Histoires vraies
La loi du sang (3e partie)
Résumé de la 2e partie : Redgrave est à présent certain que Clara a été sacrifiée selon un rituel. Mais pourquoi elle ?
Tandis que les témoins répétaient, après le sorcier, les paroles d’un chant mystérieux auquel ils ne comprenaient pas un traître mot, celui-ci brandissait un coupe-coupe et désarticulait puis coupait chaque membre du petit corps de Clara, l’un après l’autre, articulation par articulation, faisant chaque fois une rapide ligature de liane pour éviter la perte de sang. Pour que le sacrifice réussisse, il fallait que la victime reste vivante jusqu’au bout, c’est-à-dire à l’instant où son bourreau l’achevait enfin.
Alors le sorcier incisait en croix le buste et le ventre de l’enfant pour en sortir le cœur et les viscères qu’il recueillait soigneusement dans un panier. C’est seulement au bout de quelques jours, en examinant leur aspect, que le sorcier devait connaître la réponse à la question posée aux dieux. Car le but ultime de ce sacrifice était d’obtenir des dieux une réponse.
«Quelle réponse ?» demande le policier à chacun des témoins.
Prolixes tant qu’il s’agissait de décrire la cérémonie du sacrifice, les témoins deviennent brusquement muets lorsqu’il s’agit de révéler son objet.
«Demandez au sorcier…», c’est tout ce qu’ils consentent à dire.
Le sergent Redgrave ne fait ni une ni deux, il s’en va dans la forêt et en ramène un étrange personnage. On est tenté de dire qu’il s’agit encore d’une caricature : la caricature du sorcier.
Il s’agit d’un affreux petit sorcier indien qui se déplace difficilement, plié en deux par l’âge, et dont la peau rugueuse est incroyablement ridée. Il ressemble à un vieux tronc d’arbre, sec. Seuls la bouche et les yeux paraissent humides et vivants. Malheureusement l’affreux petit sorcier se tait, comme s’il était muet. Il n’écoute même pas les questions qu’on lui pose. Il semble vivre «ailleurs», bien loin du monde artificiel de ces Blancs dérisoires et de leurs questions stupides.
Alors le sergent Redgrave poursuit son enquête en dehors du petit sorcier et découvre que, parmi les témoins du sacrifice rituel, figurait un «très important personnage sur l’initiative duquel avait été organisée la cérémonie, monseigneur l’évêque Eric Benfield.
Cette découverte a un certain retentissement local. Et le téléphone grésille sur le bureau du policier.
«Allô ? Sergent William Redgrave ?… Ne quittez pas… le gouverneur veut vous parler…
— Allô… C’est vous, sergent Redgrave ?… Qu’est-ce qu’on me dit ! Vous avez arrêté Mgr Benfield ?
— Oui, monsieur le gouverneur… Il a participé à l’assassinat de Clara.
— Vous êtes sûr ?
— Certain.
— Il a avoué ?
— Pas encore, monsieur le gouverneur.
— Nom de D… Mais vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ?
— Parfaitement, monsieur le gouverneur.
— C’est bon. Tenez-le-moi au chaud. J’arrive.»
Ainsi se trouve bientôt réuni un étrange quatuor : la caricature du gouverneur, la caricature du policier colonial, la caricature du sorcier et la caricature de l’homme d’Eglise que voici : Mr Eric Benfield est l’ évêque» d’une secte chrétienne, connue sous le nom d’Eglise spiritualiste». Ce mulâtre, grand, gros, quasiment obèse, est pudique comme une jeune fille, modeste comme une vieille servante et il a tout du saint homme. Réfléchi, calme, il regarde ses ouailles avec des yeux bleus très doux et ne leur donne que de bons conseils. (A suivre…)
Pierre Bellemare
11 juillet 2011
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