Rue 89
Dix ans après, un tricheur au bac a raconté à Rue89 comment il s’est procuré les sujets du bac. Quand il ouvre la porte de son appartement à Neuillysur- Seine, il arbore un large sourire. La trentaine athlétique, baskets derniers cris aux pieds et polo orange vif sur le dos, Victor (tous les prénoms de l’article ont été modifiés) est aujourd’hui à la tête d’une boîte de nuit parisienne.
Et il en a l’allure. En 2000, il était élève en terminale S à Neuilly. Quelques mois avant le bac, Mathieu, un ami, l’accoste à «la récré du matin» : «J’étais avec Benoît, le troisième de notre bande. Il nous a demandé de nous mettre à l’écart. Il nous a dit : “J’ai un plan, je peux avoir les sujets du bac, pour 10 000 francs le sujet.” Au début, je ne l’ai pas cru, et puis je me suis dit que financièrement, c’était impossible.» Les doutes s’estompent rapidement. Mathieu lui assure que les sujets fuitent tous les ans, et que ce sont les bons : «On a proposé aux élèves les plus riches du bahut, ceux dont on savait que leurs parents seraient prêts à payer. Les miens m’auraient tué ! On leur a fait croire que c’était 20 000 francs le sujet, ils ont dit oui. Leurs parents ont payé. On leur a dit qu’on avait payé une part alors qu’ils finançaient tout.»
Les sujets transitent par un commerçant en vue de l’Ouest parisien
Le mercredi soir, la veille de l’épreuve d’histoire, Mathieu a rendez-vous au métro La Muette dans le XVIe à 21 heures. Leur source, un commerçant en vue de l’ouest parisien. Il récupère les sujets de mathématiques, biologie, physique et histoire. Victor explique la filière : «Il y a une fuite à l’académie de Paris Versailles. Tous les ans, une personne revendait les sujets à ce commerçant, qui les revend à des lycéens de Neuilly. Le hic, c’est qu’on a eu les sujets la veille des épreuves [l’académie est le dernier maillon dans la transmission des sujets, ndlr]. Pour les maths, c’est bien mais pour l’histoire c’est plus compliqué !» La suite de la soirée a tout d’un scénario de film. Mathieu saute dans un taxi rejoindre Victor chez ses parents. Victor fait les photocopies, les autres de la bande passent en bas de l’immeuble, certains accompagnés de leurs parents, échangent liasses de billets contre sujets. «Mes parents m’ont demandé : mais qu’est ce que tu trafiques la veille du bac à monter et descendre comme ça, à faire des photocopies ? J’ai répondu qu’on s’échangeait des fiches de révision et des annales.» Le lendemain, assis à sa table en attendant qu’on lui distribue le sujet, Victor fait moins le malin : «Je n’arrêtais pas de me dire : et si on s’était fait arnaquer ? Mais quand j’ai vu la copie identique, j’avais une de ces bananes ! On s’échangeait des regards complices, ça nous faisait marrer.»
Victor obtient son bac… au rattrapage
A chaque épreuve, la même bonne surprise : le sujet acheté tombe. Ce qui n’empêchera pas Victor de décrocher son bac au rattrapage. Un seul des trois a mention bien. Sa compagne, venue nous rejoindre sur la terrasse soigneusement fleurie de leur appartement, se marre : «Je veux l’écouter raconter ses exploits ! Ils en parlent encore tous les trois, ils en rient. J’ai eu droit à l’histoire un nombre incalculable de fois.» Aujourd’hui, Mathieu travaille dans un palace en Chine. Benoît, «l’intello du groupe » qui a eu la mention, vit entre Paris et Londres, haut placé dans une banque d’affaires. Les six pigeons sont devenus soit avocats d’affaires, soit financiers. «Je n’ai jamais eu de remords. Les risques, je n’y ai jamais pensé. D’ailleurs, je ne sais pas ce qui pourrait se passer si cette affaire éclate. J’ai fait mes preuves par la suite, je suis à la tête de mon entreprise, j’ai toujours travaillé. Mais quand j’y pense, ça me fait toujours marrer.»
Le Quotidien d’Oran
Jeudi 07 juillet 2011
7 juillet 2011
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