de changement. Non pas seulement, que ces opinions sont là pour faire valoir uniquement un droit, elles sont là aussi et surtout, par l’obligation au devoir du citoyen de participer à la neutralisation de toute probabilité de résurgence et de prolifération du piège du statu quo ou du reflux. Aussi, le devoir d’intervenir dans le processus du changement, surtout lorsque celui-ci semble se profiler dans une issue incertaine et pessimiste dans laquelle veulent la confiner toutes sortes de résistances autistiques et prédatrices.
Toute occurrence singulière ou collective, qui prétendit au droit de cité dans la dynamique du débat politique, se doit de reconnaître l’institution politique en tant que modèle de la culture elle-même. Elle se doit aussi, par nécessité de liberté, de ne pas reconnaître de limites définitives à la culture, et de s’autoriser à se prêter au jeu des «stigmatisations», aussi «terribles» soient-elles, de structures et de représentations mentales identifiées comme impasses idéologiques ou barrières culturelles, avec l’autisme qui les caractérise, dans les représentations de soi et du groupe, auxquelles elles appartiennent, en projetant néantisation et barbarie autour d’elles. Ce qui est terrible ce ne sont pas les stigmatisations des auteurs de tels actes de barbarie par lesquels sont victimes ces minorités (les violences contre les femmes isolées), c’est l’indifférence générale de la part d’une population confinée à son insu dans cette situation mentale d’un autre âge, et des pouvoirs publics aussi irresponsables devant l’insécurité à laquelle sont exposées ces minorités. C’est encourager la barbarie et se rendre complice de tels actes que de faire un raisonnement contraire. Dans un état de droit, de tels actes seront sanctionnés pénalement pour viols et violences, violation de domicile en bandes et discriminations sexistes. Soutenir ces minorités, c’est contribuer à un débat productif qui engage l’avenir de l’Algérie au moment où celui-ci est hypothéqué indéfiniment par cette culture de l’exclusion.
Faire débat pour déconstruire la rhétorique discursive périmée du système de pouvoir nationaliste populiste, c’est le faire autour de questions fondamentales, en tant que nœuds autour desquelles se construira une authentique démocratie, qui reflétera une juste identité algérienne avec son caractère syncrétique des représentations politiques, sociales et culturelles, fondées sur la laïcité et le multiculturalisme, qui apparaissent à l’état actuel, comme les principales barrières pour faire échouer ce statut quo qui hypothèque indéfiniment les libertés individuelles et collectives.
«La liberté, c’est pouvoir agir selon ses propres choix sans subir de contrainte de la part d’autrui. Ce qui chez Freud correspondrait au principe du plaisir au détriment du principe de réalité et qu’il appelait le «Moi purement hédonique». Ce principe de réalité qui est à la base même de la socialisation de l’homme entrave son indépendance, donc, son individualisme par son assujettissement à la loi du consensus.»(9
Références :
(1) Mohamed-Chérif Ferjani, Le politique et le religieux dans le champ islamique, Fayard, 2005
(2) Jacqueline Chabbi, Le Coran décrypté, Figures bibliques en Arabie, Fayard, 2008
(3) Gilbert Meynier, L’Algérie ders origines, de la préhistoire à l’avènement de l’Islam, La découverte, 2007
(4) Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN 1954-1962, Fayard, 2002
(5) Sigmund Freud, Essais de Psychanalyse, Psychologie des foules et analyse du moi, Payot
(6) Mohammed Harbi et Benjamin Stora La guerre d’Algérie, Constantine 1954 : entre l’insurrection et la dissidence, par Abdelmajid Merdaci, ed. Robert Laffont, 2004
(7) Yves Courrière, Les Fils de la Toussaint, Fayard, 1968
(8) Mohammed Harbi, 1954. La guerre commence en Algérie, complexe 1984 1981
(9) Héchemi Dhaoui, Pour une psychanalyse maghrébine, l’Harmattan, 2000
4 août 2011
Contributions