Culture : EN LIBRAIRIE
LES GRIFFES DU SILENCEDE YOUCEF MERAH
Lorsque la poésie rencontre certaines vérités
S’avouer poète, de nos jours, c’est comme «jouer à saute-mouton avec l’ombre de ce qui est parti». D’est ainsi, du moins, que Youcef Merah exprime son sentiment d’inadéquation au monde. Comment, en effet, continuer à dire l’indicible alors que l’art de la poésie devient de plus en plus difficile ?
Fort heureusement, le poète a la passion des mots, surtout le courage de livrer un combat à armes inégales. Son entêtement (un héroïque acte de résistance) a accouché d’un recueil qui réserve de belles découvertes. Les fins gourmets de la langue, tous ceux qui aiment le langage rythmé, harmonieux et imagé trouveront dans Les griffes du silence(titre du livre) de quoi entretenir un agréable tête-à-tête. Ici, ils iront à la rencontre de la vraie poésie et non pas une rhétorique de versification. Ils sont si précieux, comme des bijoux dans leur écrin, tous «ces mots qui boitent de plaisir/Et se redressent de honte», tels que ciselés par Youcef Merah. Une poésie qui se lit et se dit donc, suivant la vision intérieure à voix multiples de celui qui transcrit «le rêve d’un vigile au pays du sommeil», celui dont «les souvenirs sont une mémoire érectile ». Et sur son chemin de solitude, le poète n’oublie pas non plus les siens, tous ces hommes libres dont on veut confisquer les rêves et faire avorter l’espoir : «J’efface les clôtures des hommes/Et redessine de mes poings tant de départs.» L’exilé est de retour, même si son destin est de «vivre à moitié absent», parce qu’il a connu la mort, et forcément vécu une autre vie. Au pays du soleil, qui ne rêve pas d’une cinquième saison ? Qui ne chercherait pas à endosser un habit de lumière ? On le voit bien : la poésie, cet art noble, se mérite. «Ma vie est un grand tiroir qui ne convient à aucun meuble», résume Youcef Merah qui répond en écho à ces mots de Victor Hugo : «Un poète est un monde enfermé dans un homme.» Certes, par les temps actuels, le poète est relégué au rang de paria, ayant hérité de «la couronne d’un roi déchu», mais l’artiste ne meurt jamais. Il crache sa révolte, trempant sa plume dans l’encre de «la médiocrité savante». Pour Youcef Merah, il s’agit de conjurer la malédiction, faire reculer la peur et mettre fin au carnaval des imposteurs. Un combat auquel il ne se dérobe pas : «Je suis une voix déléguée/Au pays où tout est intérimaire.» Continuer à dire non à l’injustice, à l’amnésie, à la peur, au désespoir… Mettre le feu aux mots, autrement «les mots ne servent à rien s’ils laissent/Les morts à mi-chemin». Les rires gras et les rots ainsi étouffés, la brèche de la malédiction enfin colmatée, les youyous responsabilisés, le rêve reprend possession des vivants. Le passé n’est plus qu’une ride où se glisse la colère du poète pour y enfanter un chant d’amour. Les griffes du silence se rétractent alors sur le velours de l’aube qui caresse la fenêtre. Youcef Merah, enfin délivré de son long cauchemar, étreint sa bien-aimée, l’espérance : «Il reste des jours à vivre hors des cimetières/ Il reste des mots à apprendre/Il y a de la lumière à traire.» Car le rêve est omniprésent dans ce recueil. Et c’est cela la bonne poésie, celle qui vous entraîne dans une valse à temps multiples. Elle est virevoltante, inventive, surprenante. Une poésie faite pour l’œil, pour l’oreille et pour le voyage intérieur. Youcef Merah signe ici son deuxième recueil (le premier a été édité à compter d’auteur). Merci de nous offrir ce plaisir. Les éditions Aframed sont également à féliciter pour avoir eu le courage de publier un poète. Tout cela montre que malgré l’insignifiance de la poésie dans le champ éditorial, il existe encore d’excellents poètes qui continuent à pratiquer cet art «en marge» et des gens de bonne volonté qui les encadrent vaille que vaille. Né le 13 août 1972 à Souk El-Ténine (Béjaïa), Youcef Merah est professeur d’enseignement secondaire.
Hocine T.
Youcef Merah, Les griffes du silence, Aframed éditions 2011, 98 pages.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/07/24/article.php?sid=120466&cid=16
24 juillet 2011
1.POESIE