Edition du Jeudi 21 Janvier 2010
Culture
Sur les traces de Camus
“Liberté” sur les lieux de sa naissance
Par : Salim Koudil
Non, Albert Camus n’est pas né à Belcourt, encore moins à Oran. Oui, il a vu le jour en Algérie, mais ce n’est pas loin de l’extrême-est du pays. Exactement à Dréan, dont le nom à l’époque, soit en 1913, était Mondovi.
Une précision qui s’impose puisque beaucoup ont fait l’amalgame entre les lieux de résidence (sur lesquels l’auteur a d’ailleurs écrit) et son lieu de naissance. Liberté s’est déplacé sur les lieux cinquante ans après la mort d’Albert Camus.
Dréan donc. Une daïra qui se trouve à 24 kilomètres de la ville d’Annaba, mais rattachée à la wilaya d’El-Tarf (dont le chef-lieu se trouve pourtant à une soixantaine de kilomètres). Sa relation avec cette région l’a aussi marqué. Au moins sur deux points. La Peste (publié en 1947), l’un de ses romans les plus connus traite du choléra. Un sujet que lui aurait inspiré le choléra qui avait sévi à Mondovi au XIXe siècle et qui avait fait des centaines de victimes. L’autre “relation” avec Mondovi concerne son chez-soi en France. Il s’agit d’une maison que Camus avait achetée à Lourmarin, dans le Lubéron, une région connue pour ses vignobles et qui lui rappelait beaucoup les lieux de sa naissance.
La maison des Camus est connue par les habitants de la région, et n’importe quel Dréanais peut vous indiquer avec précision où elle se trouve.
La 7S et Ammi Hamma
La maison des Camus se trouve au centre-ville, à une dizaine de mètres de la mosquée de Dréan, une ancienne église. Le portail d’entrée, en rouge, se trouve au milieu de deux commerces, à gauche un taxiphone et de l’autre côté un vendeur de fruits et légumes. De type coloniale, rien n’indique qu’un lauréat du prix Nobel y est né. D’ailleurs l’idée de la transformer en un musée a été évoquée à plusieurs reprises dans la région, et cela depuis plusieurs années, mais rien n’a été fait dans ce sens. Une initiative qui devrait pourtant faire sortir la ville de sa torpeur et qui ne pourra que lui être bénéfique. Celui qui y habite depuis plusieurs années est ammi Hamma. Il était environ 9h du matin et visiblement il venait juste de se réveiller. Avec sa longue barbe blanche et un bonnet mal ajusté sur la tête, il ressemblait étrangement à l’abbé Pierre, et ses paroles il les a utilisées que dans un seul sens, le refus. “Il est impossible de faire rentrer quiconque d’étranger”, dit-il d’emblée, tout en barrant l’entrée avec son bras. Il expliquera que c’est une décision prise par lui et ses voisins. “Plusieurs Français sont venus ici, certains ont même ramené avec eux des responsables locaux mais j’ai refusé de les faire entrer.” Il ne voudra pas s’étaler sur les raisons mais certains habitants de la ville nous diront après que c’était “sûrement à cause du statut de propriété de la maison”, sans toutefois donner plus de précisions. Visiblement gêné par son attitude, il s’est toutefois plus ou moins épanché sur un petit descriptif de la maison. “C’est au rez-de-chaussée qu’il a habité et tout a changé depuis, c’est pourquoi ce n’est plus la peine d’y entrer”. En essayant d’être de plus en plus aimable, il ira jusqu’à dire que “dans le jardin derrière, il venait ici s’inspirer, se ressourcer mais également, ce n’est plus le même endroit qu’avant”. Une information bien surprenante puisque dans des nombreux écrits de Camus, il a été toujours indiqué qu’il avait quitté, avec sa mère et son frère aîné, Mondovi pour rejoindre Alger, dès la mort de son père, soit en 1914. Tout juste, certains biographes ont mentionné qu’il était revenu à Mondovi, à 40 ans, à une période où il était en quête de repères à propos de son père mort à l’âge de 29 ans. Tout compte fait, c’était le maximum qu’ammi Hamma pouvait “donner”. Il referma la porte avec empressement tout en baillant ; il était, sans doute, pressé de rejoindre son lit.
