Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com
La jeunesse semble être une arme à double tranchant dans nos pays : elle est poids et richesse à la fois. La dernière livraison du mensuel du Fonds monétaire international Finances et développement, en ligne depuis samedi dernier, comporte une étude sur le chômage des jeunes dans six pays arabes aux conditions relativement semblables aux nôtres(*).
Les troubles sociaux qui secouent le monde arabe sont associés à une «fin brutale du statu quo» : «Les troubles résultaient en partie de la répression politique, mais des problèmes économiques intenables, comme le chômage élevé des jeunes, causaient déjà des frémissements invisibles.»
Les données relatives à six pays (Égypte, Jordanie, Liban, Syrie, Maroc et Tunisie), pendant huit ans, indiquent que le taux de chômage se maintient autour d’une moyenne de 12 % depuis une vingtaine d’années. Le pourcentage «L’existence dans ces pays d’un fort taux de chômage et d’un faible taux d’activité explique que le taux d’emploi de la population en âge de travailler soit bas : à moins de 45 %, c’est le taux régional le plus faible au monde.» Le document du FMI attribue une telle calamité sociale à quatre «causes profondes» : la pression démographique, l’inadéquation entre les compétences des jeunes et l’attente des entreprises, une réglementation trop contraignante» sur l’embauche et le licenciement et, enfin, la taille excessive de la fonction publique et sa propension à accorder «une prime au diplôme plutôt qu’aux compétences». Quoi qu’en relâchement relatif, la pression démographique – la population active totale de ces pays a crû en moyenne de 2,7% par an sur la dernière décennie — ne va pas se dissiper de sitôt : ce sont dix millions de personnes qui sont attendues sur le marché de l’emploi les dix prochaines années, contre 13,5 millions les dix dernières années. Le rapport formation-emploi est pour sa part tellement médiocre que «le système éducatif produit des diplômés qui n’ont pas les compétences requises sur le marché du travail», déplore le FMI. Le facteur réglementaire, recensé parmi les causes d’alimentation du chômage des jeunes, est tiré du rapport annuel de la Banque mondiale, Doing Business, qui témoignerait que «les licenciements coûtent si cher que les entreprises préfèrent ne pas embaucher » (!). On doutera de la pertinence de ce facteur lorsque des pays comme l’Égypte ou le Maroc sont érigés en exemple de défense acharnée de la condition ouvrière ! On apprend ainsi, a contrario, que «la flexibilité du marché du travail sert l’intérêt des travailleurs» parce qu’une réglementation trop rigide «limite la création d’emplois dans l’économie formelle et pousse les entreprises vers l’économie informelle». La même connotation idéologique affecte le quatrième et dernier facteur : taille excessive de la fonction publique. L’administration et le secteur public seraient des facteurs de perversion de l’offre et de la demande en poussant à la hausse les prétentions salariales et en privant le secteur privé de ressources qui pourraient le dynamiser. Le traitement préconisé porte sur des mesures à effets immédiats et d’autres qui pourraient se révéler bénéfiques à plus long terme. Au titre du premier train de mesures, il est indiqué avec insistance l’investissement dans les infrastructures (transport, eau, assainissement et énergie) parce que les grands travaux sont à forte intensité de main-d’œuvre. Outre l’avantage de créer des emplois, les infrastructures soutiennent la croissance et génèrent des effets multiples et croisés d’entraînement. Seconde mesure phare du FMI, naturellement incontournable à ses yeux, pour remédier au chômage des jeunes : soutenir l’activité privée par des incitations fiscales ou des garanties de crédit aux «PME viables et à forte intensité de main-d’œuvre». Troisième axe d’effort : des programmes de formation dits «prometteurs », au sens où ils «évaluent avec les entreprises et les industries les besoins de compétences et offrent des programmes de formation sur mesure pour les jeunes». Il est enfin recommandé d’investir dans de nouveaux programmes d’apprentissage fondés sur la demande et offrant une formation pratique et théorique, «tout en sachant que les avantages n’en seront pas immédiats». On remarquera qu’une fois n’est pas coutume, le FMI semble valoriser le facteur formation, en vue d’une meilleure adéquation des compétences, et la rentabilité sur le long terme. L’auteur du document consacre ainsi un chapitre entier à ce qu’il appelle «une éducation qui paye». Celle-ci est associée à un triptyque :
1. Réaligner les programmes scolaires sur les besoins du secteur privé.
2. Modifier les conditions d’admission à l’université.
3. Réformer les pratiques d’embauche et de rémunération dans la fonction publique.
Qu’est-ce qu’une formation totalement dévouée aux besoins du secteur privé ? C’est, dit le FMI, celle qui forme «des compétences valorisables sur le marché du travail, notamment les compétences de base nécessaires à la vie en entreprise, le travail en équipe, le leadership et la pensée entrepreneuriale ». Qu’attendre de la réforme de l’université ? Principalement, qu’elle exige «que les étudiants potentiels montrent qu’ils savent rédiger, faire preuve de pensée critique et résoudre des problèmes ». Comment réorganiser l’accès à la fonction publique ? En privilégiant davantage «les avantages et la concurrence, plutôt que les diplômes», ainsi que «des entretiens d’embauche et des tests permettant d’évaluer d’autres compétences que celles qui sont actuellement testées» et, enfin, en associant la promotion au seul mérite. Ce faisant il offre une vision nouvelle qui s’inscrit sur le long terme afin de soutenir «la création d’emplois pérennes et l’accumulation de compétences productives». Il refuse d’adouber les politiques populistes de création d’emplois publics mises au point dans la précipitation, sous la pression sociale du moment, et leur préfère «des stratégies globales qui s’attaquent aux causes profondes du chômage» et qui reposent sur les piliers suivants : une croissance solidaire, l’amélioration de l’acquisition des compétences et une protection sociale convenable aux travailleurs et chercheurs d’emplois. Par «croissance solidaire», autre nouveauté conceptuelle, il est entendu «un environnement offrant à tous des chances équitables» : «Il faut offrir à chacun, et surtout aux jeunes, la possibilité d’acquérir une bonne éducation, de postuler à des emplois de qualité, de devenir entrepreneur, d’avoir accès au crédit et d’acheter des terrains.» En un mot, «renforcer l’égalité des chances et mieux partager les avantages de la réforme», appuie encore le FMI. Au titre des conditions générales pour asseoir ces stratégies globales, il convient également de mentionner la réforme de l’environnement économique pour le rendre «plus propice aux investissements et à la concurrence», le rappel de la diaspora qualifiée et l’inversion de la fuite de cerveaux, ainsi que la libéralisation des échanges et l’ouverture des marchés intérieurs. Un bel exercice pour ramener la solution de drames humains à des considérations de marchés financiers extérieurs, souvent étrangers au langage des victimes qu’on se propose de soigner mais toujours responsables de leurs maux.
A. B.
(*) Yasser Abdih, Combler le déficit d’emplois : Le fort taux de chômage des jeunes alimente les troubles dans tout le Moyen-Orient, Finances et développement, juillet 2011.
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/07/05/article.php?sid=119590&cid=8
5 juillet 2011
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