Vraies Histoires
La Mamma (3e partie)
Résumé de la 2e partie : La lettre de l’ami de Pasquale interpelle la Mamma qui décide d’aller chercher son fils à la caserne…
L’aurait-elle vue, d’ailleurs, que cela n’aurait rien changé pour elle. La Mamma ne sait qu’une chose. La guerre passe au-dessus d’elle et ne la concerne pas. Maintenant elle ne concerne même plus son fils.
Sa guerre devient une autre guerre. Qui finira mal, comme toutes les guerres, mais peu importe. Elle vient arracher son fils aux autorités militaires, et il faut être une Mamma sicilienne pour oser cela.
Raconter l’entrevue de la Mamma et du colonel serait trop long. Il suffit de dire qu’elle a dormi par terre devant la caserne pendant trois jours et trois nuits, et que jamais de sa vie elle n’a parlé autant. Que Pasquale, son fils, son bébé, s’est jeté dans ses jupes noires, comme un enfant terrorisé et qu’elle a gagné. Elle «emporte» son fils. Les voilà tous les deux sur le chemin qui ramène au village. Pasquale tient la main de sa mère, entre les deux siennes. Il ne parle pas. Il a de grands yeux cernés, il se laisse emmener. Enfin calme, libre de sa folie, puisqu’elle est rendue douce par la Mamma.
Pendant quelques jours, il ne la quitte plus. Puis son état s’aggrave brutalement. Il refuse de s’habiller, marche pieds nus, et ne consent à dormir qu’à même le sol, recroquevillé comme un chien malade.
Si quelqu’un veut franchir le seuil de la maison, il grogne, et devient méchant. Lorsque sa mère le quitte un moment pour s’occuper des chèvres, ou faire des courses, Pasquale tambourine à la porte inlassablement en chantonnant une sorte de complainte incompréhensible.
Par moments, il est menaçant. Il ne veut plus voir ses amis, tout ce qui est extérieur au cocon maternel le rend nerveux, méchant, et de plus en plus agressif.
Alors, un soir, la Mamma dit à son fils :
«Pasquale, nous allons marcher jusqu’à Palerme. Je vais t’emmener voir un docteur.»
Pasquale ouvre des yeux angoissés, mais sa mère le calme immédiatement :
«Je ne te quitterai pas.»
Après la longue marche jusqu’à Palerme, la mère et le fils entrent dans un hôpital. La Mamma veut voir le médecin des fous. Celui qui soigne les têtes malades, elle veut voir le meilleur. Elle a déterré ses économies, vendu sa croix et son alliance en or, vendu la perle qui ornait jadis la cravate de son époux. Elle ouvre les mains devant le psychiatre et lui tend son argent.
«Pour lui. Il faut le rendre comme avant. Il était doux et gai, il aimait son travail, il pensait juste et bien, il parlait avec raison. C’est la guerre qui l’a fait comme il est.»
Pasquale disparaît avec l’homme en blanc, pour un examen complet. Et l’homme en blanc revient seul.
«Madame, il faut interner votre fils.
— Vous voulez l’enfermer comme un voleur ? Ce n’est pas pour ça que je suis venue…
— Je sais, madame, mais il faut l’enfermer. Il veut se faire du mal, et faire du mal aux autres. Pour le soigner, il faut l’enfermer. Toute seule vous ne pourriez pas. D’ailleurs, je n’ai même plus le droit de le laisser repartir avec vous.»
C’est une pauvre femme désespérée qui accompagne son fils à l’asile. La guerre est finie, les bombes se sont tues, Mussolini est mort, mais lui paie encore.
Lorsqu’il comprend qu’on l’arrache à sa mère, Pasquale hurle dans le couloir de l’asile :
«Mamma… Mamma ! Ne m’abandonne
pas !…» (A suivre…)
Pierre Bellemare
26 juillet 2011
Histoire