Histoires vraies
La Mamma
Résumé de la 3e partie : L’état de santé de Pasquale s’étant aggravé, sa mère l’emmène consulter un docteur qui décide de l’interner…
Mais il le faut, et la pauvre femme reprend seule, et à pied, le chemin du village. Plus pauvre qu’avant. Plus malheureuse qu’avant. Elle l’entend encore crier, son fils : «Ne m’abandonne
pas !» Et ces yeux qu’il avait ! Qui prend soin de lui là-bas ? Qui le berce et le calme pour le faire dormir ? Qui l’empêche de se griffer et de se mordre ? Qui lui donne à manger lentement, à la cuillère ?
La Mamma se redresse, au bout d’un mois à peine de solitude et de désespoir. Elle a eu tort. Elle repart. Comme la première fois elle décide d’arracher son fils à l’administration. C’est le même assaut, les mêmes suppliques. Mais cette fois c’est plus dur. Il y a les certificats des médecins disant que Pasquale est dangereux, qu’il peut tuer ou se tuer.
Dangereux, son fils ? Pas avec elle. Dès qu’il la voit, son visage se détend, son regard s’adoucit, il tend les bras derrière les barreaux :
«Mamma… Mamma…, emmène-moi. Mamma, ne me laisse pas.»
Alors, comme les traitements sont inefficaces, y compris les électrochocs, comme ce fou, dangereux à l’asile, se fait doux comme un agneau dans les jupes de sa mère, on le lui rend.
Mais on lui rend Pasquale sous son entière responsabilité, et l’homme en blanc parle à nouveau :
«Vous ne devez pas le laisser redevenir méchant. Il est doux avec vous parce qu’il vous aime, et que cet amour est la seule chose qui le rattache à la vie. Mais avec les autres, il est dangereux. Il faut l’enfermer et ne pas le quitter jour et nuit. C’est une lourde tâche, une lourde responsabilité. Si par malheur il se rendait coupable d’une agression sur un étranger, nous le reprendrions. Signez là.»
La Mamma signe d’une croix. Et prend son fils par la main, comme la première fois.
Les revoici tous deux sur la route. La mère et son fou. Il s’agrippe à elle, mais il a changé encore.C’est un animal, un simple animal qui ne connaît qu’elle. Il faut quitter la route et traverser la campagne déserte, pour lui éviter de grogner après les voitures ou de cogner sur les gens.
La Mamma et son fils mettent plus de quatre jours pour retrouver enfin la maison de pierre et le calme du village. La mère fait construire, à l’intérieur de la maison, une véritable cellule, comme à l’asile, avec des barreaux et un cadenas, dont elle garde la clé sur elle en permanence.
Pasquale y est enfermé, comme en prison. Elle ne prendra pas le risque de le laisser courir la campagne, pour qu’on le lui enlève à nouveau.
Mais elle est là, toujours. Avec lui derrière les grilles, quand il hurle et se plaint. De l’autre côté, quand il dort enfin quelques heures. Ils se parlent un langage étrange, que Pasquale a inventé dans sa folie. Jour après jour, la Mamma pèse de tout son poids dans la balance pour rendre à son fils la raison que lui a volée une nuit de guerre. Pour le tirer de cette cage, pour le rendre à la vie. Elle espère. Et la lutte va durer dix ans.
A suivre
Pierre Bellemare
28 juillet 2011
Histoire