Claude “Djeha”, le dernier des colons
À une dizaine de mètres de la maison des Camus habite le seul colon de la région, Claude Charlier. Dans cette petite ville, les habitants le connaissent et lui ont même donné un surnom “Djeha”. L’un de ses voisins a tenu à préciser que “c’est loin d’être péjoratif puisqu’il l’accepte et c’est toujours avec le sourire qu’il nous répond quand on l’appelle comme ça”. Diabétique, c’est son voisin Hassan qui lui injecte régulièrement son insuline. Son père est né en 1904 et il est mort à 95 ans “sans avoir vu un seul jour la France”, dira Hassan avec un hochement de tête en signe d’approbation de Claude. Avec son accent français du Sud, il dira, à propos de Camus : “Je ne l’ai pas connu personnellement mais mon père si puisqu’il est né ici en 1904, mais il n’en parlait pas avec moi donc je ne peux rien dire de plus à ce sujet.” Par contre, “Djeha” s’est montré plus prolixe lorsqu’il s’est agi de raconter sa vie : “Après avoir quitté l’armée en 1962, je me suis marié avec une Algérienne avec qui j’ai eu 11 enfants et tous sont partis en France.” Il expliquera que sa décision était pour lui tout à fait logique. “Je suis né ici ainsi que mon père et on n’avait nulle part où aller.” Son père, né en 1904, est mort à 95 ans, “et il n’a jamais mis les pieds en dehors de l’Algérie”, dira Hassan, avant d’être coupé par Claude. “Moi, par contre, j’ai passé trois jours à Marseille avant de revenir ici sans vouloir y repartir.”
Il indiquera que ses enfants habitaient la cité phocéenne. “Trois sont partis en 1992 et les autres, avec leur mère, ont été tous rapatriés en 1995 dès qu’on avait commencé à tuer des étrangers en Algérie”. Sur sa présence jusqu’à maintenant en Algérie, la réponse était pour lui évidente : “Je ne pouvais pas laisser seul mon père mort en 1999.”
Aussi, même s’il ne l’a pas déclaré, les anciens de Dréan, à l’instar de Djamel, la soixantaine, rappellent à ceux qui demandent après lui que les origines de Claude ne sont pas françaises. “Comme beaucoup de colons qui sont venus ici, les aïeux de Claude ne sont pas français. Ils sont de souche allemande”. La même personne fut plus précise sur la ville. “L’ancien nom de Dréan, Mondovi, est en référence à un Italien qui était le premier à venir dans cette région et les colons qui étaient à Randon (Besbès aujourd’hui, ndlr) étaient de leur côté des Maltais d’origine”.
Cependant, pour revenir aux dires de Djeha, il avait soulevé une question intéressante sur l’auteur de l’Étranger : “Camus est né pas loin de chez moi ? C’est bien curieux ça puisque j’ai toujours su qu’il était né à Saint-Paul !”
Le “Bir Kamel” de la ferme Gazan
Saint-Paul ! C’est l’ancien nom de la commune de Chebaïta-Mokhtar, une petite bourgade se trouvant à quelques kilomètres de Dréan. C’est dans une des fermes de l’ex-Saint-Paul que travaillait le père d’Albert Camus. Exactement dans la ferme de Gazan, se trouvant à Zorani (limitrophe entre Dréan et la petite commune de Chebaïta-Mokhtar). Les choses ont bien changé depuis 1914. Sur place, il n’y a point de vie économique, ni vignobles ni écurie. Avant d’arriver à la ferme, il faut passer devant le CEM Seteye-Abdelkader dont les murs d’enceinte sont peints aux couleurs nationales avec des graffitis, visiblement pas très anciens, puisque c’était en relation avec l’équipe nationale de football.
Dans les anciens locaux, on trouve des dizaines de familles logées dans des conditions très dures. “Depuis des années, on attend les logements que tous les responsables nous ont promis, mais rien n’a changé et nos enfants continuent de souffrir dans les mêmes conditions que nous avons vécues”, criera, presque, un habitant d’une quarantaine d’années environ.
À la mine triste de cette personne, celle de ammi Rabah contrastait à plus d’un égard. “Dès que j’entends parler de gens qui cherchent après Albert Camus, j’ai à chaque fois le fou rire”, commença-t-il à parler avec un sourire qui indiquait le caractère bien sympathique du personnage. “Il y a plusieurs années des étrangers sont venus demander, à mes voisins, des nouvelles de ce grand écrivain, et les gens leur faisaient rencontrer tous les Kamel de la région, parce qu’ils avaient compris que la personne recherchée était un certain Kamel Bir”, racontait-il en se tordant de rire.
Reprenant difficilement son sérieux, ammi Rabah s’est tout de même “penché” sur l’auteur de la Chute en déclarant : “Personne ne peut vous en parler mieux que moi d’Albert Camus puisque seul mon père, parmi ceux qui sont encore là, a connu les Camus.” Avant de commencer à raconter la version que toute sa famille connaît, lui qui a perdu son père alors qu’il n’avait que 8 ans : “La ferme appartenait à un certain Remidi, et mon père, qui s’appelait Ali Guerri, et qui est né en 1891, racontait à ma mère et aux autres de la famille que les parents d’Albert travaillaient avec lui dans cette ferme et qu’ils avaient aussi une maison à l’intérieur, mais malheureusement elle a été totalement détruite.”
Finalement, c’était tout ce qu’il pouvait dire des Camus.
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1 août 2011
LITTERATURE