Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
Barbares et fiers de l’être !
Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr
Dimanche 24 juillet : Erratum
Le village d’où part la Fête de la transhumance, évoquée la semaine dernière ici, s’appelle Tala n’Tazetrt, la source de la figue.
Le lecteur n’aurait pas pu corriger de lui même puisqu’il ne pouvait savoir. Nous avions improprement écrit Tala n’Taghart, ce que nous pardonneront, j’ose l’espérer, les habitants de ce village qui nous ont si bien accueillis. Spécial remerciement aux membres du comité du village…
C’est le village le plus près des sommets du Djurdjura. Jadis, on y pratiquait les rites liés à l’estivage. Il y subsiste la Fête de la transhumance, ressuscitée dans le but de préserver le rôle du village comme ancrage et moteur identitaire. A défaut d’une balade dans la montagne, vous pouvez consulter le site du village : www.talantazert.com. Bonne escalade !
Lundi 25 : La route des barbares
Comme dirait l’autre, faut appeler les choses par leur blaze ! Nous sommes des barbares sur la route, voilà ! Des barbares, oui ! Et parfois même en dehors ! Désolé, ça n’a pas d’autre nom. Si tu es tenté de me renvoyer le truc barbares-Berbères, je te réponds d’avance : je parle de la route. Là, tu vois l’a’adjab sur roues. Le miracle. L’impossible ! L’inouï. Non, ce n’est pas un cauchemar, une activité cérébrale. C’est juste la réalité. La «spécifique » réalité algérienne ! On devrait exporter le spectacle de nos routes. Outre que ça diversifierait nos sources de devises, ça aurait pour mérite d’apprendre au reste du monde ce qu’il ne faut pas faire, une forme de contribution à la protection de l’humanité. Devant l’état de gravité qui est celui de la route en Algérie, je serai pour qu’on nous retire à tous le permis de conduire ce qu’on appelle voiture et qu’on remette au goût du jour ce bon vieux baudet idoine à notre mentalité, et qui, avantage non négligeable quand on ne sait pas le conduire, saurait, lui, nous emmener cahin-caha jusqu’à la modernité ! Pitoyable constat s’il en est, mais c’est à ce niveau de civilisation que nous en sommes. Pas mieux ! Quand on voit comment les Huns et les autres se comportent sur la route, il saute aux yeux que nous ne méritons pas ces montures d’acier, bardées de technologie. Trop dangereux pour nous autres primitifs. Pas de chevaux fiscaux, des chevaux tout court. Et encore ! Les mecs, ils te réalisent des figures que le plus audacieux des cascadeurs refuserait de tourner au cinéma. Hollywood à côté, c’est de la gnognotte ! Doubler à droite ? Ringard ! Non… maintenant on cherche comment te survoler, ya hadjaba ! A ce propos, il serait amusant de montrer des images filmées du ciel. Je propose à l’ENTV, qui a les moyens de CNN et l’envergure d’une télé de quartier, de filmer par exemple en live à partir d’un hélicoptère le trajet Tizi-Ouzou-Alger et de nous le diffuser en temps réel. Quatre heures de diffusion, avec l’écoulement du temps grain par grain aux bouchons, ca pourrait être vachement pédagogique. Mais comme dirait encore l’autre, tout ça, tu vois, c’est voulu. Je suis sûr qu’on y verrait, en contre-plongée, des cascades dont le plus dément des spécialistes des effets spéciaux n’aurait imaginé le concept ! Bien entendu, tu me diras qu’il ne faut pas généraliser. Les précautions de style n’empêchent hélas pas que nos routes soient parmi les plus dangereuses au monde et que ca s’aggrave d’heure en heure. Mais ne généralisons pas juste pour le fun, car comme dans toute représentation qui se respecte, ce sont les transgresseurs qui crèvent la toile. Les gars qui conduisent bien, prudemment, en respectant l’intégralité du code de la route existent, heureusement, mais ils composent l’infime minorité invisible. J’ai comme l’impression que la grande majorité considérerait que le code de la route est contradictoire avec un code de l’honneur new age. Ainsi, le type estimera que même si ta voiture est plus puissante que la sienne, c’est un affront que tu lui fais en le doublant. Partant de là, il est prêt à tout pour le laver. Ça coûte cher, ce genre de nettoyage !
Mardi 26 : Le tueur !
