Histoires vraies
Le trésor du hollandais (1re partie)
Le sergent William Redgrave, de la police de Sa Majesté, est une caricature du policier colonial britannique, en Guyane anglaise de 1950. Le sergent Redgrave porte un long short kaki, des chaussettes et de grosses chaussures montantes.
Certes, il ne coiffe plus le casque colonial, mais sous son képi, à l’ombre de la visière, son visage rouge brique est orné d’une moustache dont les poils soigneusement rangés pointent en avant comme ceux d’une brosse à dents en parfait état.
Ce jour-là, le sergent William Redgrave fait arrêter sa jeep au bord de la piste qui conduit à une bourgade profondément enfouie dans la forêt. Soudain, il aperçoit un groupe de Noirs sortant d’un épais fourré et qui se dispersent aussitôt. Toutefois, l’un d’eux lui dit au passage :
«Ce n’est pas nous… Nous, on n’a rien fait.
— Rien fait ? Mais de quoi s’agit-il ? Qu’est-ce qu’il y a là-bas ?»
Comme le Noir préfère s’enfuir plutôt que de répondre, le sergent décide d’aller jeter un coup d’œil dans les buissons. Il met pied à terre et s’y rend d’un pas tranquille. Les Noirs, hommes et femmes, l’observent de loin ; des gamins demi-nus ou vêtus de chemises en lambeaux se rapprochent lentement.
A première vue, rien d’anormal dans les fourrés. Et quoi qu’il s’y trouve, rien de bien important, mais dès les branchages écartés, il entend bourdonner les mouches. Puis une puanteur stagne dans l’air chaud. Enfin, sous l’essaim de mouches bleues et de fourmis rouges qui s’acharnaient après lui, apparaît un cadavre, sans doute celui d’un animal.
Surmontant son dégoût, le sergent s’en approche. Il a d’abord quelque peine à établir de quel animal il s’agit. Puis il pousse un énorme juron et, soulevant son képi, s’essuie le front avec épouvante. Il s’agit d’un enfant, sans doute une fillette. Le choc est terrible, presque insoutenable. Pour comble d’horreur, le cadavre ne forme pas un tout. Il est complet mais chaque membre et la tête sont séparés du tronc. Et le tronc lui-même porte, en croix, deux plaies horribles. Le sergent se redresse, repousse les enfants qui veulent entrer dans le fourré et appelle le policier qui l’accompagnait :
«Tu restes ici, ordonne-t-il. Et tu empêches tout le monde d’approcher. Moi je vais prévenir le gouverneur.»
Le sergent Redgrave fonce vers la maison du gouverneur, le képi en bataille, et demande à être reçu immédiatement. Non que Clara, la malheureuse petite victime soit un important personnage. Elle n’a jamais été bien grosse pour ses sept ans, et des petites Négresses comme elle, il y en a des nuées. C’est tout juste si elles sont recensées et si on leur a donné un nom. Le sergent a une autre préoccupation, dont il fait part immédiatement au gouverneur.
«J’ai tenu à vous voir personnellement monsieur le gouverneur, car j’ai l’impression qu’il s’agit d’un crime rituel.
— Allons bon… grogne le gouverneur qui sent venir les ennuis. Et à quoi voyez-vous ça ?
— Les membres et la tête ont été détachés du tronc avec soin… Après une ligature des membres, sans doute pour éviter que le sang coule trop. Pour que la victime reste vivante jusqu’à la fin du sacrifice. Les entailles, faites sur le tronc, sont disposées en croix et parfaitement rectilignes. Enfin les viscères ont été sortis…
— Pouah ! grogne le gouverneur qui sort d’un étui en or une cigarette, l’allume et aspire une longue bouffée comme s’il voulait puiser dans la fumée le courage d’entendre la suite.
— Le crime est récent… poursuit le sergent Redgrave. Tout juste quarante-huit heures et je n’aurai aucune peine à retrouver les coupables, ce genre de cérémonie s’accomplit généralement devant un grand nombre de témoins. (A suivre…)
Pierre Bellemare
7 juillet 2011
Histoire