Histoires vraies
La mort au téléphone (3e partie)
Résumé de la 2e partie : Constance – qui s’est fiancée avec Vincent – apprend qu’il la trompe. C’est alors qu’elle le croit innocent quand il lui dit n’aimer qu’elle…
«Tu vois, dit-il enfin, je n’avais pas tort de craindre que notre différence d’âge nous porte préjudice. J’ai maintenant quarante ans, l’âge où l’on recherche avant tout la tendresse et la douceur, l’âge où l’on n’aspire plus qu’à une union paisible. Toi, avec la fougue de la jeunesse, il te suffit de quelques ragots pour déclencher une scène aussi douloureuse que stupide !»
Et v’lan ! Constance, suffoquée, en prend plein les dents. Elle réalise qu’elle n’a rien de sérieux pour étoffer ses revendications, qu’elle ne peut faire état d’aucun grief bien déterminé. Non seulement elle ignore tout de la personnalité de sa rivale, mais elle n’a aucune certitude quant à son existence réelle.
De plus, elle ne demande qu’à être convaincue, et il s’en faut de peu qu’elle capitule sur-le-champ. Seul l’amour-propre l’en empêche. De quoi aurait-elle l’air si elle changeait d’attitude sans transition ? D’une fillette capricieuse ! Ce qui ne ferait que souligner dangereusement cette différence d’âge dont elle se moque, mais que son fiancé a sans cesse présente à l’esprit. Tout ceci pourrait finalement le détourner du mariage. Prudence, donc.
Bien que persuadée de s’être montrée totalement injuste, Constance juge adroit de laisser repartir Vincent dans l’incertitude de ce qu’elle pense réellement.
De retour chez elle, elle y trouve Clara, la belle rousse aux yeux clairs, au milieu de leur petit appartement encore encombré de boîtes de carton qui ont servi au déménagement.
«Alors ? demande Clara, tu l’as vu ?
— Oui.
— Et qu’est-ce qu’il t’a dit ?
— Que ce n’était pas vrai. Je crois qu’il dit la vérité. Mais j’ai fait semblant de ne pas être convaincue. Je l’ai laissé partir. Demain, je mettrai les choses au point. En attendant, si cela l’empêche un peu de dormir, il n’en mourra pas ; et s’il m’a un peu trompée, cela lui donnera à réfléchir.»
Là-dessus, Constance et Clara vont se coucher chacune dans sa chambre. Ce que Constance n’avait pas prévu, c’est qu’elle passe une nuit blanche à penser à Vincent. Elle l’imagine seul dans son appartement où elle doit le rejoindre après leur mariage. Un Vincent peut-être saisi par le désespoir. Ou un Vincent écœuré, fatigué d’elle et décidé à l’oublier. Elle tourne et se retourne dans son lit, allume la lampe de chevet, regarde le réveil. Les heures tournent avec une lenteur effrayante. Pauvre Vincent ! Elle n’aurait pas dû le laisser partir comme cela. Après tout, il attend depuis si longtemps. Les regrets de Constance deviennent soudain remords et la font sauter du lit à trois heures trente du matin, dans le living-room, et décrocher le téléphone.
A peine a-t-elle composé le numéro de Vincent que celui-ci décroche. Cette promptitude semble prouver que lui non plus n’a pas trouvé le sommeil. Elle commence alors à formuler quelques excuses mélangées de câlineries lorsque s’ouvre la porte de Clara :
«Qu’est-ce qui se passe ? demande son amie.
— Rien. Retourne te coucher, je téléphone à Vincent. -
— Mais tu as vu l’heure ?
— Oui… je sais… mais j’arrivais plus à dormir.»
Là-bas, à l’autre bout du fil, Vincent demande à Constance :
«A qui parles-tu ?
— A Clara.»
La voix de Vincent se fait soudain plus sourde, plus froide :
«Il y a longtemps qu’elle écoute ?
— Non, non… elle vient de sortir de sa chambre.
— Rappelle-moi quand tu seras seule.»
Et Constance, décontenancée ; l’entend raccrocher. Une angoisse de plus en plus vive et irraisonnée la saisit. Comme si un danger rôdait autour d’elle. Un pressentiment ? Une peur ? Un instinct ? D’où lui vient la quasi-certitude qu’il va se passer quelque chose d’effrayant ? (A suivre…)
Pierre Bellemare
2 juillet 2011
Histoire