On en sait un peu plus sur l’attentat qui a ensanglanté la Norvège le 22 juillet dernier. L’auteur du carnage de l’île d’Utoya s’appelle Anders Behring Breivik. Il est âgé de 32 ans. Son avocat, Geir Lippestad, le dit engagé «dans une croisade pour sauver la Norvège et l’Europe de l’Ouest face, entre autres, [...] à une invasion musulmane». Ce qui est amplement confirmé par les notes de son carnet de bord de 1 518 pages dont le quotidien Le Monde a publié des extraits. En avril/mai 2002, il notait ceci : «Je vais abandonner mon engagement dans le Parti du progrès [FrP, parti populiste norvégien] parce que j’ai perdu la foi dans la lutte démocratique pour sauver l’Europe de l’islamisation.» Il ressort de la lecture de ses notes que le tueur d’extrême-droite se vit comme un justicier agissant au nom du nationalisme. Son acte criminel s’ajoute à d’autres actes de même nature pour confirmer que le terrorisme change d’acteurs. Ce sont les mouvements d’extrême droite qui y recourent. Le terrorisme islamiste qui a fait florès en 2001 est dépassé aujourd’hui. Les spécialistes estiment que depuis 2006, les attentats islamistes représentent «seulement» 0,4% des actes de terrorisme commis en Europe. Le Printemps arabe a pour conséquences un nouveau flux migratoire qui accoste sur les rives de l’Europe. Les activistes d’extrême-droite — et parfois de droite, celle qui cherche à gagner les élections en agitant les peurs — réagissent soit politiquement en secouant l’épouvantail de l’invasion islamique soit par l’action armée. Pourquoi le tueur s’en estil pris aux 600 jeunes du Parti travailliste réunis sur l’île norvégienne d’Utoya en camp d’été ? Pourquoi ceux-là, les jeunes du Parti travailliste ? Un rapport avec «l’invasion islamique» ? Oui certes ! Le tueur accuse dans son carnet de bord le régime norvégien de favoriser l’immigration pour y puiser des électeurs.
Mercredi 27 : Poète
Le poète que j’ai évoqué la semaine dernière s’appelait Monhand-Hocine Sahnouni. Il est présumé né en 1897 aux Ouacifs. Il meurt en 1979. Une vie pleine : études en tant que normalien, armée, immigration, commerce, participation à la lutte de libération… Tout cela scandé par la parole (poésie, fables, maximes). Rachid Hocine Sahnouni vient de publier l’œuvre de son père en plusieurs volumes sous le titre Ameslay Inna Baba. Traduction hasardeuse : «la parole prononcée par mon père.»
Jeudi 28 : Sacré Agoumi !
Oui, on a passé une soirée à rigoler avec un Sid-Ahmed Agoumi en verve. Quand il démarre, ça déménage ! Inventaire loufoque des années de plomb et même des années de sang. Il y a quelques années, je lui ai demandé pourquoi il ne s’y mettait pas, lui aussi, au one man show humoristique. Le genre marche du tonnerre. Il m’a prouvé que rien qu’en racontant ses histoires, il fait mieux que ceux qui ressassent ad nauseam. Ce n’est pas, disait-il, l’idée qu’il se faisait du théâtre. Deux heures passées à raconter des histoires qui ont du sens et qui font rire confirment que le public gagnerait à ce qu’Agoumi grimpe sur la scène pour raconter, fut-ce à l’identique, les histoires qu’il traîne par devers lui, glanées au cours d’années de fréquentation du royaume de Kafka. J’ai nommé l’Algérie.
Vendredi 29 : Fidélité. Aux portes du Ramadan, j’ai toujours l’impression d’avoir embarqué dans la machine à remonter le temps. Je lis la presse, elle me ramène des décennies en arrière. Mêmes mises en garde et mêmes promesses ! Je précise que la presse ne fait que diffuser, ce qui est son rôle, les mises en garde et les promesses des autorités. Mises en garde contre la flambée des prix. «On» jure ses grands dieux que toutes les dispositions ont été prises, etc. Et dans quelques jours, on s’apercevra qu’aucune des dispositions prises n’a d’effet. Promesses que tout ira bien, que le pouvoir d’achat sera préservé. Là aussi, dans quelques jours, on se rendra compte que nenni ! Et pour finir sur une note optimiste, si en temps normal, nous conduisons nos voitures comme des barbares, pendant le Ramadan, c’est nous-mêmes qui nous conduisons comme des barbares.
A. M.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/07/31/article.php?sid=120792&cid=8
31 juillet 2011
Contributions