Histoires vraies
La Mamma (2e partie)
Résumé de la 1re partie : Pasquale, depuis le bombardement de train, n’est plus le même. Ce jeune soldat se révolte contre ses supérieurs…
Pasquale est enfermé pour de bon. Nul ne cherche à savoir pourquoi ce jeune garçon a changé de caractère à ce point. Il était serviable, obéissant, peureux et timide.
On lui avait dit : tu vas servir l’Italie, il s’était contenté de cet argument pour aller éventuellement se faire tuer quelque part. Mais depuis le bombardement du train, il est étrange. Il ne dort plus, ne parle plus à personne, sauf pour se révolter.
Mais l’armée n’a pas le temps de s’appesantir sur la chose. Pour elle, Pasquale est un mutin comme les autres. Dangereux pour le moral des troupes.
Alors, puni et repuni, Pasquale ne voit plus qu’un havre de grâce, en ce monde de folie, où il se sent devenir fou lui-même : sa maison et sa mère. La maison de pierre sèche, blanche et pauvre. La mère au cœur tendre, vieille et pauvre.
Il s’enfuit, une première fois. Le village de son enfance est trop proche, le besoin trop fort. Dans les bras de sa mère, il retrouve un peu de calme. La Mamma est une vraie Mamma, qui dorlote, et caresse les cheveux de son dernier fils, le gave de lait de chèvre et de tartines de miel.
Il est ramené en prison, et s’enfuit une deuxième, puis une troisième fois. On le menace du conseil de guerre. Cela ne l’effraie pas. Le colonel tape sur la table :
«Vous êtes soldat, bon sang ! Qu’est-ce que c’est que ces gamineries.., et vos camarades ? S’ils faisaient la même chose où irions-nous ? Et la guerre ?
— Je m’en fous, mon colonel, vous comprenez ? Je m’en fous de mes camarades et. de la guerre. Je veux retourner chez ma mère !
— Votre mère c’est l’Italie, on va vous le faire admettre une bonne fois pour toutes !»
C’est l’ère des brimades. Pasquale devient le souffre-douleur du régiment : il s’agit de transformer ses velléités de repos en lâchetés officielles. Son esprit déjà chancelant accuse le choc.
Un seul camarade s’en inquiète. Celui qui dort à côté de lui, et participe malgré lui à ses cauchemars, la nuit, à ses crises de sanglots, ou de révolte. Il décide d’écrire à la mère de Pasquale. Une brave lettre toute simple, qui dit en substance : «Pasquale est malade. Sa tête ne va plus. Ici les chefs ne le voient pas, et ils lui font du mal. Pasquale va devenir fou.»
Dans la petite maison de pierre sèche, la Mamma écoute le facteur lui lire la lettre car elle ne sait pas lire les lettres. Mais elle sait lire entre les mots :
«Il faut que j’aille le chercher, ils vont le tuer, là-bas.
— Mais on ne vous le donnera pas, Mamma, c’est un soldat.
— Non, c’est mon fils. Ils me rendront mon fils.»
Et la Mamma se met en route. A pied, car elle n’a pas les moyens de prendre le train. Par petites étapes, car ses jambes ne lui permettent pas de marcher longtemps. Elle a eu un mari et quatre fils, elle a travaillé toute sa vie pour les nourrir, et les élever. Elle est maigre, petite et sèche, courbée comme un vieil âne sicilien, et têtue comme lui. Pasquale est le seul homme qui lui reste, son dernier fils, son dernier amour, son précieux trésor.
La Mamma croise les légions en marche, sur son chemin, des morceaux d’armée, des restants de gloire. La fin de la guerre est proche, elle ne s’en doute même pas. De son village, près de Partimico, entre Palerme et la mer, elle n’a pas vu grand-chose de la stratégie alliée. (A suivre…)
Pierre Bellemare
26 juillet 2011
Histoire